Droit du marché vitivinicole

La police des secondes marques vinicoles Les excès de l'oncologie juridique

Résumé

Les notions seconde marque et de second vin concernent exclusivement les vins de producteur et constituent des variétés – ou des déclinaisons, comme on dit – des marques domaniales qui les couvrent. On comprend aussitôt qu’un nom de cru quelque peu connu puisse à lui seul engendrer des profits.

Introduction

Quelques mots de l’auteur : Étant personnellement impliqué dans le débat, je me dois d’en avertir le lecteur en m’en justifiant par le fait que, si Cicéron a multiplié les plaidoiries Pro Milone, Pro Rabiro, Pro Murena, Pro Marcello ou Pro Sestio, il a également plaidé Pro Domo

A propos de l’article : version révisée et actualisée de l’étude publiée dans « Les contrôles administratifs du vin », dir. Th. Georgopoulos, Mare & Martin, 2021, p. 31 à 85.

Avant d’expliquer l’intrusion de la médecine (Olask, 2018)1 et du Big C dans le monde vitivinicole qui ne connaissait jusqu’ici que les maladies de la vigne, précisons en deux mots ce qu’est une seconde marque et partons, dans ce but, de la notion de second vin au regard de laquelle on la saisit le mieux. Ces deux notions concernent exclusivement les vins de producteur et constituent des variétés – ou des déclinaisons, comme on dit – des marques domaniales2 qui les couvrent. Dans des régions viticoles comme le Bordelais, leur existence respective tient à la nature des choses pour la première et aux besoins du marketing pour la seconde. En effet, si Hugo affirmait en hommage à son père (Odes et Ballades, II-4) que « le plus beau patrimoine est un nom révéré », on comprend aussitôt qu’un nom de cru quelque peu connu puisse à lui seul engendrer des profits.

La notion de second vin tient, pour elle, à ce que, dès lors que le vignoble dépasse une certaine superficie, il ne peut pas prétendre à l’homogénéité3 qui caractérise la plupart des climats bourguignons (Garcia et al., 2003)4 ou les « crus »5 de Côte-Rôtie. Ignorant la géométrie rectiligne des cultures, tel terroir s’accommodera d’un cépage et tel autre d’un autre ; telle parcelle aura été récemment replantée alors que sa voisine portera de vieilles vignes ; l’une pourra avoir été grêlée, une autre aura subi des gelées printanières, le reste étant épargné par le sort. Même après la récolte, une cuve pourra encore avoir été l’objet d’une manipulation hasardeuse ou une barrique connaître quelque mésaventure. En somme, comme le disait La Motte-Houdard dans sa fable « Les Amis trop d’accord » : « L’ennui naquit un jour de l’uniformité ».

Par conséquent, de la vendange à la mise en bouteille et, plus précisément, à chaque étape des opérations de vinification6, pourra survenir une raison décisive d’écarter un lot de l’ensemble de la production ; non pas vraiment parce qu’il est indigne d’être bu, mais tout simplement parce qu’il n’atteint pas le degré d’excellence attaché au nom de l’exploitation. C’est ce qui va amener le viticulteur à revêtir les meilleures cuvées du nom-vedette de celle-ci, c’est-à-dire de son nom domanial7, et à faire naviguer les autres sous un pavillon rappelant leur origine mais n’affirmant pas – donc excluant – leur domanialité. Ainsi, à l’inverse du premier vin qui sera proposé au public sous la marque-phare « Château Latour », « Château Cheval Blanc » ou « Château Ausone », par exemple, le second vin évoquera le premier en s’appelant « Les Forts de Latour », « Le Petit Cheval » ou « La Chapelle8 d’Ausone ». Ici donc, on décline le nom de l’exploitation pour marquer la relative infériorité du produit dont la parenté avec le vaisseau amiral sera rappelée par la proximité des noms9 et par les indications de la contre-étiquette.

En somme, avec le second vin, la dénomination choisie respecte fidèlement l’ancrage foncier qui en constitue la base originelle. Avec les secondes marques, au contraire, le nom utilisé va carrément s’évader de son cadre naturel. Elles reviennent à rentabiliser un nom en le détachant du produit de qualité qui a fait sa réputation. Si, en effet, comme disait Chamfort dans ses Maximes et Pensées (ch. 2) la célébrité se définit comme « l’avantage d’être connu de ceux qui ne vous connaissent pas », il est tentant de valoriser une renommée œnologique avérée en jouant sur sa seule attractivité commerciale. Exactement comme le Mythe en politique dans les analyses de Sorel (Sorel, 1987)10, le mirage de la notoriété va convaincre le consommateur que la seconde marque qu’on lui propose revêt les qualités qu’il prête inconsciemment au 1er vin correspondant sans en avoir le prix. Le transfert de valeur sera d’ailleurs facilité par le fait que, bien souvent, le consommateur en question n’aura jamais bu les produits dudit référent11.

Le développement du procédé s’explique en plus par une sorte d’américanisation du goût du grand public qui amène la GD (= Grande Distribution) à délaisser les crus dont la qualité variable est tributaire de l’aléa climatique, ce qui désorientera le consommateur de base, au profit des marques dont la constance est plus facile à assurer. Nous sommes donc en présence d’un phénomène économique de grande ampleur qui se conjugue avec l’extrême difficulté qu’il y a à écouler le vin des appellations générales (cf. infra, texte et note 116).

La meilleure illustration de la différence radicale entre second vin et seconde marque nous est donnée par la naissance et l’évolution de la marque Mouton-Cadet telles que les ont séparément décrites l’un des hérauts de la géographie viticole bordelaise (Pijassou, 1980)12 et le premier intéressé (Baron de Rothschild, 1981)13. Ayant accédé à la tête du Château Mouton Rothschild à la fin des années 1920, le baron Philippe de Rothschild fut immédiatement en butte, après le piteux 1927, aux millésimes généralement catastrophiques qui suivirent cette décennie dont nombre d’années avaient été proprement remarquables14. Au début des années 1930, il avait également acheté un autre cru classé de Pauillac, le Château Mouton d’Armailhacq15, et il répugnait à ternir l’aura de ces propriétés en faisant naviguer sous leur nom des vins qui en ruineraient l’éclat. Après quelques hésitations, il eut l’idée de regrouper le résidu de ses deux récoltes sous le nom de Mouton-Cadet qui disait parfaitement ce qu’il était alors, à savoir le benjamin ou le petit frère de ses deux « Mouton ». Cette marque couvrait en conséquence à l’origine un second vin dont les premiers étaient Mouton Rothschild et Mouton d’Armailhacq.

Cependant, après 194516, l’embellie viticole allait tarir les approvisionnements pauillacais puisque la plupart des vins des deux propriétés furent désormais dignes d’être couverts par leur marque-vedette. Pourtant, une demande importante s’était créée autour d’un vocable porteur désignant un produit convenable à un prix attractif. Il fallait donc y satisfaire et, de second vin, Mouton-Cadet devint une seconde marque. Il allait perdre tout ancrage foncier et devenir ainsi une marque « hors sol » désignant un bordeaux supérieur générique ou un bordeaux blanc, c’est-à-dire un vin de négoce qui était acheté par le distributeur en vue de le revendre.

Pourtant, que la frontière entre les deux notions soit poreuse n’empêche pas qu’elle soit claire, et nous allons immédiatement constater que l’existence même des secondes marques pose des problèmes d’éthique professionnelle qui débouchent sur l’oncologie et qui expliquent donc l’intrusion médicale dont nous parlions en commençant. C’est, qu’en effet, on peut facilement donner à la question une intensité dramatique découlant de ce que, si la marque domaniale est consubstantielle au terroir dont elle désigne les produits17, le seul fait de la décliner en dehors de son champ naturel ouvre la porte à toutes les perversions.

En droit, il en est effectivement du vin comme de la nationalité ou de la filiation. Avec le premier parallèle, le second vin sera de même lignée que le premier du point de vue du sol comme du point de vue du sang, alors que la seconde marque n’en relèvera ni d’un côté ni de l’autre. En conséquence de cette apatridie œnologique, on va la suspecter de constituer un pavillon de complaisance. En portant la comparaison sur le terrain de la filiation, au sein de la même famille œnologique, le second vin apparaît comme un enfant inférieur par rapport au premier, mais comme un enfant tout de même. Autrefois, on l’aurait qualifié d’enfant naturel simple. Avec la seconde marque, c’est d’une adoption18 qu’il s’agit, et en plus en présence d’enfants légitimes.

En jouant sur les mots, on pourrait donc dire qu’à la différence de celles qui couvrent les seconds vins, les secondes marques ne sont pas des marques vitivinicoles, mais qu’elles sont seulement des marques vinicoles où la vigne est absente. En effet, l’exacte situation du vignoble producteur leur est totalement indifférente et il n’est certainement pas incongru de les suspecter de déceptivité en même temps qu’on ne discutera pas la parfaite loyauté des véritables seconds vins.

Faisant ainsi rentrer dans la famille un enfant qui lui est étranger par le sang, les secondes marques apparaissent alors aux meilleurs esprits19 comme des « hybrides dangereux qui dénaturent le château en le faisant "muter" vers une activité de négoce extérieur ». Alors, après avoir stigmatisé « la prolifération excessive du nom de cru sur des vins étrangers à l’exploitation »20, le même auteur s’indigne que « le problème se pose aussi pour les seconds vins qui, PAR UNE MÊME MÉTASTASE ne désigneraient plus une production cadette, mais des vignobles éloignés du premier cru »21 (Souligné par nous).

En oubliant que « Métastase », ou plus précisément « Metastasio », était également le surnom (ou la seconde marque) d’un librettiste occasionnel de Mozart (Lucio Silla, La Clémence de Titus), le poète italien Pietro Trapassi (1698-1782) qui n’est pour rien dans cette affaire vineuse, nous voici donc en pleine oncologie, et pour répondre à la sévérité du diagnostic, on pourrait songer à un nettoyage par le vide radical qui supprimerait en même temps l’abus prétendu et sa source. Il suffirait pour cela d’assimiler les marques domaniales aux nouvelles marques de garantie issues de l’ordonnance de transposition n° 2019–1169 du 13 novembre 2019 (art. L. 715-1 à L. 715-5 CPI). De la sorte, l’art. L. 715-2 interdirait au titulaire d’une telle marque d’exercer « une activité ayant trait à la fourniture de produits ou de services du même type que ceux qui sont garantis ». Effectivement, si l’on estime que la référence obligée à l’AOP ou à l’IGP et l’affirmation de l’autonomie culturale correspondent au règlement d’usage exigé par l’alinéa 2 de ce texte, on pourrait interdire de séjour toute « activité » périphérique, à commencer par la production d’un second vin et en continuant avec la prohibition des secondes marques. Heureusement cependant, les exigences de l’article R. 715-1 CPI interdisent cette assimilation. Elles démontrent en effet que la marque de garantie constitue une sorte de label collectif, alors que la marque domaniale circonscrit une frontière égoïste, ce qui traduit une véritable différence de nature excluant toute analogie avec la première.

De toutes les façons, d’ailleurs, il serait difficile de justifier l’interdiction des seconds vins en Bordelais par des raisons de pure cuisine juridique. Ils reflètent la réalité du terrain et ne peuvent être taxés d’aucune déloyauté, ce qui les légitime parfaitement. Ce n’est pas dire pour autant que les secondes marques se trouvent sauvées du même coup. Que la déceptivité soit passée de l’art. L. 711-3 c à l’art. L. 711-2-8° du CPI par le jeu de l’ordonnance sus-visée ne l’empêche pas d’interdire à tout viticulteur de faire « déborder de son lit »22 la marque domaniale, c’est-à-dire de l’utiliser telle quelle pour désigner un produit commercial. Pour autant, il n’y a aucune raison pertinente d’interdire à ce viticulteur de « trouver des marques sémantiquement efficaces, évoquant l’authenticité et la qualité tout en s’avérant "accrocheuses" »23. C’est ce que nous allons démontrer.

C’est d’autant plus indispensable que, sous la pression de groupes d’influence professionnels, le gendarme du vignoble s’est cru autorisé à délivrer des injonctions et à transmettre des dossiers au Parquet. Cependant, cette mise en branle de la Police correctionnelle du vignoble (III) par sa Police administrative (II) aurait certainement gagné à tenir compte des conséquences obligées de la Police linguistique (I) menée en la matière par les pouvoirs publics depuis bientôt un siècle.

I – Police linguistique du vignoble : la régularité des secondes marques

Du seul fait que le droit est « le minimum éthique… qui est strictement nécessaire à la vie sociale » comme l’a dit Giorgio del Vecchio (Philosophie du droit, Paris, Dalloz 1953, p. 279), nos consciences « modernes » lui imposent de s’instituer le bouclier du faible et, plus particulièrement, elles le contraignent à se faire le rempart de la crédulité du public ordinaire contre la cupidité du marché. C’est pourquoi le droit de la publicité impose aux intervenants loyauté du propos et clarté du langage. En conséquence, la question essentielle est ici de savoir si le consommateur moyen du produit concerné est ou non suffisamment averti de ce qu’est une seconde marque vinicole. Est-il convenablement informé de l’origine exacte du produit en question, et comprend-il en d’autres termes que celui-ci n’est pas issu de la propriété dont il reprend le nom mais que, sans constituer une garantie d’origine, ce dernier correspond simplement à une garantie de qualité ?

C’est ce que nous allons déduire de la police linguistique à laquelle les pouvoirs publics soumettent le vignoble depuis bientôt un siècle comme nous venons de le dire.

Cette première catégorie de mesures policières a cumulativement été le fait du pouvoir législatif et du pouvoir réglementaire au plan du droit interne ; et c’est maintenant sous les auspices du droit européen – largement inspiré par le droit français – que le débat se joue. Cette présence du droit dans le langage du vin découle tout simplement de ce que, tantôt des techniques spécifiques ont fait l’objet de dispositions juridiques24, tantôt la généralisation de l’usage de mots particuliers a amené l’autorité publique à poser des limites à l’inflation valorisante qui avait été déchaînée par le régime juridique de la commercialisation du vin.

Nous retracerons les étapes de cette règlementation (A) avant d’en mesurer l’impact (B), ce qui nous permettra d’affirmer le principe de la régularité des secondes marques.

A/ ÉTAPES de la RÉGLEMENTATION

C’est en 1930, avec la conjonction d’une loi25 puis d’un arrêt de la Cour de cassation26 qu’allait naître non pas le droit du vin, mais bien le droit moderne de l’étiquetage des vins. Cette réglementation est donc clairement postérieure aux premiers balbutiements législatifs en la matière27. Son origine découle très directement des effets pervers qu’avait eus sur le vignoble la loi du 23 juin 1857 réformant le droit des marques. L’art. 1 al. 2 de celle-ci interdisait d’admettre qu’un patronyme ou un toponyme puisse être protégé par ce biais sans l’adjonction d’un signe distinctif28. L’intention du législateur était ainsi d’empêcher qu’un seul puisse monopoliser un signe familial, géographique ou linguistique appartenant à plusieurs ou à tous29.

À cette époque où la protection de la marque résultait du premier usage30, les noms de crus – qui s’étaient constitués en Bourgogne depuis le Moyen Âge31 et qui avaient attendu le XVIIIe siècle pour vraiment commencer à se développer en Bordelais – ne pouvaient donc être protégés comme tels que par la loi du 28 juillet 1824 sur le nom des produits fabriqués32. Autrement dit, le nom de cru ne pouvait être protégé ut singuli qu’en cas de reproduction à l’identique et, si la loi de 1857 ouvrait la porte à la sanction de l’imitation – qui était de loin la plus fréquente et la plus pernicieuse –, il fallait impérativement y ajouter un signe distinctif pour pouvoir l’invoquer.

Il y eut ainsi en Bourgogne et en Bordelais une mode subite qui se contenta de refléter la réalité du terrain chez l’une et qui se permit d’embellir son décor chez l’autre. Ici, depuis leurs origines médiévales, les climats étaient souvent circonscrits par des murets de pierre33 et, tout naturellement on y généralisa le mot « clos »34. Là, du fait que, parmi les 57 crus de rouges classés en 1855, cinq et non des moindres était déjà qualifiés de « château »35, la viticulture imita avec un bel ensemble la grenouille et le geai de la fable (I-3 et IV-9) et l’on vit les châteaux se multiplier sans nul souci d’assise féodale ou de base architecturale. À l’époque, en effet, la déceptivité d’aujourd’hui ne pouvait frapper que le produit lui-même36, et il n’était donc pas trompeur d’essayer de se faire plus grosse que le bœuf ou de se parer des plumes du paon.

Ailleurs, ce furent d’autres vocables plus modestes qui excitèrent les appétits : moulin, domaine, tour, monopole, cru, cote ou mont. Mais, rien qu’en Bordelais, les retombées directes de la réforme du droit des marques se traduisirent par une inflation linguistique finissant par banaliser le vocable « château ». Parfaitement confidentiel avant 1857 comme en témoigne le classement de 1855, son usage explose au gré des éditions successives du Bordeaux et ses vins, de Féret : plus de 300 dès la 2e édition de 1868 ; autour de 800 avec la 3e en 1881 ; largement plus de 1 500 pour la quatrième de 190837 ; et quelques milliers aujourd’hui.

Il y avait donc urgence à juguler ces exagérations verbales mais, à cette époque où le consumérisme n’était pas encore né, les pouvoirs publics étaient obnubilés par les fraudes sur le produit lui-même qu’avaient généralisées les crises successives du vignoble38, et le pays était surtout focalisé sur des problèmes aigus d’ordre interne ou international39. D’ailleurs, on sait que la genèse législative des appellations d’origine avait elle-même été retardée de quatre ans par la Grande guerre40.

C’est donc l’année 1930 qui marqua la naissance de la linguistique juridique vitivinicole et ce, dès son premier quantième, où une loi du 1er janvier ajouta un alinéa 5 à l’article 10 de la loi du 6 mai 1919 sur les appellations41. Ce texte avait pour but d’enrayer la logorrhée prétentieuse que la loi de 1857 avait involontairement déclenchée dans certaines régions vinicoles. Alors que, jusqu’ici, il était parfaitement licite d’accoler un vocable ronflant à son vin, même de négoce, dans le seul but de le faire accéder à la protection des marques, il devenait subitement impossible (cf. note 25) d’utiliser des « mots tels que "clos", "château", "domaine", "moulin", "tour", "mont", "côte", "cru", "monopole", ainsi que… toute autre expression susceptible de faire croire à une appellation d’origine ».

Ainsi, le législateur réglementait l’usage de ces vocables valorisants en les réservant aux vins d’appellation et, après une extension du bénéfice de ce droit aux vins de table à indication géographique en 197342, le système perdura jusqu’à l’abrogation des art. L. 644-2 (= loi de 1930) et L. 644-11 (= loi de 1973) du Code rural et de la pêche maritime par l’ordonnance n° 2015-1246 du 7 octobre 2015. Ce n’est pas dire toutefois qu’il n’existe plus aujourd’hui car, ainsi que nous l’avons dit plus haut texte et note 26, le millésime 1930 n’avait pas seulement été marqué par la loi du 1er janvier ; il avait également connu l’arrêt Pavie-Decesse du 29 juin 1930 qui avait énoncé qu’en matière vinicole le mot « château » désigne « tout cru d’une certaine importance muni de bâtiments d’exploitation appropriés »43.

Cette jurisprudence est encore en force actuellement car, en même temps que le décret n° 49-1349 du 30 septembre 1949 introduisait – avec modification44 – les règles de l’art. 10 al. 5 de la loi du 6 mai 1919 dans le décret-étiquetage du 19 août 1921, il exigeait aussi que le vin couvert par l’un des 10 vocables qu’il énumérait désormais provienne « d’une exploitation agricole existant réellement et, s’il y a lieu, exactement qualifiée par ces mots ou expressions ». De la sorte, et depuis 1949, en mentionnant seulement l’incongruité qu’il y a eu à voir le texte législatif de base modifié par un décret d’application, le bénéfice des vocables valorisants dont le plus attractif est certainement le vocable « château » est soumis à deux conditions cumulatives. Il faut d’abord (loi de 1930) qu’il s’agisse d’un vin de qualité ; il faut ensuite (décret de 1949) que ledit breuvage provienne d’une exploitation bien réelle comportant vignoble et bâtiments d’exploitation.

En tenant compte de la dualité AOP/IGP, le schéma actuel découle directement de ce système qui existe donc depuis 1949 avec des modifications de détail. Il est établi par les art. 7 à 9 du décret n° 2012–655 du 4 mai 2012 qui a été pris pour l’application du règlement (CE) n° 607/2009 de la Commission du 14 juillet 2009 (Annexe XIII), dont les dispositions ont été littéralement reprises par le règlement délégué (UE) 2019/33 de la Commission du 17 octobre 2018 (Annexe VI).

Sans parler des coopératives où, par fiction, on voit le prolongement de l’exploitation de l’adhérent45, la règle Une exploitation, un château ne connaît finalement aujourd’hui qu’une seule et unique exception véritable, celle qui correspond à l’hypothèse des vignobles qui auraient « acquis leur notoriété sous deux noms différents avant le 7 janvier 1983 »46. Autant dire que cette exception se borne à confirmer la règle, ce qui justifie parfaitement l’application que mettent les Fraudes à poursuivre les châteaux fictifs47 puisque, depuis 1949, la seule présence de ce terme valorisant dans une dénomination vitivinicole en fait irréfragablement présumer la domanialité.

C’est dire aussi que, depuis près de 70 ans, cette réglementation contraignante a largement imprégné les habitudes professionnelles et fécondé le vocabulaire courant.

B/ IMPACT de la RÉGLEMENTATION

Il est en dehors de toute contestation que, dans l’esprit des pouvoirs publics, la seule présence d’un vocable réglementé dans une dénomination vinicole implique nécessairement sa domanialité, parce que cette sémantique a des effets évocateurs directs sur le consommateur. Évidemment, il y a des exceptions notoires comme La Tâche, La Romanée, La Mouline, La Turque ou Petrus qui n’ont même pas besoin de recourir à cet artifice verbal pour avancer leur domanialité, mais ici encore, elles ne font que confirmer la règle48. A contrario par conséquent, il est inéluctable de pronostiquer que l’omission du vocable réglementé dans une dénomination vinicole où il figure habituellement indiquera tout aussi fortement la commercialité du vin qui est ainsi désigné49.

C’est à cette évidence que se rendait mon confrère Madame Caroline Lampre lorsqu’avant de changer d’avis (cf. supra texte et notes 19 à 21) sans expliquer à ses lecteurs son cheminement vers Damas (Act. IX 3.9), elle écrivait dans sa thèse de doctorat à propos des secondes marques : « S’agissant en effet de produits étrangers à la propriété viticole, il convient de ne pas revêtir cette marque commerciale d’un sigle qui lui donne l’apparence d’une marque agricole ["domaniale", dirions-nous]. En sorte que l’existence de la seconde marque est ici conditionnée non plus par la perte d’un titre prestigieux mais par la déchéance même de sa nature "agricole" et par la proclamation de son caractère commercial, sous peine de déceptivité »50. Ainsi, en Bourgogne, un producteur écoulera les vins issus de ses propriétés sous le nom de « Domaine X » et ceux de sa maison de négoce sous le nom « X » ou « Maison X », montrant par là une origine commune qui n’a rien de territorial ; et, en vallée du Rhône, on procédera de manière comparable mais non identique puisque le patronyme de l’opérateur apparaîtra sur ses vins de négoce comme sur ses produits domaniaux. De ce fait, pour apprécier la compréhension qu’il peut avoir des mentions d’étiquetage, il est impossible de mettre sous le boisseau le carcan réglementaire protégeant le consommateur (supra note 24). Conformément aux arrêts Petrus-Lambertini et Château Reignac de 2019 (infra notes 66 et 67), c’est en effet au « consommateur DE VIN normalement informé et raisonnablement attentif et avisé » (souligné par nous) qu’il faut se référer pour apprécier une pratique commerciale trompeuse. Ce n’est donc pas des appréciations présumées du consommateur moyen abreuvé par la propagande des vigilants de l’hygiénisme sec qu’il faut partir ; c’est encore une fois au consommateur de vin qui sait ce qu’il boit et qui doit normalement comprendre ce qu’il lit qu’il faut se référer.

Du moment que c’est la seule présence du vocable valorisant qui caractérise l’exploitation, il est logique d’estimer que son absence impliquera la commercialité du produit proposé (cf. infra texte et notes 130 à 132). Autrement dit, pour qu’il puisse réellement planer une suspicion « métastatique » sur l’utilisation d’un nom de cru pour désigner un vin commercial en se contentant de l’expurger de tout indice de domanialité, il faudrait démontrer que le consommateur peut être trompé sur la substance du vin qu’on lui propose. On est alors irrévocablement conduit à se demander quelle est la signification du mot « château » appliqué ou non-appliqué à un vin dans l’esprit du public ; et nous allons immédiatement constater qu’il n’y a pas ici de cloison étanche entre le langage juridique et le langage courant relativement à ce vocable.

Du seul fait que le droit est fondamentalement à la fois le modèle et le reflet de l’ordre social auquel il s’applique51, il est fatal qu’il y ait des interférences entre les deux façons de parler. Le langage du vin s’est enrichi sous l’influence de la loi du 23 juin 1857 qui a entraîné une floraison de vocables flatteurs, et c’est en 1930 que le droit s’est emparé de ces apports. Il serait alors bien étrange que cette linguistique juridique qui s’est développée de manière chaotique depuis la loi de 1930 jusqu’à l’ordonnance n° 2015–1246 du 7 octobre 2015 dont nous venons de dire un mot n’ait pas eu d’incidence sur le parler de tous les jours.

Pour s’en convaincre, il n’est que de partir du Dictionnaire de l’Académie française qui, loin d’avoir vocation d’être un grimoire réservé à quelques érudits, a simplement pour but de baliser – et donc de révéler – le « bon usage » de notre langue. Or, justement, à l’entrée « château » du tome 1 de la 9e édition, on découvre un troisième sens qui n’est pas vraiment juridique mais où le droit a pénétré : « Dans le Bordelais, maison de maître entourée d’un vignoble et, par méton., le vin de grand cru qu’on y produit ».

De ce fait, même le consumériste converti à l’oncologie constatera nécessairement que, si le quai de Conti a sans doute été sensible à une certaine sociologie viticole52, on retrouve en filigrane de la définition de ce mot, qui appartient au langage courant, l’autonomie culturale et le bénéfice d’une AOC qui sont les conditions posées par l’art. 7 du décret de 2012 à son emploi. On constate ainsi que, dans l’esprit du public, ce mot a bien le sens que lui donne le droit. Or, aux pages 441 et 442 de sa contribution aux Mélanges Cornu dont nous reparlerons en note 132, mon collègue François-Xavier Testu rappelle avec une parfaite clarté « l’exigence qu’on met, en droit, à l’utilisation, de la langue parlée par le groupe », ce qui permet « de transmettre aux membres du groupe une connaissance suffisamment exacte des règles, et d’assurer leur application ». Quelle que soit en effet la nature du droit ; qu’il constitue une superstructure organisant la lutte des classes ou qu’il corresponde une vérité révélée ; qu’il se borne à essayer de concilier les travers et les aspirations d’une société déterminée ; qu’il se réduise encore à une pure manifestation d’autorité publique, son langage spécifique puise le plus souvent au langage vernaculaire et l’inspire à son tour. La communauté des justiciables et donc celle des consommateurs subissent alors un processus d’acculturation53 dont il résulte inéluctablement pour le problème qui nous occupe que le public destinataire comprend le sens du mot « château » dont l’absence lui parlera d’autant plus qu’il n’est pas accolé à un nom de cru qu’il orne habituellement. Ce sont d’ailleurs ces habitudes de langage qui justifient, ainsi que nous venons de le dire, le soin que mettent les agents de la Répression des Fraudes à assurer le respect de la réglementation qui s’y rapporte par les opérateurs.

En plus de cette osmose entre le langage juridique et le français courant, l’impact du seul vocabulaire utilisé – ou plutôt non utilisé – est encore renforcé par le fait qu’à la différence des seconds vins, les secondes marques désignent quasiment toujours – sauf peut-être Le Margaux du Château Margaux – des vins d’une appellation inférieure à celle que recouvre le premier vin. Cela implique de plus fort la pleine conscience qu’aura le consommateur de la distance œnologique qu’elles présentent avec le premier vin auquel elles se raccrochent. De plus, sans parler de la diffusion de la connaissance du vin par la presse spécialisée, la généralisation des ventes par Internet54 est un vecteur puissant de meilleure appréhension du produit par le public de base.

Certes, nous savons parfaitement que le grand public peut avoir une approche lointaine de la notion même d’AOC. Ainsi, en 1985, à l’occasion du cinquantenaire de leur création, l’INAO avait commandé un sondage pour prendre la mesure de la perception de cette notion par la population générale. Or, à une époque où la loi Évin du 10 janvier 1991 n’avait pas encore limité la publicité sur les alcools, l’échantillon représentatif oscillait entre production fruitière, produits pharmaceutiques ou … parti politique pour situer le sigle AOC55. Cependant, si le public ignorait vraiment jusqu’à la notion même, il ne serait pas besoin de le protéger sur ce point et la réalité nous montre que, s’il ne sait pas ce qu’est techniquement une AOC, il comprend parfaitement à quoi rattacher un bourgogne, un côtes-du-Rhône, un anjou ou un bordeaux, tout comme il sait au moins confusément que ces appellations sont plus étendues que les diverses appellations particulières qui les composent. Rappelons d’ailleurs ici avec les arrêts Petrus Lambertini et Château Reignac (cf. notes 66 et 67) que le consommateur de référence est un consommateur DE VIN alors que là, c’est la population générale qui avait été consultée par le biais de l’échantillon choisi par l’IFRES à la requête de l’INAO.

Dans ces conditions, alors qu’il est impossible de délocaliser une appellation d’origine en l’extrayant de son assise foncière56, le seul fait d’utiliser un nom de cru d’appellation particuliÈre en le rattachant expressément à une appellation gÉNÉrale va délocaliser57 celui-ci en indiquant en toute clarté au consommateur qu’il ne s’agit aucunement du produit de l’exploitation qu’il peut connaître par ailleurs. En d’autres termes, la disparition du vocable « château » va commercialiser le nom de cru en le privant de son caractère domanial, et la mention de l’AOC générale va achever de donner au consommateur les éléments lui permettant de comprendre que le vin concerné n’est jamais qu’un vin de négoce sélectionné par le propriétaire du cru.

Comme le disait très pertinemment encore Madame Caroline Lampre58 au titre de la « Perte de la qualité "agricole" pour la seconde marque », sa marque domaniale ayant acquis « une valeur propre », le viticulteur est « ainsi investi d’une crédibilité, d’un capital de confiance dont la gestion est laissée à sa discrétion »59. Dans cette ligne, il va profiter « du prestige que lui confère sa marque agricole en l’utilisant comme une signature ». De fait, comme je l’avais moi-même écrit dix ans avant la soutenance de cette thèse60, avec les secondes marques, « le rattachement au cru célèbre n’est pas géographique, il est intellectuel. Il signifie seulement qu’un cru huppé couvre de son aile, revêt de sa griffe, des vins d’honnête roture, sélectionnés à raison de leur qualité ».

Pour comprendre la parfaite sincérité du procédé, il suffit de considérer le rôle respectif de l’étiquette et de la contre-étiquette dans l’entendement de l’acheteur de vin. La première va attirer son attention par la présentation du nom de cru dépourvu du vocable valorisant qui l’accompagne usuellement, avec son remplacement par une appellation générale comme Bordeaux. La seconde va expliciter la genèse du produit. Ainsi, les indications de la seconde vont conforter le consommateur dans l’impression que lui suggèrent dans la première l’absence du vocable « château » et la référence appuyée à une AOC générale. Chacun sait en effet que c’est sur celle-ci que se concentrent les mentions obligatoires d’étiquetage et le message publicitaire du vigneron : l’étiquette capte le regard et la contre-étiquette achève de l’éclairer.

On se trouve finalement dans une situation infiniment plus claire que dans celle de l’audiovisuel, où, au n° 60 de son étude au J.-Cl. Concurrence-consommation dont nous reparlerons en note 122, Madame Linda Arcelin explique qu’il a fallu la loi Hamon du 17 mars 2015 pour permettre à certains médias de rectifier un message trompeur (art. L. 121-3 al. 2 C. consomm.). Ici, la réalité s’affirme d’un seul coup – mais en deux temps – pour donner au consommateur l’image fidèle du produit proposé. L’étiquette suggère la non-domanialité du vin et la contre étiquette confirme sa commercialité. Nous sommes donc aux antipodes du schéma de la négation fallacieuse au sens de l’art. L. 121-2 al. 2 C. consomm. tel que le présente encore Madame Arcelin au n° 49 de son étude précité où elle l’assimile à la réticence dolosive de l’art.  1137 C. civ. : « Le professionnel ne ment pas ; mais il ne dément pas, pas plus qu’il ne rectifie la croyance erronée de son cocontractant (Cass. crim. 10 décembre 2002, n° 02-82350 ; Cass. crim. 9 mars 2010, n° 09-89823) ».

Avec les secondes marques, au contraire, l’étiquette utilise le langage du vin pour démentir sa domanialité et la contre-étiquette affirme sa commercialité dans le langage de tous les jours. Il suffirait donc à la limite de ne considérer que la première pour conclure à la pleine loyauté du procédé examiné. À preuve, sachant ici que, jusqu’à la loi n° 2020-699 du 10 juin 2020, l’art. L. 413-8 al. 2 C. consomm. a purement et simplement reproduit les dispositions d’une loi du 26 mars 1930 (cf. supra note 25) énonçant que : « Toutefois, ces dispositions [interdisant toute indication d’une fausse origine] ne sont pas applicables lorsque le produit porte, en caractères manifestement apparents, l’indication de la véritable origine », on comprend parfaitement que la Cour de cassation61 ait approuvé la cour de Bordeaux d’avoir écarté la déceptivité de la marque Mouton-Cadet – dont nous avons décrit les origines (supra texte et notes 12 à 16) – en se fondant exclusivement sur les éléments d’information proposés au consommateur par la seule étiquette : « Mais attendu que la cour d’appel… a légalement justifié sa décision en constatant que la marque Mouton-Cadet ne comportait aucun élément de nature à tromper le consommateur dès lors que l’étiquetage informait celui-ci de l’origine du produit ». Pourtant, en plus de la revendication expresse d’une parenté par le sang découlant de l’emploi de l’adjectif « cadet », l’origine « rothschildienne » du « Mouton » en question était subtilement indiquée par la reproduction des armes de la famille Rothschild au sommet de l’étiquette et carrément explicitée par l’insertion de la transparente signature « Baron Philippe » (avec une majuscule) en caractères encore plus gros que la mention de l’AOC Bordeaux ou Bordeaux blanc qui allait déterminer le juge. Pour s’en convaincre, il suffit de se pencher sur la page 164 du tome 1 de la thèse de Madame Caroline Lampre (v. notes 2 et 58) où l’étiquette de Mouton-Cadet est reproduite avec d’autres illustrations des secondes marques.

Toute la question est alors de savoir si le fait justificatif déduit par la Cour de cassation de l’information donnée au consommateur avec la spécification de l’AOC dont relève le vin proposé joue aussi en matière de pratiques commerciales trompeuses alors qu’elle n’a été posée par cet arrêt que pour la déceptivité. Notre ami le professeur Michel Menjucq opine pour la négative du fait de la qualification différente – pénale et civile – de chacune de ces tromperies (v. l’étude citée en note 19). Il nous apparaît au contraire que, ce qui compte ici, c’est l’élément matériel du délit pénal qu’on retrouve tel quel en droit des marques avec l’exigence d’une tromperie sur l’origine ou sur la qualité du produit ; surtout que, s’appliquant à toute fausse indication de provenance, l’art. L. 413-8 al. 2 C. consomm. ne spécifie aucunement qu’il se rapporte à la seule déceptivité et qu’il exclut les pratiques commerciales trompeuses qui l’englobent. Nous constaterons d’ailleurs un peu plus loin (infra texte et note 68) que la déceptivité d’une marque n’est jamais que l’une des figures concevables de la pratique commerciale trompeuse, qui a un champ d’application beaucoup plus étendu.

En conséquence, il est pour le moins excessif de poser en dogme qu’une pratique de cette nature est intrinsèquement perverse en vouant aux gémonies une brochette de prétendus tricheurs nommément désignés62. Si Nul n’est censé ignorer la loi, il est inacceptable de postuler parallèlement que personne ne saurait la comprendre. Dès lors, si l’on présume irréfragablement que le consommateur de référence sera nécessairement abusé par la seule présence du vocable « château » dans le nom d’un cru fictif, nous ne voyons pas comment l’absence de ce mot pavlovien pourrait continuer de lui indiquer la domanialité du produit proposé du seul fait que le nom utilisé est celui d’un cru de quelque réputation.

Pour ruiner ce dogme arbitraire, il suffit de se rendre à l’évidence : ou bien le consommateur de référence comprend le langage du vin et il suivra le cheminement psychologique que nous venons de proposer ; ou bien il ne le comprend pas. Mais alors, dans ce second cas, comment pourrait-il être trompé par la présence d’un nom de cru expurgé du vocable valorisant qui l’orne habituellement et dont il ne comprend pas la signification ? Il y a donc un véritable parti pris contraire au bon sens comme à la présomption d’innocence à vouloir systématiquement interdire les secondes marques.

Évidemment, comme nous l’avons dit ci-avant (texte et note 22), on ne saurait permettre à une marque domaniale de « déborder de son lit », mais pour que cette interdiction de la tromperie se justifie, encore faut-il que le nom utilisé corresponde bien à une marque domaniale. Or, l’analyse de la politique linguistique menée en la matière par les pouvoirs publics implique à l’évidence la compréhension des vocables valorisants par le public destinataire (v. aussi infra texte et notes 130 à 132). Si leur présence est un marqueur de domanialité pour le consommateur, leur absence sera un gage de commercialité.

Il faudrait évidemment une grande complaisance ou une invraisemblable naïveté (cf. note 60) pour nier que l’utilisation d’un nom de cru assorti d’une indication de provenance plus large que la sienne n’ait pas essentiellement pour but d’appâter le public. Ainsi, pour illustrer la question à partir de la première victime judiciaire et administrative des orientations ici combattues63, Le Bordeaux de Maucaillou va utiliser le nom de l’un des Moulis les plus cotés pour faire mousser un générique d’une appellation inférieure, mais il va le faire avec les précautions d’usage, c’est-à-dire sans utiliser le vocable « château » et en reprenant le nom de l’application générale, comme en indiquant sur la contre-étiquette la commercialité de son vin. De toute évidence, et toutes proportions gardées, il y a là une sorte de racolage, mais la vraie question qui se pose est celle de savoir si l’on dépasse ou non les bornes du dolus bonus pour tomber dans la pratique commerciale trompeuse que réprime l’art. L. 121-2 C. consomm.

Or, pour répondre à cette question, au lieu de sombrer dans le puritanisme oncologique, il faut seulement partir des principes du droit. Bien sûr, il peut parfaitement arriver que le règlement intérieur d’un classement64 interdise aux opérateurs de galvauder leurs marques, auquel cas le contrevenant s’exposera sciemment à la sanction prévue. Cependant, s’il n’existe aucune charte de bonne conduite particulière, on est bien obligé de s’en tenir à autre chose qu’à des réactions purement épidermiques… ou partisanes.

Force est ici en conséquence d’aborder le problème à partir du principe exprimé à deux reprises par la Cour de Luxembourg65, à savoir « que l’on ne saurait considérer qu’une marque, du seul fait qu’elle est présentée de manière accrocheuse, est de nature à créer des confusions ou à induire en erreur les personnes auxquelles elle s’adresse ». Ainsi, dans son spectaculaire arrêt Petrus-Lambertini66, la Cour de cassation a dit pour droit laconiquement « qu’attirer l’attention du client ne signifie pas le tromper ou risquer de le tromper ». Ce faisant, elle approuvait la cour de Bordeaux (3 avril 2018, n° 16-00965) qui avait réformé la condamnation prononcée par les premiers juges en concluant résolument au dolus bonus au motif « que les frères X et leurs sociétés ont fait une utilisation habile de la marque qu’ils ont déposée… dans le but manifeste d’attirer l’attention du client ».

Dans cette ligne, l’arrêt Château Reignac67 du 19 novembre 2019 a aussitôt confirmé que le consommateur de référence n’était pas le consommateur moyen général, mais tout au contraire le « consommateur de vin normalement informé et raisonnablement attentif et avisé » (souligné par nous). Autrement dit, du fait de l’impact de la police linguistique du vignoble sur le langage courant, si la seule présence du vocable « château » fait irréfragablement présumer la domanialité d’une marque vinicole, sa seule absence dans une dénomination où il figure habituellement en indiquera clairement la commercialité.

On conçoit que le procédé scandalise ceux qui ne sont pas en position d’en profiter ou qui n’en ressentent pas le besoin, et qu’il puisse hérisser des fournisseurs au vu de la marge bénéficiaire qu’ils ont permis de réaliser. Cependant, du fait qu’une jurisprudence constante subordonne le jeu de l’art. L. 121-2 C. consomm. à ce que le comportement d’achat du consommateur ait été ALTÉRÉ par la pratique commerciale trompeuse, il ne suffit pas que celui-ci ait été SÉDUIT par la seconde marque proposée, il faut encore qu’il ait été TROMPÉ ; et il faut le prouver en établissant que cette tromperie a déterminé son achat comme le démontre à l’envi la jurisprudence citée par Madame Arcelin au n° 61 de l’étude visée en note 122.

Puisque le droit est tributaire des relations économiques, il est normal que le titulaire d’un vocable porteur soit autorisé à le valoriser à son gré. Dans cette ligne, la cour de Bordeaux a affirmé, comme nous l’avons vu plus haut (texte et notes 59 et 60) dans son arrêt Pontet-Latour du 26 février 1980 que le Château Latour pouvait librement appeler son vin « Les Forts de Latour » parce que « cette société a le libre usage et la libre disposition de la marque Château Latour et que l’on ne saurait lui reprocher de commettre une contrefaçon à son propre détriment ». Ayant l’usus et l’abusus de sa marque, le titulaire peut en faire ce qu’il veut et l’on pourrait croire de ce fait qu’il se trouve dans la position de Cyrano (I-4) : « Je me les sers moi-même avec assez de verve/ Mais je ne permets pas qu’un autre me les serve. »

Seulement, sans même parler de « fonction des droits », la logique interne du droit des marques interdit en même temps le dépôt déceptif et l’usage déceptif. C’est ce qui explique que le titulaire de la marque domaniale ne puisse pas en faire n’importe quoi ; il peut séduire, mais il ne peut pas tromper.

Or, en se souvenant de l’indispensable adéquation du droit au langage parlé par ses destinataires, il faut convenir que sa mission n’est pas d’imposer ici-bas une perfection que la nature humaine récuse. En conséquence, pour mesurer l’impact de la police linguistique du vignoble sur le degré de compréhension des consommateurs, il devrait normalement suffire de raisonner comme l’art. 2224 C. civ. nous y invite pour établir le point de départ de la prescription extinctive : « a connu ou aurait dû connaître ».

Seulement, si nous employons le conditionnel, c’est qu’il n’est plus possible ici de parler au présent de l’indicatif. En effet, sans manifester d’émotion, les diverses instances corporatives du vignoble ont laissé passer une modification apparemment anodine de l’art. L. 413-8 al. 2 C. consomm. que nous venons de rencontrer avec l’arrêt Mouton-Cadet. Après avoir interdit toute fausse indication d’origine, ce texte remontant à une loi du 26 mars 1930 apportait une précision remarquable : « Toutefois, ces dispositions ne sont pas applicables lorsque le produit porte, en caractères manifestement apparents, l’indication de la véritable origine ».

À ce compte, par conséquent, il était inéluctable de poser en règle que, si le consommateur avait été mis en mesure de connaître « la véritable origine » du produit, il ne lui était plus possible de se plaindre : « a connu ou aurait dû connaître ». Or, relativement à notre problème, la loi n° 2020-699 du 10 juin 2010 (supra note 24) a justement apporté une « légère » modification : « Toutefois SAUF POUR LES VINS, ces dispositions ne sont pas applicables lorsque le produit porte, en caractères manifestement apparents, l’indication de la véritable origine » (souligné par nous). En d’autres termes, il faut comprendre que le fait justificatif découlant des indications d’étiquetage pourra jouer pour l’intégralité des boissons alcooliques À l’EXCEPTION DES VINS, ce qui laisse rêveur en France et doit largement divertir nos amis étrangers.

Mais, au moins, nous avons la preuve qu’au moment où elles murissaient leurs visées répressives, l’autorité administrative et l’autorité judiciaire étaient dans le déni de droit.

II – Police administrative du vignoble : l’interdiction des secondes marques

La DIRECCTE (= Direction Régionale Entreprise Concurrence Consommation Travail Emploi) Nouvelle Aquitaine a sans doute été entraînée dans la contestation des secondes marques par des interlocuteurs convertis à l’oncologie juridique (v. note 84). Cependant, elle n’a pas pris le problème de front car elle n’y est venue que par le biais de la question de l’unité géographique plus petite que la zone d’AOC qu’il nous avait été donné d’aborder dans les études citées en notes 57 et 70. Il s’agit d’une notion remontant au règlement (CEE) n° 335/79 du Conseil du 5 février 1979 : en plus de la nécessité de donner une base juridique à la protection des climats bourguignons, ce texte prenait en considération le fait que les appellations générales peuvent comporter des secteurs œnologiques qu’on qualifierait de microclimats si l’on osait risquer un mauvais jeu de mots.

Cette notion d’unité géographique plus petite se comprend par référence à la structure pyramidale des AOC. Élément de l’appellation générale, l’appellation particulière – Moulis par exemple – est une appellation à part entière avec un cahier des charges spécifique et un ODG [= Organisme de Défense et de Gestion] qu’elle partagera souvent avec d’autres appellations particulières de même niveau ou de niveau comparable (v. par ex. note 117). Il peut aussi arriver qu’une appellation générale se compose exclusivement d’éléments ne correspondant pas à autant d’appellations particulières, ce qui est par exemple le cas des 51 Alsace Grand Cru. Il peut enfin advenir qu’au sein d’une appellation générale on puisse isoler une enclave dont la spécificité permettra aux opérateurs concernés de revendiquer leur identité sans pour autant répudier leur appartenance générale. Ainsi, parmi les divers terroirs composant les Côtes de Provence, certains sont admis à se distinguer des autres en se réclamant d’une unité géographique plus petite que l’AOC dont ils relèvent : Notre-Dame-des-Anges s’y étant ajoutée en 2019, avec Sainte Victoire, Fréjus, La Londe et Pierrefeu, il y en a actuellement cinq. Comme nous le verrons également plus loin (texte et note 76), en AOC Bordeaux, il n’y a qu’une seule unité géographique plus petite appelée « Haut-Benauge ».

Or, l’art. 5 du décret étiquetage n° 2012-655 du 4 mai 2012 ayant déterminé la DIRECCTE à stigmatiser toute tentative pouvant amener le public à voir une telle unité géographique plus petite dans tout nom géographique (infra texte et notes 74 à 82), son attention fut attirée par les secondes marques incorporant le nom d’une appellation générale dans le but de mieux encore marquer la différence avec le vin d’appellation particulière désigné par la marque domaniale de base. C’est ici Le Bordeaux de Maucaillou (supra note 63) qui a été l’objet des premières réactions contentieuses de cette administration dont nous constaterons les tâtonnements (A) avant d’en démontrer les empiétements (B).

A/ TÂTONNEMENTS de la DIRECCTE

D’un point de vue strictement formel, nous venons de suggérer qu’on peut classer les secondes marques en deux catégories selon qu’elles incorporent ou non le nom de l’appellation générale qui les distingue du premier vin dont elles dépendent. Pour le consommateur de référence, il suffit qu’on lui indique clairement que le vin proposé relève de l’appellation générale recouvrant l’appellation particulière à laquelle appartient le premier (= Mouton-Cadet), mais son information sera encore mieux assurée si le nom de cette dernière appellation apparaît dans la seconde marque. Pourtant, même s’il est évident que cette incorporation (ex. Le Bordeaux de Maucaillou) ne fait que renforcer l’extranéité de provenance par rapport au domaine de base, c’est sur elle que la Répression des Fraudes s’est focalisée en ignorant complètement que la question avait déjà été tranchée pour les secondes marques ne renvoyant pas à l’appellation générale et dont l’indépendance avec le premier vin était par conséquent un peu moins affirmée.

En ce qui concerne l’inertie de la DIRECCTE à l’égard des secondes marques n’incorporant pas le nom de l’AOC générale, l’explication est facile à pronostiquer : outre le fait que la cible était haute, elle tient au fait d’évidence que la Cour de cassation a d’ores et déjà affirmé avec la force de la chose jugée au plus haut stade hiérarchique que la marque Mouton-Cadet n’était pas déceptive. En conséquence, si cette marque n’est pas génératrice de confusion pour le public, nous ne voyons pas comment elle pourrait constituer une pratique commerciale trompeuse, du moment que, comme nous le disions plus haut, la déceptivité n’est jamais que l’une des multiples modalités concevables du délit du Code de la consommation68. D’autant que cette impossibilité résulte encore plus du fait justificatif de l’art. L. 413-8 al. 2 C. consomm. dont il faut seulement rappeler, pour l’avenir, que la loi n° 2020-699 du 10 juin 2020 relative à la transparence de l’information sur les produits agricoles et alimentaires vient d’exclure les vins du bénéfice de son application.

Dès lors, avec la délocalisation qualitative par rapport au domaine de base résultant de l’incorporation de l’appellation générale dans la dénomination de la seconde marque, nous peinons à comprendre comment il y aurait matière à caractériser une pratique commerciale trompeuse. Donc, si la DIRECCTE a soulevé cette incrimination, c’est qu’elle n’a tenu aucun compte de l’arrêt Mouton-Cadet du 26 février 2002 (supra note 61) pas plus que de l’art. L. 413-8 C. consomm. dont les vins n’étaient pas encore exclus du champ d’application.

Toujours est-il, sur ce point, que cette administration ne se contente pas des poursuites individuelles qu’elle a initiées avec le Château Maucaillou et Le Bordeaux de Maucaillou (cf. supra texte et note 63). En effet, la DIRECCTE Nouvelle Aquitaine a cosigné avec la délégation territoriale Aquitaine Poitou-Charentes de l’INAO (= aujourd’hui Institut National de l’Origine et de la Qualité) une lettre collective du 22 juin 2018 – c’est-à-dire une circulaire69 – adressée à tous les présidents d’ODG de la région. Les deux signataires y stigmatisent précisément cette utilisation d’une appellation générale bordelaise dans une marque complexe en avançant des arguments qui, faute de convaincre, ont le mérite essentiel de dévoiler urbi et orbi le pouvoir d’interprétation que s’arrogent irrégulièrement lesdits signataires.

Reconnaissons néanmoins que, pour l’instant, ces deux entités n’ont guère de motif d’inquiétude puisque dans son jugement n° 1805770 du 3 juillet 2020, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la requête en annulation de cette circulaire formée par le Conseil des grands crus classés en 1855, par l’Union des Maisons et Marques de Vins (UMVIN) et par l’Union des Maisons de Bordeaux (UMB).

Malgré cet important quitus et les approbations sans réserve de son annotateur à la Revue des Œnologues d’octobre 2020, il est frappant de constater que, pour justifier l’interdiction qu’elles voulaient imposer, la DIRECCTE et l’INAO avaient tronçonné les textes en les isolant de leur contexte réglementaire et en faisant abstraction de l’environnement jurisprudentiel dont ils ne sont pas détachables. Pour le démontrer, nous partirons de la circulaire elle-même70. Celle-ci fonde les interdictions qu’elle prononce sur deux bases essentielles :

+ d’un côté, il serait interdit de « privatiser » un nom d’appellation ;

+ d’un autre côté, il serait également illicite de suggérer au public l’existence fallacieuse d’une unité géographique plus petite que l’appellation générale dont le nom est utilisé.

Avant d’en venir au jugement de rejet, notons qu’aucun de ces deux arguments ne résiste à l’analyse. Le premier consiste à déduire du principe constant selon lequel les appellations « ne deviennent pas génériques » des conséquences qu’il ne comporte pas. Avant de reproduire les dispositions de l’ancien art. L. 711-4 CPI (devenu art. L. 711-3) qui constituent un parfait hors sujet du fait de l’art. 103-1 du règlement (UE) n° 1308/2013 (supra note 56) que nous allons immédiatement citer, la circulaire surligne les autres dispositions de l’article 103 de ce texte ainsi que l’article L. 643-1 C. rur. 71 alors que l’hypothèse visée par ces derniers correspond exclusivement à l’utilisation d’une AOC pour promouvoir un produit qui n’y a pas droit72. Or ici, il ne peut être contesté qu’en l’occurrence Le Bordeaux de Maucaillou soit un authentique bordeaux, ce qui permet indiscutablement à l’opérateur de procéder comme il le faisait pour la simple raison que, dans sa disposition initiale, l’article 103 du règlement (UE) n° 1308/2013 énonce : « I – Une appellation d’origine protégée ou une indication géographique protégée peuvent être utilisées par tout opérateur commercialisant un vin produit conformément au cahier des charges correspondant ».

Malgré cette évidence, le jugement Le Conseil des Grands crus classés en 1855 et autres s’en tient dans un premier et dans un second temps (points 11 et 12) à une analyse sémantique dont il croit pouvoir déduire que « le choix commercial d’apposer l’article défini "le" devant le nom qualifiant l’AOC suivie d’une mention propre à l’exploitant… est de nature à ôter au produit ses propriétés spécifiques, liées à un terroir géographique et à des procédés d’exploitation et à lui conférer un caractère banal et sans références ».

Toute révérence gardée, cette affirmation qui se borne à expliciter une énonciation de la circulaire73 ne laisse pas d’étonner. En effet, elle méconnaît complètement la définition que l’art. 101-1 du règlement (UE) n° 1308/201374 donne de la « dénomination devenue générique » car nous ne voyons pas comment on peut considérer que Le Bordeaux de Maucaillou puisse être qualifié de NOM COMMUN du seul fait que c’est un NOM PROPRE.

Finalement, le vice de cette motivation – qui en fait un sophisme – tient à ce que, exactement comme la circulaire du 22 juin 2018, le tribunal administratif de Bordeaux veut appliquer en même temps au même cas l’art. 103-1 du susdit règlement qui se rapporte à l’utilisation du nom de l’AOP ou de l’IGP pour désigner un produit qui y a droit et son art. 103-2 qui ne vise que les détournements d’AOP ou d’IGP pour des produits n’y ayant pas droit. D’ailleurs, si le premier texte protège expressément l’AOP et l’IGP « ainsi que le vin qui fait usage de cette dénomination protégée en respectant le cahier des charges », nous ne voyons pas comment Le Bordeaux de Maucaillou pourrait être interdit par autre chose que le cahier des charges de son appellation, ce qui n’est évidemment pas le cas, sauf à y voir artificiellement une unité goégraphique plus petite que l’AOC Bordeaux.

De fait, la motivation qui vient d’être critiquée ne peut être suivie, mais cette réfutation serait sans pertinence si le second argument avancé par la circulaire avait quelque valeur. Ce second argument consiste justement à affirmer que : « l’utilisation du nom de l’exploitation viticole "X" en complément du nom de l’appellation d’origine protégée "Bordeaux" dans la marque "Le Bordeaux de X" tend à faire croire à l’existence d’une mention géographique complémentaire "X" dans l’appellation "Bordeaux" ». Or, bien que la circulaire ne le dise pas expressément, selon l’article 5 du décret-étiquetage n° 2012-655 du 4 mai 2012, on ne peut mentionner le nom d’une unité géographique plus petite que la zone qui est à la base de l’AOP que si « cette possibilité est prévue dans le cahier des charges » ; et, du moment que, comme nous venons de le dire, le cahier des charges de l’AOP Bordeaux75 ne prévoit qu’une seule unité géographique plus petite appelée « Haut-Benauge »76, le « Bordeaux de X » dont parle la circulaire, ou Le Bordeaux de Maucaillou sur lequel la DIRECCTE Nouvelle-Aquitaine venait de se faire les griffes, seraient strictement interdits.

En conséquence, la seule question qui se pose à ce stade est celle de savoir si n’importe quel nom géographique peut être considéré comme celui d’une unité géographique plus petite en l’absence de consécration officielle du seul fait que ce toponyme désigne un territoire situé dans une zone d’AOP ou d’IGP. Pour justifier cette position radicale, la circulaire sous examen se contente de reproduire le texte de l’art. 67-3 du règlement (CE) n° 607/2009 de la Commission du 14 juillet 200977 qui définissait le nom d’une unité géographique plus petite ou plus grande comme le fait à sa suite l’art. 55-3 du règlement délégué (UE) 2019/33, c’est-à-dire comme celui de : « a/ une localité ou un groupe de localités ; b/ une zone administrative locale ou une partie de cette zone ; c/ une sous-région viticole ou une partie de sous-région viticole ; d/ une zone administrative ». Sur ces bases, la DIRECCTE Midi-Pyrénées avait déjà estimé que tout « lieu-dit cadastré » constitue virtuellement une unité géographique plus petite dont le nom ne peut être utilisé que si le cahier des charges le permet78. Il est par conséquent logique que la circulaire ait développé cet argument.

Cependant, pour qu’il soit convaincant, encore faudrait-il que les entités rédactrices de ce document aient lu en son entier le texte européen sur lequel elles ont fondé leur analyse. Or justement ici, avant l’art. 67-3, l’art. 67-2 du règlement (CE) n° 607/200979 énonçait clairement que « l’aire de l’unité géographique en question est délimitée avec précision ». Bien sûr, on pourra toujours essayer de rétorquer que chacun des secteurs géographiques de l’art. 67-3 – ou de l’art. 55-3 – est parfaitement « délimité ». À quoi il est facile de répondre que le tracé des frontières d’une commune ou d’une « zone administrative » est totalement étranger aux préoccupations œnologiques qui président seules à celui d’une AOP ou d’une IGP. En effet, ce tracé-là est totalement indifférent au « lien entre le produit et l’origine » qui doit impérativement caractériser celui de ces dernières et dont nous allons très vite reparler.

C’est si vrai que les art. 67-2 et 55-2 se bornent à entériner le principe de bon sens qu’avait posé la Cour de Luxembourg dans l’arrêt Cadets d’Aquitaine80 : « Or force est de constater que dans les deux cas [= unité géographique plus petite ou plus grande], l’usage de tels noms doit être prévu explicitement par les États-membres ». D’ailleurs, la Cour de cassation81 avait déjà considéré sur la base du règlement (CEE) n° 355/79 du Conseil du 5 février 1979 initiateur de la notion, ainsi que nous venons de le rappeler, « que selon l’article 14–2 dudit règlement communautaire, les États-membres peuvent accorder à des vqprd [= vins de qualité produits dans une région déterminée] le nom d’une unité géographique plus restreinte que la région déterminée en question À CONDITION QUE CETTE UNITÉ GÉOGRAPHIQUE SOIT BIEN DÉLIMITÉE ». (Souligné par nous)

Il en résulte inéluctablement qu’une commune et une zone administrative ou un simple « lieu-dit » pour reprendre la terminologie de l’injonction béarnaise visée plus haut (texte et note 78), ne peuvent être considérés comme des unités géographiques plus petites – ou plus grandes – que si le cahier des charges de l’appellation en décide ainsi. Autrement, en effet, il faudrait voir une telle unité géographique dans tout toponyme désignant des terres à vocation vitivinicole se trouvant en zone d’AOP ou en IGP, ce qui aurait pour curieux résultat, relativement aux noms de communes, de mettre hors la loi en AOC Margaux les Châteaux Brane-Cantenac, Boyd-Cantenac et Cantenac-Brown (tous trois classés second et troisièmes crus en 1855) au double motif que le cahier des charges de l’AOC Margaux ne distingue aucune unité géographique plus petite dans sa zone, mais qu’il s’y trouve une commune dénommée Cantenac. Sans parler du Château Prieuré Cantenac (4e cru classé), puisqu’il est devenu Château Prieuré-Lichine, ni du confidentiel Château Cantenac, en AOC Saint-Émilion.

D’ailleurs, en suivant le raisonnement des signataires de la circulaire du 22 juin 2018, on ne voit pas pourquoi c’est seulement à une unité géographique plus petite plutôt que carrément à une appellation d’origine contrôlée que devrait correspondre le nom d’une localité non mentionné dans le cahier des charges. Il suffit en effet de lire l’art. L. 431-1 C. consomm. pour constater qu’il définit l’appellation comme « la dénomination d’un pays, d’une région ou d’une localité ». Mais justement, s’ils ne sont pas allés jusque-là, c’est parce qu’avec les appellations, « les États-membres devraient prêter une attention particulière à la description du lien entre la qualité et les caractéristiques du produit et l’environnement géographique particulier » comme l’impose le considérant n° 8 du règlement délégué (UE) 2019/33. Or c’est précisément l’établissement de ce lien qui interdit de confondre une simple délimitation administrative et une délimitation œnologique.

Sur cette question capitale, les points 13 à 16 du jugement Le Conseil des Grands crus classés en 1855 et autres se bornent à remodeler les assertions de la circulaire du 22 juin 2018 sans aucunement se demander si le raisonnement proposé est compatible avec la définition-même de l’unité géographique plus petite qu’imposent les textes européens et la jurisprudence de la Cour de Luxembourg. Pourtant, le mémoire en réplique des requérants qui étaient représentés par mon confrère Samuel Crevel du cabinet Racine proposait bien une discussion serrée de la question (p. 11 à 15).

Malgré la décision de rejet, la preuve est ainsi faite du total mal-fondé de la circulaire et des diverses injonctions adressées jusqu’ici par les antennes locales de la DIRECCTE sans que cela ne perturbe grand monde, à commencer par le tribunal administratif de Bordeaux. Il est contraire aux art. 67-2 et 55-2 des règlements n° 607/2009 et 2019/33 de postuler qu’un nom géographique puisse être ressenti par le consommateur de référence – c’est-à-dire aujourd’hui par le « consommateur DE VIN » des arrêts Petrus-Lambertini et Château Reignac – comme l’évocation automatique d’une unité géographique plus petite au seul motif que le terroir qu’il désigne est classé en AOC ou en IGP. En plus, il faudrait encore que ledit consommateur de référence sache ce qu’est une unité géographique plus petite, alors qu’il n’est même pas certain qu’il sache très bien ce qu’est une AOC.

Évidemment, le zélateur de la DIRECCTE brandira l’arrêt Saint-Tropez/Grimaudin où la Chambre criminelle a fait prévaloir la rigueur de cette administration sur les raisons douteuses qui avaient dicté la relaxe82. Toutefois, il est patent que la Haute juridiction n’avait pas été saisie par les prévenus du bien-fondé de la définition donnée par la poursuite à l’unité géographique plus petite.

Il est alors fatal que l’effondrement du second argument de la circulaire de 2018 emporte irrémédiablement celui de la première raison qu’elle avait avancée. Du moment que, comme une AOC83, une unité géographique plus petite ou plus grande ne peut être considérée comme telle que si elle a été définie en ce sens par les pouvoirs publics, l’art. 103-1 du règlement (UE) n° 1308/2013 autorise parfaitement l’opérateur à en utiliser le nom pour désigner le produit qui y a droit. Dès lors, ex lege, le procédé commercial interdit par la DIRECCTE se trouve autorisé dans son principe, et c’est le lieu de constater que, par ses interprétations hasardeuses, la DIRECCTE est sortie de son rôle.

En effet, tant la lecture de la circulaire que celle du jugement ou des diverses injonctions provenant de cette administration révèlent que tout ici est question d’impression et qu’en définitive le rejet des requêtes vaut reconnaissance d’un pouvoir souverain à son intime conviction.

À ce compte, nous ne sommes pas étonnés de voir la DIRECCTE Nouvelle Aquitaine réorienter son argumentation par le truchement d’un article publié dans Vitisphère du 16 octobre 2020 sous la signature d’Alexandre Abellan. S’étant vu demander « Pourquoi la marque Mouton-Cadet n’est-elle pas attaquée pour tromperie du consommateur ? », le chef de service de cette administration régionale – un instant déceptivement prénommé Laurent par cet article – justifie l’inertie de ses troupes d’une manière révélatrice : avec Mouton- Cadet qui gravite pourtant sensiblement dans l’orbite d’un premier cru classé, « il n’y a pas d’utilisation d’AOC de manière privative dans son nom [et donc pas de] troubles à l’ordre public économique ». De fait, questionnée en son temps par la Répression des Fraudes à ce sujet, la Commission européenne (et non la Cour de Luxembourg) avait avalisé cette marque en affirmant que « si elle suggère un lien avec la marque Château Mouton-Rothschild appartenant à la même famille, elle n’est pas apparue comme créant une confusion avec un lieu-dit au sens viticole du terme ni avec une appellation d’origine ».

Ainsi, on oblitère carrément le motif décisoire de l’arrêt Mouton-Cadet du 26 février 2002 (supra texte et notre 61) comme on néglige bla rédaction d’alors de l’art. L. 413-8 al. C. consomm. On focalise en effet le débat sur l’iconisation des appellations d’origine alors que l’art. 103-1 du règlement (UE) n° 1308/2013 énonce expressément que, comme les IGP, elles « peuvent être utilisées par tout opérateur commercialisant un vin produit conformément au cahier des charges ».

On voit donc qu’à la base il y a une question d’interprétation des textes et il faut maintenant se demander si la DIRECCTE est compétente pour la mener, même avec l’onction de la Commission de Bruxelles.

B/ EMPIÈTEMENTS de la DIRECCTE

À moins que, victime du syndrome de la loi Évin, l’intégralité du droit vitivinicole ne soit gouvernée par le principe liberticide selon lequel tout ce qui n’est pas expressément autorisé est nécessairement interdit, l’anathème fulminé par la circulaire DIRECCTE/INAO de 2018 et avalisé par le tribunal administratif de Bordeaux suppose impérativement qu’il faille écarter la possibilité ouverte par l’art. 103-1 du règlement (UE) n° 1308/2013 au profit du puritanisme oncologique qu’elle veut faire prévaloir. Or, on ne peut aboutir à une telle solution qu’en démontrant qu’elle se déduit du cahier des charges concerné. Dès lors, pour y arriver, il faut encore qu’on doive obligatoirement qualifier d’unité géographique plus petite chacune des dénominations énumérées aux articles 67-3 et 55-3 des règlements n° 607/2009 et 2019/33 du seul fait que le terroir considéré est situé en zone d’appellation. Nous venons d’en démontrer l’impossibilité autant que l’absurdité, et la seule question qui se pose est celle de savoir si la DIRECCTE et l’INAO ont véritablement compétence pour procéder à de telles interprétations et pour tenter de les imposer.

Nous ne contesterons évidemment pas le fait que le champ d’activité de ces deux organismes qui est légal pour l’INAO (art. L. 642-5 C. rur.) et réglementaire pour la DIRECCTE (art. 1 et 2 du décret du 10 novembre 2009) englobe indiscutablement les questions litigieuses. C’est d’ailleurs à ce seul motif que se tient le tribunal administratif de Bordeaux pour écarter les griefs de légalité externe que faisaient les requérants à cette circulaire du 22 juin 2018 (points n°s 2 à 4). Toutefois, ce n’est pas parce que « les questions relatives à l’étiquetage, la présentation des produits bénéficiant des signes d’identification de la qualité et de l’origine, et la loyauté des pratiques commerciales concernant ces derniers » rentrent bien dans la compétence de la DIRECCTE et de l’INAO que ceux-ci avaient le pouvoir de prendre les initiatives normatives qui leur étaient contestées. En effet, conseiller n’est pas décider.

Pourtant, nous verrons dans la conclusion de cette étude que, dans son arrêt Brun c/ INAO du 19 mars 1996 (infra note 153), la 1re Chambre civile de la Cour de cassation avait déjà développé cet argument pour justifier le pouvoir que s’était arrogé l’Institut d’interdire la mise sur le marché d’un beaujolais nouveau issu d’un vignoble planté à coups de « baux fictifs ». Au motif « qu’il [l’INAO] est notamment chargé d’interdire la circulation de vins ne répondant pas aux exigences des décrets de contrôle », la haute juridiction avait censuré la cour de Lyon qui avait au contraire estimé que la rétention du label constituait une voie de fait puisqu’elle portait atteinte à la propriété mobilière en dehors de toutes dispositions en ce sens des décrets de contrôle. Cette dernière solution se justifiait parfaitement pour la bonne raison qu’on ne saurait confondre compétence et pouvoir. Qu’en effet, la DIRECCTE ou l’INAO bénéficient d’une compétence d’attribution leur permettant d’agir dans un secteur déterminé ne leur donne pas pour autant le pouvoir de prendre dans le domaine considéré les mesures qui relèvent d’une autorité supérieure ou d’une autorité différente. L’une comme l’autre sont liés par le principe constitutionnel de séparation des pouvoirs.

De ce point de vue essentiel, on ne peut approuver ni cet arrêt de la Cour de cassation ni le récent jugement du tribunal administratif de Bordeaux. Pour achever de l’établir, nous ferons même abstraction du fait que, dans les deux cas, les textes de base à interpréter sont d’origine européenne, ce qui impose des modalités spécifiques excluant certainement qu’une simple administration puisse s’y aventurer (cf. Jean Boulouis, Rép. dr. communautaire, t° 3, v° « Interprétation (renvoi en) »). Il est en tout cas étrange de constater que, dans les interprétations qu’ils proposent, le gendarme du vignoble et le gardien des AOC témoignent d’un certain manque de rigueur. Cependant, pour s’en tenir au Bordeaux de Maucaillou, il serait excessif de faire grief aux agents de la DIRECCTE et de l’INAO d’oublier dans leur analyse tel arrêt essentiel de la Cour de cassation, en l’occurrence, l’arrêt Mouton-Cadet (cf. supra texte et note 61), telle disposition capitale du droit interne comme l’ancien art. L. 413-8 C. consomm. ou telle règle fondamentale du droit européen comme l’art. 67-2 du règlement (CE) n° 607/2009 devenu art. 55-2 du règlement délégué 2019/33.

En effet, comme le relevait autrefois mon collègue publiciste Jean-Claude Douence84, « pour un fonctionnaire, dans une bureaucratie, la véritable règle de droit à appliquer est contenue dans l’instruction de ses supérieurs plus que dans une loi ou un règlement ». Mais alors on constate aussitôt que, de ce fait même, il peut arriver que les agents de l’administration concernée n’aient qu’une vision imparfaite des dispositions juridiques applicables et qu’ils ne découvrent l’orthodoxie que si le juge le leur impose. Il est donc inquiétant de constater l’emprise de la DIRECCTE sur le procès pénal du vin. Elle dicte en effet sa vision de la loi au Parquet comme au juge chargé de l’appliquer. C’est au point que, devant le tribunal correctionnel de Bordeaux, les agents des Fraudes interviennent comme SAPITEURS en même temps que comme auxiliaires de la répression.

En réalité, les intéressés n’ont même pas conscience de cette anomalie. Ainsi, dans une affaire actuellement en cours devant le tribunal administratif de Toulon, la DIRECCTE PACA a affirmé par l’entremise du Préfet qu’elle « n’a pas interprété les textes mais n’en a fait qu’une simple application conforme à l’interprétation des textes faite par la Cour de cassation puis par le tribunal de police de Toulon » (Instance n° 1903489, p. 13). Que, pour cette dernière référence, les justiciables concernés n’aient même pas songé – à part un seul d’entre eux85 – à contester la fausse application des art. 67-3 et 55-3 des deux règlements sus-visés en lieu et place de leurs articles 67-2 et 55-2 n’autorise pourtant pas la DIRECCTE à nier l’interprétation créatrice à laquelle elle s’est livrée.

D’ailleurs, au second paragraphe de cette même page 13 du mémoire préfectoral, elle avoue inconsciemment les ressorts de sa démarche en consacrant 10 lignes à démontrer que, dès 2004, l’INAO avait mené des études de terroir à la demande de l’ODG sur le « secteur du golfe de Saint-Tropez ». L’Institut en avait conclu que rien « ne s’oppose réellement à la création d’une dénomination géographique complémentaire" Saint-Tropez" au sein de l’AOC Côtes de Provence » et le mémoire en question croit pouvoir en déduire que la seule évocation du nom de cette commune met alors son auteur en infraction par rapport au droit des appellations. Or, à l’exact contraire du dessein de la DIRECCTE, cela démontre tout simplement que le gardien des AOC n’avait finalement pas donné de suite à son analyse des sols et que la DIRECCTE PACA n’hésite pas à se substituer au ministre compétent pour protéger une dénomination qui ne l’est pas encore officiellement et qui ne le sera peut-être jamais. Elle se conduit donc sans vergogne comme le gérant d’affaires de l’autorité publique défaillante à ses yeux. Au fond, pour démontrer qu’elle ne se livre pas à une interprétation interdite des textes, la DIRECCTE PACA s’affirme titulaire d’une mission de suppléance à l’inertie réglementaire.

En plus de cette incongruité majeure, il est tout aussi révélateur de voir le second paragraphe de la dernière page de la circulaire DIRECCTE/INAO du 22 juin 2018 (supra note 70) ouvrir la porte à des poursuites pénales pour pratiques commerciales trompeuses dans les termes suivants : « Sous réserve de l’appréciation souveraine des tribunaux, la référence à "Y" dans la dénomination du vin "Le Bordeaux de Y" marque l’origine et l’appartenance ou la correspondance de ce vin à "Y" ou au "Château Y" pour un consommateur raisonnablement averti ». Sous l’apparence d’une clause de style parfaitement anodine et même respectueuse de l’autorité judiciaire, la formule « sous réserve de l’appréciation souveraine des tribunaux » est lourde d’implications décisives. Elle figure en effet ordinairement au pied de tout avis émanant d’un consultant prudent. Elle démontre donc que, si la DIRECCTE a cette vision-là des choses, elle admet qu’il y a matière à interprétation et qu’elle se livre finalement à une appréciation avant-dire droit. En d’autres termes, l’administration des Fraudes ne se cache pas d’interpréter les textes à sa manière et d’en déduire des sanctions qu’elle va directement appliquer dans son domaine de compétence avec le bénéfice du préalable et de l’exécution d’office86. Or, du fait des tâtonnements – pour ne pas dire des erreurs – rappelés ci-dessus, la DIRECCTE s’arroge finalement une mission prophylactique extraordinaire qui, par le biais d’une hypertrophie de l’art. L. 521-1, dépasse celle que lui impartit l’art. L. 511-3 C. consomm.

Il est sans importance que cette administration se défende de ces accusations en prétendant que le grief qu’elle fait aux opérateurs concernés n’est pas d’avoir usurpé le nom d’une unité géographique apocryphe, mais simplement d’avoir fallacieusement insinué au public destinataire que le vin proposé avait une telle provenance. Ainsi, dans l’instance varoise n° 1903489 sus-évoquée, l’irrégularité consisterait pour la dénomination « Do you Tropez ? », non pas à suggérer qu’en plus des cinq unités géographiques plus petites déjà citées, l’AOC Côtes de Provence en comporterait une sixième dénommée Saint-Tropez, mais à indiquer aux consommateurs que le vin empruntant ainsi sa dénomination à une ancienne chanson de Brigitte Bardot aurait cette origine.

Cependant, la seule présentation de cette tentative d’esquive montre simplement un glissement dans l’argumentation de la DIRECCTE PACA : ayant compris que son approche initiale achopperait irrémédiablement sur l’arrêt Cadets d’Aquitaine (supra texte et note 80) et sur l’article 55-2 du règlement délégué (UE) 2019/33, elle la transforme en accusation de tromperie sur la provenance. Mais, en réalité, cet ajustement de cause vire encore au sophisme car, pour qu’il y ait une suggestion géographique trompeuse, il faut admettre qu’aux yeux du public, tout toponyme désignant un terroir compris dans une appellation (ex. la commune de Cantenac, en AOC Margaux) évoque nécessairement une unité géographique plus petite. Autrement dit, pour qu’il y ait une possibilité de suggestion, il faut nécessairement que le public se fasse de cette notion la même idée que la DIRECCTE. Et nous venons de démontrer que celle-ci se trompe.

Finalement, au-delà de ces subtilités, il tombe à l’évidence que l’administration des Fraudes croit que ses APPRÉCIATIONS ont valeur de CONSTATS et que ses impressions sont des preuves. Or, déjà difficilement supportable aux assises (art. 353 C. pr. pén.) ou en correctionnelle (art. 427 C. pr. pén.), l’intime conviction n’a rien à faire ici.

Entendons-nous bien : il est normal, utile, et même indispensable, que les agents de la DIRECCTE aient toute latitude pour « rechercher et constater les infractions ou les manquements aux dispositions mentionnées à la présente section » (= art. L. 511-3), ce qui les autorise très logiquement à prendre les injonctions imposant au contrevenant « de se conformer à ses obligations » (art. L. 521-1). Saisi d’ailleurs de la constitutionnalité de cette disposition formellement contraire au principe de séparation des pouvoirs, le Conseil constitutionnel87 a tout naturellement conclu à sa parfaite régularité. Après avoir considéré « qu’aux termes de l’art. 16 de la Déclaration de 1789 "toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution" »88, les Sages de la rue Montpensier ajoutent « qu’en particulier doivent être respectés le principe de légalité des délits et des peines ainsi que les droits de la défense, principes applicables à toute sanction ayant le caractère d’une punition, même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non juridictionnelle »89.

Il est ainsi parfaitement légitime que les agents des Fraudes aient le pouvoir de prononcer des interdictions « avant-dire droit » par une sorte de référé pénal préventif. Cependant, s’il est déjà discutable au regard de l’art. 6 CESDH de les voir intervenir comme auxiliaires de la poursuite avec l’aura du SAPITEUR, il n’est pas admissible qu’ils puissent s’autoriser à DÉFINIR les INFRACTIONS au lieu de se contenter de les rechercher et de les poursuivre. Avec un tel système en effet, le vignoble français se trouve placé dans la situation de l’automobiliste ou du malheureux confiné qui subirait de plein fouet l’imagination créatrice de la maréchaussée dans l’interprétation du Code de la route ou dans l’appréciation de son motif de déplacement, consacrant par là-même la fatale dérive que dénonçait Montesquieu (Esprit des lois, XI-4) dans la ligne de Thucydide : « c’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ».

Or il est évident que, si le Conseil constitutionnel s’était vu soumettre un texte autorisant la DIRECCTE à pratiquer comme elle le fait, il l’aurait certainement retoqué ; et ce n’est pas parce que la circulaire du 22 juin 2018 (supra note 57) est co-signée par le délégué territorial de l’INAO qu’elle est plus régulière pour autant. En effet, malgré l’aval du tribunal administratif de Bordeaux, nous ne voyons pas comment cet établissement public pourrait justifier, comme les ministres, du pouvoir réglementaire qui permet à ceux-ci « de prendre les mesures nécessaires au bon fonctionnement de l’administration placée sous leur autorité »90 en dehors de toute habilitation législative.

Force est par conséquent d’admettre l’incompétence radicale des agents de la DIRECCTE pour interpréter les textes déterminant l’élément légal des infractions de leur ressort. S’il a effectivement fallu près d’un demi-siècle – de 1790 à 1837 – pour que le juge judiciaire se voie progressivement reconnaître le pouvoir d’interpréter les lois91, nous ne voyons pas comment une administration, aussi estimable soit-elle, pourrait s’y croire autorisée. Si, de surcroît, nous nous risquons à comparer les pouvoirs que les Fraudes s’arrogent vis-à-vis des textes normatifs à ceux qui ont été progressivement reconnus au juge judiciaire à l’égard des simples textes réglementaires92, nous nous demanderons encore par quelle considération pour la séparation des pouvoirs elles peuvent prétendre cumuler sur leur tête les fonctions de gendarme du vignoble auxiliaire du Parquet, celles de sapiteur auprès du tribunal et celles d’interprète et de juge. Si enfin « il est défendu au juge de prononcer par voie de dispositions générales et réglementaires sur les causes qui leur sont soumises »93, nous voyons mal comment la DIRECCTE et l’INAO peuvent se permettre de proclamer officiellement le droit sur les points dont ils se saisissent.

Il est d’ailleurs révélateur de cette incompétence irrémédiable que ni le second ni surtout la première ne sont habilités à poser une QPC ou à saisir la CJUE d’une question préjudicielle. Du moment qu’ils ne disposent d’aucune JURISDICTIO, ces deux organismes publics n’ont aucune possibilité d’exercer une activité normative sauf, bien sûr, à émettre des avis ou à formuler des propositions. Quant à la DIRECCTE elle-même, rappelons simplement que l’art. L. 511-3 C. consomm. lui impartit comme mission de « rechercher et constater les infractions ». Pas de les définir.

Pour comprendre l’incongruité de la position de la DIRECCTE sur cette question précise de l’unité géographique plus petite, il n’est que de rappeler que, dans l’affaire Cadets d’Aquitaine tranchée par la CJCE le 24 octobre 2002 (supra texte et note 80), les examinateurs de l’INPI s’en étaient fait spontanément la même idée quelques années avant que l’art. 5 du décret n° 2012-655 du 4 mai 2012 ne la lui donne à elle. Ils avaient en effet refusé cette marque à l’enregistrement du fait que le droit européen leur donnait à croire que « Aquitaine » correspondait à une unité géographique plus grande dont le nom ne pouvait couvrir une marque vinicole. Or, la Cour de Luxembourg leur avait rappelé que le volapük de l’actuel art. 55-3 du règlement délégué (UE) 2019/33 ne pouvait correspondre à une unité géographique plus petite ou plus grande que si l’État-membre concerné avait expressément procédé à une délimitation en ce sens. De la sorte, le juge du droit « communautaire » avait exclu l’interprétation littérale de l’ancêtre de l’art. 55-3 pris isolément pour définir la notion litigieuse. Il est donc ainsi démontré que c’est par une fausse interprétation de ce texte que la DIRECCTE a lancé son offensive contre les secondes marques incorporant le nom d’une appellation générale.

En plus de ces empiétements indus dans le domaine du législatif, la Répression des Fraudes déborde également sur les brisées du pouvoir judiciaire pour peu qu’une marque déposée soit impliquée. Au nom du pouvoir d’injonction que lui reconnaît l’art. L. 521-1 C. consomm. avec l’approbation incontestable du Conseil constitutionnel (supra texte et notes 86 à 88), il lui arrive d’interdire l’usage d’une marque régulièrement déposée alors que l’article L. 716-1 CPI réserve le contentieux des marques à la compétence de l’INPI et de certains tribunaux autrefois de grande instance (D. 206-1 COJ).

Il y a toutefois des réactions contrastant heureusement avec le jugement Conseil des Grands crus classés en 1855 et autres, rendu le 3 juillet 2020 par le tribunal administratif de Bordeaux. Ainsi, à l’occasion du contentieux portant sur les marques « Cuvée du golfe de Saint-Tropez » et « Le Grimaudin » (cf. supra note 82), la cour administrative d’appel de Marseille a rendu deux arrêts spectaculaires94 déniant à l’administration toute compétence pour faire quelque injonction à ce sujet. Les deux arrêts étant rédigés en termes identiques, il suffira de citer les bonnes lignes de l’un d’entre eux :

« 13. Si l’article 5 du décret du 4 mai 2012 a pu légalement encadrer la mention du nom d’une unité géographique portée sur l’étiquetage et la présentation d’un produit vitivinicole, il n’a pu avoir ni pour objet, ni pour effet d’interdire l’utilisation d’une marque commerciale dûment enregistrée en application des dispositions des articles L. 712-1 du code de la propriété intellectuelle, dès lors que l’enregistrement de cette marque n’a pas été déclaré nul(Souligné par nous)

14. Il est constant que les marques «Cuvée du Golfe de Saint-Tropez» et «Le Grimaudin» ont été enregistrées auprès de lInstitut national de la propriété intellectuelle (INPI), à la demande de la SCV Les Vignerons de Grimaud, respectivement les 30 juillet 1993 et 15 juillet 2003. Il est également constant qu’à la date de la décision litigieuse, l’enregistrement de ces marques n’avait pas fait l’objet d’une action en nullité. Par suite, l’inspectrice de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ne pouvait légalement priver, sur le fondement de l’article 5 du décret du 4 mai 2012, la SCV Les Vignerons de Grimaud [la SAS Les Coteaux du Golfe de Saint-Tropez, licenciée de cette marque] de son droit de faire usage des marques dont elle est ainsi propriétaire. » (Souligné par nous).

Du seul fait que le second des passages surlignés indique clairement que l’abus de pouvoir de l’inspectrice était détachable de la fonction, on voit aussitôt que ces deux décisions ouvrent la porte à l’invocation de la théorie de l’inexistence95 en la matière. Il est donc capital de noter que, si cette jurisprudence se confirme, les irrégularités constatées au double titre des tâtonnements et des empiétements pourront être poursuivies sans aucune condition de délai aussi bien devant le juge administratif que devant le juge judiciaire96.

De plus, comme, par nature, la DIRECCTE est focalisée sur la caractérisation des infractions de son ressort et qu’elle ne dispose pas d’une plénitude de juridiction lui permettant de les appréhender dans toute leur ampleur, il est fatal que des points de droit général essentiels lui échappent. Ainsi, contrairement à la déceptivité qui est généralement considérée comme une situation continue97, le délit de pratiques commerciales trompeuses est une infraction instantanée98. Or il est de règle que « le point de départ du délai de prescription de l’action publique doit être fixé au jour où le délit est apparu et a pu être constaté dans des conditions permettant l’exercice de cette action »99. Dès lors, si jamais la pratique contestée est passée par un dépôt de marque, c’est à partir de la date de la publication de la demande d’enregistrement de celui-ci que devrait courir le délai de prescription.

C’est précisément dans ce cas que se trouvaient les déposants des marques évoquant les communes de Saint-Tropez et de Port Grimaud tout comme le déposant de la marque Le Bordeaux de Maucaillou100. On peut donc espérer ici un avenir meilleur pour les secondes marques, au moins au bénéfice de l’âge. Il faut cependant convenir que les premières manifestations de la police correctionnelle ne sont pas franchement encourageantes ; sauf bien sûr pour la tendance oncologique.

III – Police correctionnelle du vignoble : la répression des secondes marques

Ego vox clamentis in deserto (Jn 1-23). Certes, l’assimilation de nos juridictions à un désert où la voix se perd dans l’infini de la désolation est peu flatteuse. D’ailleurs, elle ne correspond pas totalement à la réalité car, pour peu qu’on porte le débat devant un tribunal spécialisé, on obtient une réponse satisfaisante à la question posée, à savoir qu’il est hors de question de voir une unité géographique plus petite dans tout toponyme d’une zone d’appellation tant que les pouvoirs publics ne l’auront pas définie comme telle. Seulement, l’heureux classicisme du tribunal de Paris101 ou du tribunal de Bordeaux102 contraste fâcheusement avec l’acharnement des juridictions répressives à obéir aux pulsions de la DIRECCTE en plaçant le consommateur sous la sauvegarde de justice sans même que celui-ci ne le demande.

La première décision a été rendue dans l’affaire du Bordeaux de Maucaillou (supra texte et note 63) ; elle illustre parfaitement les griefs que nous ventilerons sous les rubriques Impressions d’audience103 (A) et Notes de lecture (B).

A/ IMPRESSIONS d’AUDIENCE

Dans la droite ligne de l’art. 6 CESDH, la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 a ajouté au Code de procédure pénale un article préliminaire dont le I énonce : « La procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l’équilibre des droits des parties. Elle doit garantir la séparation des autorités chargées de l’action publique et des autorités de jugement. Les personnes se trouvant dans des conditions semblables et poursuivies pour les mêmes infractions doivent être jugées selon les mêmes règles » (Souligné par nous).

Or il est patent que l’intervention régulière104 comme « SAPITEURS » des agents de la DIRECCTE chargés de dire au tribunal un droit dont ils n’ont eux-mêmes qu’une appréhension limitée (cf. supra texte et notes 68 à 100) viole de plein fouet la règle salvatrice posée par la seconde phrase de cette disposition. Si en effet ils interviennent en la double qualité de « sachants » et d’« agents verbalisateurs », il n’y a plus AUCUNE garantie de « la séparation des autorités chargées de l’action publique et des autorités de jugement ».

De même, la dernière phrase des dispositions fondamentales qui viennent d’être citées implique nécessairement que les réquisitions du Parquet doivent être assorties à la gravité des infractions reprochées. Évidemment, l’art. L. 132-2 C. consomm. introduit ici un coefficient multiplicateur permettant de dépasser les 300 000 € de son plafond en fonction du chiffre d’affaires réalisé ou des dépenses de publicité engagées ; mais, sans parler de la prison avec sursis pour son dirigeant Monsieur Pascal Dourthe, il était peu cohérent de le voir réclamer ici une amende de 500 000 € contre la société Les Notables de Maucaillou alors que, ultérieurement105, dans une affaire comparable, le même procureur requérait 80 000 € contre la personne morale en charge du négoce et 60 000 € dont une partie avec sursis pour la SCEA à la tête du vignoble de base, ce qui s’explique sans doute par le moindre volume infractionnel ; mais en lieu et place de la prison avec sursis, il demandait 20  000 € avec sursis pour les dirigeants des deux sociétés dont la première avait une surface financière très supérieure à celle des Notables de Maucaillou.

De plus, cette relative mansuétude butte sur le fait que, dans le cas du Bordeaux de Maucaillou, et malgré l’intervention d’entités juridiques en dépendant, c’est au sein de la même entreprise que l’opération s’était réalisée par l’achat des récoltes, le conditionnement des vins et leur vente alors que dans l’affaire visée en note 105, le producteur s’était contenté de louer son nom au négociant qui l’employait apparemment à sa guise pour dénommer le vin. Il était ainsi paradoxal de traiter avec une plus grande sévérité les prévenus qui s’étaient finalement contentés de monter un mécanisme parfaitement respectueux des dispositions de l’ancien art. L. 713-2 qui, à l’époque des faits, autorisait expressément le propriétaire de la marque à reproduire celle-ci « avec l’adjonction de mots tels que : formule, façon, système, imitation, genre, méthode » (cf. supra, texte et note 59). Au total opposé, l’indulgence parquetière couvrait une pure convention de prête-nom.

De même encore, pour ne pas oublier le principe d’égalité des armes qui se déduit de la première phrase106, il est révélateur d’un parfait mépris de la défense et d’un manque total de courtoisie procédurale de voir ledit Parquet recevoir à l’avance les conclusions des prévenus sans les aviser ne serait-ce qu’avant l’audience du sens de ses réquisitions.

Mais surtout, s’il est de bonne guerre que l’accusation, et même le tribunal, épluche avant l’audience les éventuelles publications scientifiques des avocats de la défense pour mettre celle-ci en porte-à-faux107, il y aurait eu une meilleure impression de procès équitable si, faute pour la DIRECCTE d’avoir eu l’idée de le faire, le Parquet – voire le tribunal – s’était préoccupé de l’achèvement du délai de prescription. En effet, nous avons vu plus haut (texte et note 100) que la marque Le Bordeaux de Maucaillou avait été déposée le 5 janvier 2012, ce qui implique nécessairement (v. texte et notes 98 et 99) que l’infraction reprochée était prescrite depuis 2015, soit avant l’injonction délivrée par la DIRECCTE Nouvelle Aquitaine le 5 décembre 2016. Or, que l’on sache, « la prescription de l’action publique constitue une exception péremptoire et d’ordre public qui doit être relevée d’office par le juge »108.

Évidemment, si cette question de prescription s’était posée à la DIRECCTE, elle n’aurait pas manqué d’y apporter la même réponse que dans le mémoire en défense toulonnais dont nous avons parlé plus haut109, à savoir qu’il existerait une différence radicale entre l’usage et la validité de la marque, ce qui permettrait d’interdire et de sanctionner le premier quoi qu’il en soit de la seconde. Pour étayer cette assertion originale, la DIRECCTE PACA se réfère à l’arrêt Confi’Pure de la Cour de cassation110 : « Il ressort ainsi d’une décision de la Cour de cassation n° 12-24 959 du 21 janvier 2014 que la déceptivité d’une marque soulevée par un tiers en vue de protéger sa propre marque s’apprécie au regard des dispositions du Code de la propriété intellectuelle et non pas de celles du Code de la consommation relatives aux mentions d’étiquetage confusionnelles pour le consommateur ».

Cependant, cet arrêt, dont les Fraudes voudraient déduire une étanchéité totale du Code de la consommation par rapport au Code de la propriété intellectuelle, n’a certainement pas la portée que lui prête la DIRECCTE dans cette affaire varoise111. Il n’implique pas que le premier corpus s’applique comme si le dernier n’existait pas. Il signifie seulement en effet qu’une violation du code de la consommation ne débouche pas automatiquement sur la nullité de la marque incriminée, mais que cela suppose que cette violation se traduise par une tromperie (art. L. 711-2 8° CPI) ou par une entorse à l’ordre public (art. L. 711-2 7°). Ici d’ailleurs, dans la mesure où c’est l’étiquette même du Bordeaux de Maucaillou qui est déposée comme marque, il serait purement artificiel, pour ne pas dire factice, de distinguer ainsi l’usage, c’est-à-dire l’étiquetage, de l’étiquette proprement dite.

En effet, s’il est évident qu’on peut parfaitement utiliser un signe distinctif sans pour autant le déposer comme marque en s’exposant pour ce seul motif à une incrimination pénale indifférente au droit des marques, le seul fait du dépôt et de l’enregistrement bouleverse le schéma. Cela tient tout simplement à ce que la menace de la déchéance pour non-usage de 5 ans (art. L. 714-5 CPI) constitue à tout le moins une autorisation législative d’agir au sens de l’art. 122-4 C. pén. qui énonce : « N’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires ». Ainsi, puisque les examinateurs de l’INPI sont entre autres les gardiens de l’ordre public comme l’implique l’art. L 712-7 2 ° CPI, tant que la marque est en cours de validité, elle constituera le bouclier garantissant l’irresponsabilité pénale de son titulaire comme le rappelait implicitement la cour administrative d’appel de Marseille dans ses deux arrêts du 28 juin 2019 évoqués ci-avant (texte et note 94). Il n’est donc pas possible d’isoler l’usage du signe de l’usage de la marque et c’est bien à partir de la publicité au BOPI que l’autorité publique a été en mesure de lancer des poursuites, ce qui a eu pour effet de déclencher le cours du délai de prescription.

Il était donc trop tard pour poursuivre.

Pour cette raison au moins, il fallait relaxer.

B/ NOTES de LECTURE

En commençant la lecture du jugement par la fin, on découvre ce qui – avec l’intervention des agents de la DIRECCTE comme SAPITEURS – pourrait passer pour une autre spécialité procédurale bordelaise si l’art. 40-2 C. pr. pén. ne disposait pas que « le procureur de la République avise les plaignants et les victimes si elles sont identifiées ». En effet, juste avant de rejeter le surplus des demandes, le tribunal « constate l’absence du CIVB112 et de la Fédération des négociants de Bordeaux et de Libourne, bien que régulièrement convoqués » ; et, de fait, à l’avant-dernier paragraphe de ses motifs, il prenait soin de « déplorer l’absence aux débats [de ces deux organismes] bien que régulièrement convoqués du fait de l’importance d’une discussion collective sur le problème soumis en raison des enjeux économiques actuels »113.

En d’autres termes, pour passer de l’oncologie à la vènerie, dans la lutte contre les métastases domaniales que la DIRECCTE l’a convaincu de mener, le Parquet de Bordeaux avait sonné hallali courant114 en battant le rappel des parties civiles potentielles. Il tenait donc la cause entendue à l’avance et préjugeait de son issue en conviant à la curée tout organisme désireux de s’enrichir à peu de frais. Il est cependant symptomatique de noter ces absences car si, comme la place de Bordeaux115, l’Interprofession avait omis de se joindre à la clameur de haro lancée contre les prévenus par la DIRECCTE Nouvelle Aquitaine, c’est tout simplement parce que la pratique commerciale litigieuse n’était pas aussi critiquable et honteuse qu’il pouvait paraître à celle-ci, ainsi qu’en témoigne d’ailleurs l’identité des requérants devant le tribunal administratif de Bordeaux dans l’instance ayant abouti au jugement maintes fois cité du 3 juillet 2020 (Conseil des crus classés en 1855, Union des Maisons et Marques de Vin – UMVIN, et Union des Maisons de Bordeaux – UMB).

Dès avant la crise aïgue découlant de la pandémie, il y avait en effet – et il y a toujours – dans la région un indiscutable marasme lié à la mévente des appellations générales bordelaises116, en sorte que le CIVB et le négoce avaient plutôt à se féliciter d’un procédé permettant aux petits producteurs d’écouler convenablement leurs récoltes. Quant à l’INAO, sa constitution n’aurait eu de sens que si les AOC concernées avaient subi quelque préjudice que ce soit, ce qu’excluaient totalement les attestations favorables délivrées par les présidents des ODG les gouvernant117. Au contraire, on s’explique parfaitement la constitution de la Confédération paysanne qui traduit la réaction jalouse du petit vignoble devant un profit dont il se croit spolié118. Pour ce qui est de la Fédération des Grands Vins de Bordeaux, sa présence aux côtés de l’accusation était très largement tempérée par une remarquable modération du propos dont le tribunal ne tient strictement aucun compte.

C’est donc de pratiques commerciales trompeuses qu’il faut maintenant parler puisque c’est sur la base de cette incrimination que, au lieu des 15 000 € avec sursis pour les personnes physiques et respectivement 80 000 et 60 000 € pour les personnes morales poursuivies dans l’affaire visée en note 105 (jugement du 24 septembre 2020), Monsieur Pascal Dourthe et la société Les Notables de Maucaillou ont respectivement écopé de 20 000 et 200 000 € d’amende ferme assortis de la nota infamiae résultant de deux publications dans la presse professionnelle119. Or, une telle sévérité n’aurait pu se comprendre qu’en cas de violation flagrante de l’évidence du droit, ce qui était précisément contesté en l’espèce, car la défense se plaçait expressément sous la protection de la jurisprudence Mouton-Cadet (supra texte et note 61). Ne pouvant contester l’argument imparable, le tribunal croit pouvoir l’écarter en affirmant : « Il ne peut être fait référence à des décisions rendues dans un cadre d’intérêts privés (art. L. 711-3 CPI – maintenant L. 711-2 8°) entre titulaires de marques différentes pour nourrir le contentieux de la pratique commerciale trompeuse qui vise l’intérêt public de la protection des consommateurs dans leur ensemble ». Cependant, toute révérence encore gardée, en plus de ce qui est dit en note 68, le motif ne saurait convaincre, et ce pour trois raisons cumulatives dont chacune se suffit à elle-même :

+ d’abord, si à l’instar de l’ancien art. L. 711-3 c, le nouvel art. L. 711-2 8° CPI définit la marque déceptive comme celle qui est « de nature à tromper le public », ce ne sont pas des « intérêts privés » qu’il vise à protéger. D’ailleurs, dans la ligne des droits internes harmonisés, les art. 7 et 59 du règlement (UE) 2017-1001 du Parlement et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l’Union européenne font de la déceptivité un motif absolu de rejet pour le premier et une cause de nullité absolue pour le second120.

+ ensuite, ainsi que nous venons de le dire, l’art. L. 711-2 8° CPI sanctionne la marque « de nature à tromper le public » alors que l’art. L. 121-2 C. consomm. qualifie la pratique commerciale de trompeuse : « 1° Lorsqu'elle crée une confusion avec un autre bien ou service, une marque, un nom commercial, ou un autre signe distinctif d'un concurrent ; 2° Lorsqu'elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l'un ou plusieurs des éléments suivants : … b) Les caractéristiques essentielles du bien ou du service, à savoir : ses qualités substantielles, sa composition, ses accessoires, son origine, … ».

En notant au passage que l’un des prévenus condamnés dans la seconde affaire (supra note 105) avait vainement posé une QPC en invoquant l’absence de clarté de ce texte, on voit donc qu’avec la lourde pesanteur qui caractérise la légistique actuelle, le Code de la consommation se borne en fait à pénaliser la déceptivité qui l’était déjà sous l’empire de la loi du 23 juin 1857 (cf. supra note 36). Rappelons aussi avec notre collègue Guy Raymond (v. note 68) que la déceptivité de marque n’est jamais que l’un des aspects des pratiques commerciales trompeuses ; ce qui explique que, si une simple marque d’usage mensongère ne peut pas techniquement tomber sous le coup de la déceptivité, elle peut parfaitement se voir reprocher une pratique commerciale trompeuse, ce qui démontre bien la totale interchangeabilité des notions. Retenons donc à ce stade, comme nous l’avons déjà dit, que le mécanisme psychologique de l’atteinte à l’entendement du public que sanctionne la déceptivité est identique à celle que punit le Code de la consommation.

+ enfin – surtout, dirait un avocat –, puisque « la loi pénale est d’interprétation stricte » (art. 111-4 C. pén.), il est contraire à tous les principes du droit d’apprécier le même comportement d’une manière plus extensive au pénal qu’au civil en écartant délibérément le fait justificatif de l’ancien art. L. 413–8 C. consomm. au prétexte que c’est en matière de déceptivité que la Chambre commerciale l’a admis dans son arrêt Mouton-Cadet (cf. note 61). Il est inversement tout à fait naturel qu’au civil la simple déceptivité de marque s’apprécie largement dans la personne du consommateur d’attention moyenne et non dans celle du consommateur de grands crus121 alors qu’au pénal, c’est au contraire au « consommateur de vin » qu’il faudra se référer, comme l’ont dit pour droit l’arrêt Petrus Lambertini du 12 juin 2019 (cf. supra texte et note 66) et l’arrêt Château Reignac du 19 novembre 2019 (cf. supra texte et note 67). Il en résulte qu’il n’y a pas de différence de régime entre les pratiques commerciales trompeuses et la déceptivité. Les premières doivent simplement s’apprécier avec plus de rigueur que la seconde.

Il ne s’agit aucunement ici de proposer un raisonnement par analogie, même in bonam partem, mais simplement de se souvenir qu’en principe chaque système juridique forme un ensemble cohérent où toutes les composantes s’harmonisent autour d’une finalité commune. Comme le disait Jean Rivero dans une diatribe célèbre que nous retrouverons en note 146, « tout juriste est faiseur de système » et il serait contraire à la dernière phrase du premier alinéa de l’article préliminaire du Code de procédure pénale que « des personnes se trouvant dans des conditions semblables » puissent être soumises à des règles différentes. Le tribunal s’est ainsi irrégulièrement refusé à faire application de ce principe directeur.

De plus, en la matière, l’approche « panoramique » du cas concret était imposée par la définition-même que donne la Cour de cassation à l’élément intentionnel du délit reproché aux prévenus. Dans l’arrêt qui a fixé la jurisprudence, elle a en effet relevé « que le prévenu n’a pas pris toutes les précautions propres à assurer la véracité des messages publicitaires, et dès lors, que la seule constatation de la VIOLATION, en connaissance de cause, d’une prescription lÉgale ou rÈglementaire implique de la part de son auteur l’intention coupable exigée par l’art. L. 121-3 al. 1er C. pén. »122 (souligné par nous). Il résulte invinciblement de cette formulation que le dol pénal se déduit ici de la seule violation d’un texte législatif ou réglementaire car, ainsi que l’énonce Madame Linda Arcelin dans son étude citée en note 122, la règle Nemo censetur ignorare legem impose de considérer que « dès lors qu’un texte a été violé…, le prévenu est réputé l’avoir voulu ». Mais alors, la porte était ouverte à l’appréciation du soubassement juridique des poursuites et du pouvoir d’interprétation que s’arroge la DIRECCTE, ce que le tribunal s’est gardé de faire.

Mais aussi, du moment qu’on applique la règle Nemo censetur… au prévenu, il faut également y soumettre la poursuite et le consommateur, au moins pour respecter le principe d’égalité des armes. On est donc renvoyé aux considérations démontrant l’influence de la linguistique officielle sur l’entendement des amateurs de vin, tout comme on devrait suivre les directives qui président à la lecture des marques vinicole et, plus précisément, des étiquettes.

Certes, la souveraine appréciation du juge répressif échappe à tout système de preuve légale ; cependant, dans la mesure où celui-ci peut connaître d’une action en contrefaçon exercée par la voie pénale, il serait invraisemblable qu’il apprécie celle-ci d’une manière différente de celle qui a cours devant les tribunaux judiciaires spécialisés. Autrement dit, avant de se lancer dans quelque enquête psychologique orientée par son sapiteur attitré, le juge répressif aurait dû suivre les canons d’interprétation posés par le TPI et la CJUE. Le droit français des marques découle en effet de directives européennes et les préceptes posés par ce dernier devraient avoir sur lui une persuasive authority sinon une binding force. Évidemment ici, la poursuite du délit de pratique commerciale trompeuse n’a pas le même régime que la procédure d’opposition à enregistrement de marque. Toutefois, tant au regard des marques françaises (art. L. 713-2 2 ° CPI) qu’au regard des marques de l’Union européenne (art. 8-1-b RMUE 2017/1001), c’est le risque de confusion qu’il convient d’établir, ce qui montre l’identité de base factuelle avec le délit du Code de la consommation.

Or justement, sur ce terrain, alors que dans une marque ordinaire, les fioritures figuratives ont sensiblement la même importance que les éléments verbaux123, il en va de toute autre manière avec les marques vinicoles. En effet, dans le cadre des contentieux opposant le déposant d’une marque semi figuratives couvrant un vin à l’Office européen d’Alicante (OHMI autrefois et EUIPO aujourd’hui), le Tribunal de première instance de l’Union européenne a dit pour droit dans des termes à peu près identiques en 2005, en 2008 et en 2010124 que « les consommateurs de vin sont habitués à les désigner et à les reconnaître en fonction de l’ÉLÉment verbal qui sert à les identifier »125 (souligné par nous). Dans cette ligne, le délégataire du directeur de l’INPI a estimé, dans le cadre d’une opposition à enregistrement, que « les éléments figuratifs n’apparaissent pas essentiels dès lors qu’ils sont accompagnés d’éléments verbaux distinctifs au regard des produits concernés, par lesquels les marques en présence seront lues et prononcÉes »126 (souligné par nous).

C’est donc essentiellement à partir des éléments verbaux de la marque Le Bordeaux de Maucaillou qu’il fallait raisonner en tenant compte du fait que le consommateur éclairé connaissant le Château Maucaillou serait nécessairement frappé par la présence incongrue de l’AOC Bordeaux en lieu et place de Moulis, et par l’absence révélatrice du vocable « château » impliquant à ses yeux la commercialité du produit proposé. Certes, l’étampe stylisée du Château Maucaillou figure sur l’étiquette, mais elle ne fait qu’authentifier la signature car le Maucaillou de Moulis n’est pas le seul à porter ce nom en région bordelaise ; il existe ainsi un Domaine Maucaillou en AOC Margaux. Et surtout, outre qu’une étiquette ne soit pas un rébus, les indications de la contre étiquette apportent toute lumière sur la non-domanialité du produit.

Il fallait évidemment aussi se souvenir de l’apport de la jurisprudence européenne et de l’arrêt Petrus Lambertini dont nous venons de reparler. Il résulte en effet de cet ensemble de décisions que c’est un véritable dol au sens de l’article 1137 C. civ. qui doit avoir surpris le « consentement du consommateur de vin normalement informé et raisonnablement attentif et avisé » évoqué par le dernier arrêt. Or, s’il est évident que la notion de dolus bonus se rétrécit en droit civil sous l’influence du droit de la consommation127, c’est tout simplement parce que le droit des obligations n’obéit pas au principe de légalité qui impose l’interprétation stricte dont nous avons aussi parlé. Ainsi, au lieu de présumer le consommateur incapable de saisir le sens de ce qu’il lit et de comprendre un message imposé par la loi, il fallait s’en tenir au vieux principe selon lequel « l’exagération publicitaire ne dépassant pas ce qui est habituel dans les pratiques commerciales n’est pas constitutive de dol »128.

En conséquence, à l’exact opposé de ce qu’a fait le tribunal et sans même insister sur les « ambiguïtés » relevées en note 119, il fallait aborder le cas litigieux à la lumière de la jurisprudence Mouton-Cadet et de l’ancien art. L. 413-8 C. consomm. en vigueur au moment des faits qui l’a certainement inspirée. À l’inverse, le voici qui opte résolument pour le « tout répressif » en reprenant expressément à son compte les appréciations de la DIRECCTE dont nous avons déjà démontré les faiblesses. Il écarte systématiquement tout argument venant les contredire. Il est ainsi complètement indifférent pour lui que la mise en bouteille du vin soit ostensiblement une mise-négoce et non une mise-domaine129. De même, l’absence du vocable « château » dans la dénomination Le Bordeaux de Maucaillou devient totalement négligeable alors que nous avons montré (supra texte et notes 48 à 67) qu’il y avait là un SILENCE ÉLOQUENT du fait qu’il était renforcé par l’indication positive de l’appellation générale Bordeaux qui est exclusive de l’appellation particulière Moulis.

Pour se dispenser d’avoir à l’apprécier, le tribunal soumet les dispositions finales de l’art. 6130 et les dispositions initiales de l’art. 8131 de l’actuel décret-étiquetage du 4 mai 2012 à une exégèse personnelle millimétrée dont il croit pouvoir affirmer que ce dernier « article distingue le nom de l’exploitation proprement dit auquel on peut ajouter ou non une mention réglementée visée à l’article 7 ». Pourtant, c’est par ailleurs la présence de ces vocables fétiche qui caractérise à elle seule la domanialité d’une dénomination vinicole aux yeux de la Répression des Fraudes (cf. supra note 47) comme aux yeux du public. Mais surtout, on ne voit pas comment le tribunal a pu tirer d’un texte qui permet spécialement à deux exploitations qui ont été réunies dans le patrimoine d’un seul de continuer à s’appeler Château X et Château Y sous condition de vinifications séparées, que le nom de ces exploitations est simplement X ou Y expurgé de « château ». Si tel avait été le cas, en effet, il n’y aurait pas eu besoin d’une disposition spécifique pour autoriser chacun des deux vignobles réunis à porter son nom d’origine. En fait, animé d’une ardeur répressive, le tribunal interprète chaque élément de droit et chaque donnée de fait dans le sens de la répression.

Il ignore ici que, à part des exceptions remarquables déjà indiquées comme Petrus, La Romanée, La Tâche, La Mouline, La Turque et quelques autres, les marques domaniales se caractérisent verbalement par la conjonction « syntagmatique » de noms et de mots réglementés qui en font un tout indivisible. De la sorte, il se met en position de souverainement mépriser l’incidence de la présence et de l’absence du vocable « château » sur l’entendement du consommateur de référence alors que la défense avait formellement appelé l’Académie à la rescousse pour lui démontrer l’importance de cet élément verbal. Or nous pensions avoir établi du même coup l’acculturation du public à la linguistique réglementaire (cf. supra texte et note 53), ce qui aurait normalement dû convaincre le juge que celle-ci répondait pleinement « à l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi » 132.

Le tribunal continue en niant tout effet à l’indication expresse de l’appellation générale Bordeaux qui se distingue pourtant de l’appellation particulière Moulis comme la molécule se distingue de l’atome. Il poursuit en refusant de tenir compte de la contre-étiquette précisant l’origine extra-médocaine du vin et de donner quelque portée que ce soit aux mentions d’étiquetage impliquant une nature commerciale. Il focalise aussi sur les éléments figuratifs sans tenir compte des éléments verbaux alors qu’il aurait dû faire l’inverse conformément à la jurisprudence « communautaire » précitée (note 124 et 125). Il persiste en plaçant le Château Maucaillou, le N° 2 de Maucaillou, le Haut-Médoc de Maucaillou et le Bordeaux de Maucaillou dans une même FAMILLE de VINS alors que nous parlions simplement de FAMILLE de MARQUES133. Il invente aussi une proximité de prix entre le premier vin et la seconde marque litigieuse134. Il isole encore dans la fiche marque du Bordeaux de Maucaillou135 une transmission éphémère de propriété à la société d’exploitation du Château Maucaillou en taisant soigneusement la cession finale à la société de négoce Les Notables de Maucaillou. Comme si le consommateur de vin consultait le site de l’INPI et comme si, dans cette hypothèse, il ne le lisait que d’un œil. Et surtout, partageant sans le dire l’approche très personnelle de la DIRECCTE sur la notion d’unité géographique plus petite, le tribunal se met prudemment en position de ne pas avoir à faire jouer au bénéfice des prévenus les faits justificatifs que nous avons croisés de-ci de-là136. En effet, le seul et unique moyen d’écarter l’autorisation expresse de l’art. 103-1 du règlement (UE) n° 1308/2013 (« Une AOP ou une IGP… peuvent être utilisées par tout opérateur ») est de considérer que ce nom n’est pas utilisé « conformément au cahier des charges correspondant ». Et nous ne dirons rien de son silence abyssal sur la prescription extinctive137.

Bref, le tribunal méconnaît complètement le principe essentiel que la sagesse romaine posait plus de mille ans avant que Beccaria n’invente la légalité des délits et des peines. On le retrouve au Digeste138 dans toute sa clarté : « In poenalibus causis, benignius interpretandum est »139. Et, si le tribunal dérape ainsi, c’est tout simplement parce qu’il se fait aveuglément l’écho amplificateur des manies répressives de la DIRECCTE140, une DIRECCTE à laquelle il prête une infaillibilité et une perfection comparables à celles que le XVIIIe siècle anglais attribuait à son roi141. Cependant, à l’époque de Blackstone, le roi d’Angleterre régnait mais ne gouvernait pas. Et chez nous, quelques années après, comme le rappelait le Conseil constitutionnel dans sa décision précitée du 13 mars 2014 (cf. supra texte et notes 87 à 89), l’Assemblée constituante proclamait solennellement que « toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée n’a point de constitution »…142. Les assises juridiques de la sanction sont donc extrêmement fragiles, et ses effets seront dévastateurs. En effet, si l’on persiste à s’en tenir aux voies oncologiques pour interdire aux Bordelais de continuer à capitaliser sur leurs marques domaniales, on finira obligatoirement par s’intéresser aux grands empires du vignoble bourguignon ou des vignobles rhodaniens qui vendent sous leur nom aussi bien le vin qu’ils produisent que celui qu’ils achètent aux fins de le revendre. Nous avons déjà rencontré cette pratique qui ne paraît pas avoir été contestée à ce jour.

En tout cas, il reste une vérité juridique inconnue de la DIRECCTE et donc ignorée par le tribunal de Bordeaux. Elle tient à ce que l’actualité législative contredit irrémédiablement la condamnation sans qu’on puisse y objecter quoi que ce soit car, ainsi que nous l’avons déjà dit en passant, même si son activité actuelle a été freinée par le (ou plutôt « la ») COVID-19, le Parlement a définitivement voté la proposition de loi qui avait été adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale143 et qui exclut le vin du bénéfice des dispositions salvatrices de l’art. L. 413-8 C. consomm. lequel, après avoir interdit les fausses indications, écarte la répression « lorsque le produit porte, en caractère manifestement apparents, l’indication de la véritable origine».

En conséquence, si la loi n° 2020-699 du 10 juin 2020 a jugé bon d’écarter les vins du bénéfice de la règle de bon sens interdisant au consommateur de prétendre avoir été trompé alors qu’il a été mis en position de connaître l’exacte origine du produit, cette disposition ne joue que pour l’avenir. Au moment des faits reprochés aux prévenus, l’art. L. 413-8 al. 2 C. consomm. avait pleine force dans son ancienne rédaction et il fallait en tenir compte.

La relaxe était ainsi INÉLUCTABLE.

EN CONCLUSION

Au-delà d’une motivation orientée, c’est finalement l’omniprésence de la DIRECCTE dans le droit pénal du vin qui attire l’attention et qui dérange, tout comme d’ailleurs nous dérangent aussi les multiples manifestations actuelles de l’omnipotence policière144. Pour en rester à la DIRECCTE, la loi l’investit tout naturellement de très larges pouvoirs pour constater, poursuivre et faire cesser les infractions qui relèvent de sa compétence, et elle les excède sans qu’aucune autorité juridictionnelle ne s’en émeuve.

1/ Elle définit elle-même l’élément légal des infractions qu’elle peut seulement constater en substituant sa propre approche de l’unité géographique plus petite à celle que devrait lui imposer le texte européen qui l’a posée.

2/ Elle en déduit un risque de confusion qu’elle pourfend comme s’il était réalisé dans un domaine où la tentative n’est même pas punissable.

3/ Elle ignore tout élément de droit ou de fait contredisant son analyse psychologique et ses intuitions juridiques.

4/ Elle occupe à Bordeaux dans la police correctionnelle des vins une place que lui récuse le Code de procédure pénale un peu comme si le droit pénal du vin était un « droit pénal de l’ennemi »145 où tous les coups sont permis de la part de l’accusation.

Cette promotion procédurale de la DIRECCTE illustre en fait la manière très particulière qu’a le pouvoir judiciaire de régler le jeu de la séparation des pouvoirs en ce domaine car elle n’est pas la seule autorité publique à pratiquer l’ultra vires dans le monde du vin. Nous avons déjà rencontré l’arrêt Brun c/ INAO du 19 mars 1996 dont nous donnons les références en note 153. La Cour de cassation y légitimé une mesure de pure police administrative prise par l’Institut (refus de délivrance du label) en dehors de tout texte au motif qu’il entrait à l’époque dans ses attributions « de vérifier si le demandeur d’un certificat d’agrément satisfait à l’ensemble des conditions requises par la réglementation communautaire ou nationale, y compris celles relatives à la replantation des vignes et qu’il est notamment chargé d’interdire la circulation de vins ne répondant pas aux exigences des décrets de contrôle » (aujourd’hui remplacés par les arrêtés d’homologation du cahier des charges). Au fond, exactement comme en biologie ou la nature veut que « la fonction créé l’organe », en droit, la seule existence de l’organe justifie son pouvoir comme on pourrait le déduire de l’arrêt Jamart du 7 février 1936 (supra note 90).

Toujours est-il que cette révérence injustifiée à la DIRECCTE montre en plus que, comme elle, le tribunal a procédé à une balkanisation des règles applicables en refusant de les interpréter autrement qu’en parfaite autarcie. Il a ainsi artificiellement isolé l’art. L. 121-2 C. consomm. de l’ancien art. L. 413-8 du même code comme de l’art. 103-1 du règlement (UE) n° 1308/2013. Pourtant, le texte qui a été le prétexte de la sanction n’est rien d’autre qu’une composante du système de droit à la lumière duquel il convenait de l’interpréter146.

Le dossier du Bordeaux de Maucaillou est vraiment exemplaire de ce constat désabusé. Avant que la DIRECCTE Nouvelle Aquitaine ne le défère au Parquet, son injonction avait essentiellement porté sur l’illicéité résultant à ses yeux de l’incorporation de l’AOC Bordeaux dans cette marque. Elle y voyait l’évocation irrégulière d’une unité géographique plus petite et c’est après la démonstration méthodique de son erreur sur ce point (cf. supra, texte et notes 74 à 83) qu’elle ajusta la cause en se déportant vers l’incrimination de pratique commerciale trompeuse. Malgré le total respect de son injonction du fait de l’échec de leur référé-suspension (cf. supra note 86), les prévenus ont été poursuivis et condamnés de ce chef.

Le cœur du problème est que, ne pouvant décliner autour de son nom comme nous l’avons rappelé en note 133 puisqu’il avait été irrévocablement jugé que celui-ci avait été apporté à une société de négoce ultérieurement cédée à une importante maison bordelaise147, Monsieur Dourthe se trouvait typiquement dans la même situation que le baron Philippe de Rothschild au début des années 1930. En effet, ce dernier ne pouvait pas davantage utiliser son patronyme ut singuli dans le domaine du vin puisqu’il le partageait avec ses cousins de la branche française148 dont le fondateur avait acheté le Château Lafite en 1868 alors que son propre aïeul avait acheté Brane Mouton en 1853. Exactement comme celui-ci avait créé Mouton-Cadet, celui-là imagina donc Le Bordeaux de Maucaillou.

Comme nous l’avons dit plus haut, une fois devenu seconde marque après avoir été conçu comme second vin (v. supra texte et notes 13 à 16), Mouton-Cadet continua de plus belle à renvoyer au Château Mouton Rothschild car, outre sa dénomination déjà dépourvue d’équivoque, son étiquette arborait le blason de la famille Rothschild et mentionnait explicitement « Baron Philippe » en caractères encore plus gros que les appellations Bordeaux ou Bordeaux blanc, qui devaient finalement le dédouaner comme en témoigne la reproduction qui en est faite dans la thèse maintes fois citée de Madame Caroline Lampre149. Sur ces bases où l’évocation était indiscutable, la Cour de cassation a pourtant approuvé la cour de Bordeaux de n’y avoir vu aucune déceptivité dans son arrêt de rejet du 26 février 2002 (supra note 61).

Ici, du seul fait de l’utilisation du toponyme Maucaillou et d’une étampe stylisée du Château Maucaillou dont, sans parler du droit européen évoqué ci-avant (texte et notes 124 et 125), il eût peut-être été intéressant de vérifier si elle implique quoi que ce soit dans l’esprit du consommateur de référence, le tribunal retient la pratique commerciale trompeuse après avoir énoncé en toute franchise : « Il résulte des constatations de la DIRECCTE que le consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé doit s’attendre à ce que Le Bordeaux de Maucaillou rouge et blanc soit également issu des vignes de l’exploitation Château Maucaillou comme le N° 2 de Maucaillou, Château Maucaillou et Haut-Médoc de Maucaillou ».

Approuvant ainsi la DIRECCTE par adoption de motifs, le tribunal correctionnel de Bordeaux condamne lourdement en parodiant involontairement Descartes : elle pense, donc je suis150. Faisant écho à l’annonce faite en début d’audience du rôle de SAPITEUR confié à la DIRECCTE, cet aveu nous impose une conclusion désabusée. In vino veritas disait-on autrefois avec Alcée151 et Pline l’Ancien. In vino severitas faut-il regretter aujourd’hui avec une omniprésence policière qui vire à l’omnipotence. Aux premières lignes du post-scriptum qu’il ajoutait à sa contribution aux Mélanges Lombois, mon collègue historien Jacques Phytillis énonçait à propos d’une législation musclée qu’il regardait comme « scélérate » que : « Le Garde des Sceaux aime la Loi, donc la Police, non le Droit, donc la Justice »152. C’était en 2004 et, où qu’aillent les affections de l’actuel garde des Sceaux, Jacques Phytillis constaterait aujourd’hui que la préférence policière n’est pas réservée aux ministres153.

Quant à l’exclusion du vin du bénéfice du fait justificatif déduit des éléments d’étiquetage, elle réalise en même temps une discrimination juridiquement inadmissible par rapport aux autres boissons alcooliques qui, elles, peuvent s’en prévaloir, une mesure injustifiable sur le terrain de la proportionnalité et une insulte de la part du Parlement à un produit-phare de notre économie et de notre culture.

Comme l’indique en effet Monsieur Romain Bouniol dans son étude à la Revue de droit rural cité en note 24, c’est une proposition de loi qui est à l’origine de cette initiative154, et non pas un projet émanant du gouvernement. La ratio legis de l’exclusion du vin est en tout cas délicate à percer car, qu’il soit buveur de bière, abstinent ou buveur de vin, le consommateur devrait avoir exactement la même « perception des mots et des figures »155.

La réponse à cette mesure inacceptable est tout en même temps constitutionnelle156 et européenne157. Pour la formaliser, le matériau ne manque pas, « but that’s another story » comme aurait dit Rudyard Kipling158.

Notes

  • Note V. déjà des métaphores médicales avec Norbert Olszak, « L’abus d’hygiénisme nuit gravement à la santé des marques », Mélanges Bonet, p. 407 à 419 ; ou Caroline Le Goffic, « La protection de la santé publique nuit-elle gravement à la propriété intellectuelle ? », Propr. Intell. 2018, n° 66, p. 22 et suiv.
  • Note V. la genèse de la notion chez Caroline Lampre, Les marques vinicoles, thèse Bordeaux I 1990, (2 vol.) et La conspiration des étiquettes, Bordeaux éd. Féret. L’auteur oppose la marque commerciale à la marque agricole. Je préfère parler au sujet de ces dernières de « marques domaniales ».
  • Note Il en va exactement de même avec les appellations d’origine où, dès qu’elles atteignent une certaine superficie, on postule l’existence d’un « noyau d’élite » autour duquel gravitent des satellites. V. Georges Kunholtz-Lordat, La genèse des appellations d’origine des vins, Mâcon Buget-Comptour 1963, réed. 1993, p. 33 à 35. L’ennui c’est que, s’il est facile d’identifier le noyau d’élite de la Romanée-Conti ou de La Tâche (1 ha 80 a 50 ca et 6 ha 06 a 20 ca), il est plus difficile d’isoler celui de l’AOC Bordeaux (60 400 ha), des Côtes-du-Rhône (45 000 ha) ou de la Champagne (34 000 ha). Ne parlons pas de l’AOP italienne Sicilia qui recouvre 25 771 km2.
  • Note Jean-Pierre Garcia et alii., Climats du vignoble de Bourgogne, Glénat 2003.
  • Note L’utilisation de ce vocable leur est contestée à raison des dispositions de l’art. 7 du décret n° 2012-655 du 4 mai 2012 qui impliquent en principe que « cru » se rapporte à une exploitation quand il ne s’agit ni d’un Grand cru, ni d’un Premier cru ou ni d’un cru classé.
  • Note Le produit des jeunes vignes est habituellement écarté du premier vin dès la vendange. Dans un instant de distraction, le tribunal de grande instance de Bordeaux (29 novembre 2016, n° 12/09 408) avait subordonné la régularité des marques du Château Figeac à une vinification séparée du premier et du second vin, ce qui n’était pas véritablement réaliste car, si le second vin est élaboré indépendamment du premier, ce n’est plus un second vin, c’est un AUTRE VIN qui ne peut pas revendiquer la même origine domaniale que celui-ci. Cette fantasmagorie a été heureusement condamnée en appel par CA Bordeaux, 29 octobre 2019, n° RG 17/00 150 qui énonce au second paragraphe de sa page 17 : « S’agissant de l’assemblage, il sera relevé qu’aucune obligation légale ou réglementaire n’exige une vérification séparée des premiers, seconds et troisièmes vins d’un même domaine, étant souligné, au demeurant, que le principe même d’une telle classification, bien connue d’un public éclairé, est de sélectionner la part la plus qualitative de la récolte produite sur le domaine, et de l’affecter à l’assemblage du premier vin, généralement classé, afin de garantir à ce produit une qualité optimale et constante ».
  • Note C’est-à-dire du nom de l’exploitation orné de l’un des 17 vocables de l’art. 7 du décret précité du 4 mai 2012.
  • Note Dans sa rédaction remontant au décret n° 49-1349 du 30 septembre 1949, l’art. 13 al. 4 du décret-étiquetage n’énumérait que 10 vocables valorisants et laissait « chapelle » de libre accès. Aujourd’hui, comme « château » ou « domaine », ce mot ne peut désigner qu’une exploitation dès lors qu’il s’applique à un vin.
  • Note Ce qui est un élément essentiel de l’appréciation du risque de confusion dans le contentieux de la contrefaçon par imitation.
  • Note V. Georges Sorel, Réflexions sur la violence, éd. du Trident 1987, p. 23 à 26 et 99 à 104.
  • Comp. la définition de l’auteur classique par Chesterton : « Un grand classique, c’est un homme dont on peut faire l’éloge sans jamais l’avoir lu », Gilbert Keith Chesterton, Almanach des lettres françaises et étrangères, 23 mai 1924.
  • Pijassou, R., (1980), Un vignoble de qualité : le Médoc, thèse géographie Univ. Bordeaux III, Tallandier 2 vol., t. 2, p. 933 à 935.
  • Baron de Rothschild, P. (1981), Vivre la vigne – Du ghetto de Francfort à Mouton Rothschild 1744–1981, Paris Presses de la Cité, p. 51 à 54, plus spéc. p. 53.
  • 1924, 1928, 1929.
  • 5e cru classé en 1855.
  • Pour le Bordelais ; en Bourgogne, c’est 1943 qui manifeste le renouveau.
  • Selon le principe généralement déduit de l’arrêt Cassevert (Cass. com. 18 janvier 1955, JCP G 1955.II.8755, note Jacques Vivez) qui, en réalité, ne parle que des tènements cadastraux (cf. Éric Agostini, « Cadastre et nom de cru », Vin, Droit & Santé, 7e millésime 2018, p. 141 à 178, spéc. p. 145).
  • Bien, qu’en espèce, on soit beaucoup plus proche de la kefalah musulmane que de l’adrogatio romaine.
  • Lampre, C., (2019), « La substance des marques de vin », Droit & Patrimoine n° 292, p. 24 à 27. V. aussi Menjucq, M., (2019), « L’utilisation d’une appellation bordelaise dans une marque complexe au regard des pratiques commerciales trompeuses », Droit & Patrimoine n° 292, p. 46 à 48.
  • Caroline Lampre, p. 27, col. 1
  • Ibid. p. 27, col. 2.
  • Éric Agostini, note au D. 2007.2696, spéc. p. 2698, sous Cass. com. 30 mai 2007, n° 05–21 798, Château des Barrigards. En plus, dans la ligne de l’arrêt Cassevert (supra note 17), il est impossible de détacher la marque domaniale de l’exploitation qui lui a donné son nom.
  • Michel Rejalot, Les logiques du château. Filière et modèle vitivinicoles à Bordeaux, 1980-2003, PU Bordeaux 2007, coll. Grappes et Millésimes, p. 158.
  • Le vin est un produit sensible dont aucune étape de l’élaboration n’échappe à la pression du droit du fait de l’exigence de traçabilité. De plus, là comme ailleurs, le consumérisme impose une information systématique du consommateur qu’il est alors difficile de tenir pour un ignare. V. Julie Bombardier, « Information du consommateur et conformité des produits dans le secteur alimentaire », RD rur. n° 480, février 2020, p. 25 à 30. À noter, cependant, que le Parlement a carrément placé le consommateur de vin sous la sauvegarde de justice, comme nous le constaterons plus loin avec la loi n° 2020-699 du 10 juin 2020 modifiant l’art. L. 413-8 C. consomm. V. Romain Bouniol, « Le consommateur de vin sera-t-il mieux informé ? », RD rur. n° 481, mars 2020, p. 3.
  • Loi du 1er janvier 1930 ajoutant un alinéa 5 à l’art. 10 de la loi du 6 mai 1919 sur les appellations d’origine : « Est interdit, dans la dénomination des vins n’ayant pas droit à une appellation d’origine… l’emploi de mots tels que clos, château, domaine, moulin, tour, mont, côte, cru, monopole, ainsi que de toute autre expression susceptible de faire croire à une appellation d’origine ». Introduit dans le Code rural et de la pêche maritime, ce texte y a définitivement achevé sa route à l’art. L. 644-2. V. aussi l’art. L. 413-8 C. consomm. qui remontre à une loi du 26 mars 1930.
  • Casss. 1re civ. 23 juillet 1930, Pavie-Decesse, Gaz. Pal. 1930.2.213.
  • V. Jean-Marc Bahans et Michel Menjucq, Droit de la vigne et du vin, Aspects juridiques du marché vitivinicole, 2e, éd. Féret-Litec 2010, n° 183, p. 77. La première loi moderne exclusivement consacrée au vin est la loi Griffe des 14-15 août 1889 portant définition du vin.
  • « Sont considérés comme des marques de fabrique et de commerce les noms sous une forme distinctive, les dénominations, emblèmes, empreintes, timbres, cachets, vignettes, reliefs, lettres, chiffres, enveloppes et tous autres signes servant à distinguer les produits d’une fabrique ou les objets d’un commerce ». V. Eugène Pouillet, Traité des marques de fabrique et de la concurrence déloyale en tous genres, 3e éd. Paris 1892, p. 841 et 842.
  • Cf. Eugène Pouillet, cit. supra note 28, n° 60 à 68, p. 85 à 95.
  • Avant la loi du 31 décembre 1964, le dépôt était possible, mais il se bornait à faire présumer l’usage de la marque.
  • V. Jean-Pierre Garcia et alii, op. cit. supra note 4, spéc. p. 29.
  • Cf. pour le vin en général, cf. Cass. Req. 6 juin 1847, La Cardonne, S.1847.1.521, et pour le champagne en particulier, Cass. crim. 12 juillet 1845, Saumur, S. 1845.1.842.
  • V. Jean-Pierre Garcia et alii, op. cit. supra note 4. Ces amoncellements de pierres s’appellent localement des « meurgers »
  • Clos de Bèze, Clos de Vougeot, Clos de Tart, etc.
  • C’étaient Lafite, Latour, Margaux, d’Issan et Beychevelle, qui correspondaient à d’anciennes seigneuries comportant ou ayant comporté d’imposantes demeures aux allures de manoir.
  • L’art. 8 al. 2 de la loi du 23 juin 1857 punissait d’une amende de 50 à 2 000 F (Germinal) « ceux qui ont fait usage d’une marque comportant des indications propres à tromper l’acheteur sur la nature du produit » V. Isabelle Roujou de Boubée, Les marques déceptives, Droit français, Droit communautaire, Droit comparé, thèse Paris Litec 1992, n° 229 à 235, p. 154 à 158 ; et cf. Paul Roubier, Le droit de la propriété industrielle, t. 2, Paris Sirey 1954, p. 558 et 559.
  • Cf. Philippe Roudié, Vignobles et vignerons du Bordelais (1850–1980), 2e éd. PU Bordeaux 1994, p. 142.
  • V. Jean-Marc Bahans et Michel Menjucq, op. cit. supra, note 27, n° 182, p. 76 et 77. Dans son Focus cité en fin de note 24, Romain Bounion rappelle très justement « que l’avènement du droit français de la consommation au début du XXe siècle est en partie lié à l’encadrement de la vente du vin ». En fait, et plus carrément, c’est la multiplication des falsifications consécutives aux maladies de la vigne ayant marqué la seconde moitié du XIXe siècle (= mildiou, oïdium, black-rot, phylloxéra) qui est à l’origine de la loi du 1er août 1905 sur les fraudes, comme du développement anarchique du droit des appellations. C’est encore à un vinage de vin que l’on doit l’admission de la recevabilité de l’action syndicale en jurisprudence (Cass. Ch. Réun. 5 avril 1914, S.1918.1.5, note Roux).
  • Séparation des églises et de l’État, affaire Dreyfus, affaire des Fiches, Panama, Fachoda, colonisation, séquelles de la guerre de 1870, etc.
  • Le texte de la loi du 6 mai 1919 était quasiment achevé lorsque la guerre de 1914 éclata. Cf. Joseph Capus, L’évolution de la législation sur les appellations d’origine », intro. Th. Georgopoulos, Mare & Martin, collection Vin et droit 2019, p. 23 à 30.
  • Texte ultérieurement inséré dans le Code rural et de la pêche maritime (art. L. 644-2), comme nous l’avons dit en note 25.
  • Loi du 1er décembre 1973, également insérée dans le Code rural et de la pêche maritime (art. L. 644-11).
  • Il y avait eu des précédents émanant de la cour de Bordeaux (cf. Caroline Lampre, thèse, cit. supra note 2, p. 85). D’ailleurs, dès la loi de 1857, le mot s’était complètement galvaudé. Ainsi, dans l’affaire Pavie-Decesse qui a donné lieu à l’arrêt du 23 juin 1930 cité en note 26, la cour de Bordeaux (CA Bordeaux 26 novembre 1928, DH 1929.42) devait dire du vocable « château » « que cette expression est d’usage courant en Gironde, et sert à désigner, même en l’absence de toute construction de ce nom, tout cru d’une certaine importance muni de bâtiments d’exploitation appropriés », ce qui correspond trait pour trait à la formulation de l’arrêt de la Cour de cassation cité au texte.
  • Léger changement de l’ordre d’exposition de l’art. 10 al. 5 de la loi de 1930 et ajout de « camp ».
  • L’art. 6 du décret n° 2012-655 du 4 mai 2012 confirme la fiction selon laquelle la coopérative serait le prolongement de l’exploitation de ses adhérents. Elle peut alors utiliser les vocables valorisants pour désigner leur production sous condition de vinification séparée.
  • L’art. 9 du décret de 2012 reprend et précise la solution introduite dans l’art. 13 al. 4 du décret du 19 août 1921 par un décret du 7 janvier 1993 sur lequel cf. Dominique Denis, « Le statut juridique du château vinicole », RD rur. mai 1993, n° 213, p. 198 à 210 ; et Jean Derruppé, « Les vins de châteaux », Mélanges Jean Foyer, p. 231 à 240.
  • Ex. Cass. crim. 4 mai 2004, D.2004.2851, note Éric Agostini.
  • Exactement comme la possession d’état en droit des personnes, la fama publica remédie ainsi à l’absence de titre.
  • V. sur ce point, les développements contraires de Madame Christine Zanella (Les marques nominatives, thèse Paris Litec IRPI 1995, n° 293, p. 154) qui n’a toutefois pas pu raisonner à partir de l’arrêt Mouton-Cadet du 26 février 2002 dont nous allons parler plus loin (texte et note 61) mais qui, de toutes les manières, n’a pas tenu compte de l’art. L. 413-8 C. consomm. dans sa rédaction d’alors.
  • Caroline Lampre, thèse cit. supra note 2, spéc. t. 1, p. 162. L’auteur ajoute d’ailleurs cinq lignes après : « De même que les grands couturiers conservent à leur prêt-à-porter la marque qui fait la gloire de leurs modèles de haute couture, le signe agricole [= domanial] dûment modifié permettrait alors la "reconnaissance" du signe commercial qui assure la diversification viticole du propriétaire-récoltant ». Comp. les propos définitifs cités plus haut, texte et notes 19 à 21.
  • Cf. H. Motulsky, « Mission pratique de la philosophie du droit », Arch. Philo. Droit 1952, p. 175 et suiv.
  • « Vin de Bordeaux, vin de Château » disait l’adage, avant le décret du 7 janvier 1993. V. Pierre Siré, « Les châteaux de Bordeaux », JCP G 1972.I.2472, n° 1.
  • Le mot peut paraître inadéquat car, dans ses origines anglo-saxonnes, il correspond à une « adoption par un groupe humain de la culture et des valeurs d’un autre groupe humain qui se trouve relativement à lui en position dominante » comme dit la 9e édition déjà citée du Dictionnaire de l’Académie française. V. ainsi Bronislaw Malinowski, Les dynamiques de l’évolution culturelle, Paris 1970, p. 179 à 198, ou encore Athanase Papachristos, La réception des droits privés comme phénomène de sociologie juridique, thèse, Paris, LGDJ, 1975, p. 111. Ce même Dictionnaire donne également toutefois une définition plus large : « adaptation d’un individu à une culture étrangère ». En élargissant encore, on y verra l’imprégnation d’un groupe par une culture comme le font pour les premiers temps de la chrétienté Gérard Guyon (Chrétienté de l’Europe, Fondations juridiques, Poitiers, éd. Dominique Martin Morin, DMM, 2010, p. 45 à 77) ou Jean-Marc Bahans (La nature du droit canonique. Essai de théorie et de théologie du droit, PU Institut catholique de Toulouse 2019, n° 195 à 211, p. 189 à 205). Tout en sachant qu’il y a là une novation par changement d’objet et de sujets, on peut donc parler d’acculturation du consommateur pour évoquer les infiltrations réciproques du langage du vin, du langage du droit et du langage courant.
  • Cf. Sud-Ouest du 21 janvier 2020, p. 37, l’article de César Compadre, « Le vin aussi se vend bien sur Internet ».
  • V. Jean-François Gautier, Le vin à travers les âges, de la mythologie à l’œnologie, Bordeaux LCF 1989, p. 190 : sondage effectué par l’Ifres auprès de 1992 personnes pour le cinquantenaire des AOC. Un pourcentage de « 37 % associe le sigle AOC à une production fruitière, 31 % à de la viande de boucherie, 9 % de nos compatriotes croient que la mention AOC est particulièrement utilisée dans le domaine pharmaceutique, tandis que 5 % estiment que c’est une étiquette politique. Sans compter ceux qui pensent que, si les vins sont "contrôlés", c’est qu’ils sont suspects ». Inutile de dire que la plaquette réalisée par l’INAO (= à l’époque Institut National des Appellations d’Origine) à cette occasion (« Une réussite française, l’Appellation d’Origine Contrôlée ») est muette sur la question. D’ailleurs, en page 128, Jean-François Gautier relevait déjà que ce sondage blasphématoire indiquait « que 38 % des Français estiment que les VDQS sont les vins de meilleure qualité contre 45 % seulement qui classent les AOC à la première place ». Ajoutons que, dans son discours prononcé à l’occasion du colloque organisé pour célébrer ce cinquantenaire, Edgar Faure avait ironisé en rapportant une confusion entre AOC… et dentifrice. Pourtant, encore une fois, à cette époque (= 1985), la publicité pour les vins était parfaitement libre. Je présumerai ici que le lecteur connaît la signification des sigles AOC, AOP et IGP.
  • L’art. 103-2 du règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 interdit que le nom de l’AO soit aussi employé « pour des produits comparables ne respectant pas le cahier des charges lié à la dénomination protégée ». Adieu donc au Californian Chablis à base de chardonnay ou au Californian Burgundy à base de pinot noir ; comme adieu au Champagne espagnol, au Malaga grec ou au Cognac de Palestine, dont parlait Henri Boraud (De l’usage commercial du nom Cognac, Bordeaux 1904, p. 126).
  • Cf. Éric Agostini, « Avis de tempête sur le vignoble », Vin, Droit & Santé, 6e millésime 2017, p. 71 à 104, spéc. p. 90.
  • Thèse cit. supra, note 2, t. 1, p. 160 à 165.
  • Ibid. p. 161. Ainsi, dans une affaire ayant abouti à la condamnation de l’un des multiples contrefacteurs du Château Latour, le défendeur avait opposé à celui-ci qu’il se contrefaisait lui-même en dénommant son second vin « Les Forts de Latour ». La cour de Bordeaux (26 février 1980, Pontet-Latour, réf. en note 60) lui rétorqua « que cette société a le libre usage et la libre disposition de la marque Château Latour et que l’on ne saurait lui reprocher raisonnablement de commettre une contrefaçon à son propre détriment ». Cf. l’ancienne rédaction de l’art. L. 713-2 CPI.
  • Éric Agostini, note au D. 1980.535, spéc. p. 538 sous CA Bordeaux 12 décembre 1979 et 26 février 1980, déjà cité à la note précédente. Dans sa contribution aux Mélanges Lajugie publiés 1985, mon maître Jean Derruppé (« Noms de châteaux et marques vinicoles en région bordelaise », p. 513) avait la délicatesse de taxer mon approche de « naïveté » ou de « complaisance », mais c’était avant l’arrêt Mouton-Cadet dont nous allons parler immédiatement et, en toute hypothèse, dans l’ignorance de l’art. L. 413-8 al. 2 C. consomm. qui a tout de même son importance et qui existait déjà… depuis 1930
  • Cass. com. 26 février 2002, n° 99–11 240, non publié au Bulletin, il est vrai.
  • Le Haut-Médoc de Maucaillou dont parle le brûlot de Madame Lampre déjà citée en note 19 (p. 26 col. 1) n’est pas vraiment concerné par le débat, car il provient de parcelles de Listrac appartenant au Château Maucaillou que l’INAO autorisait autrefois à naviguer sous pavillon Moulis. Cela n’a pas empêché la DIRECCTE Nouvelle Aquitaine de l’interdire de séjour dans les conditions expéditives que nous allons examiner plus loin. Ajoutons que, dans la ligne de Jean Derruppé (v. note 60), le blog d’un œnologue coté de la place de Bordeaux désigne indistinctement à la vindicte publique : Mouton-Cadet, Le Bordeaux de Larrivet-Haut-Brion, Le Bordeaux de By, L’Instant Bécot ; Léo de la Gaffelière ; Château Chapelle d’Aliénor by La Gaffelière ; Le Saint-Émilion de La Fleur Cardinale ; Ronan by Clinet, Le Bordeaux de Maucaillou et Le Bordeaux de Gloria. Pourtant, il y en a d’autres.
  • Trib. correct. Bordeaux 12 décembre 2019 (commentaire de Ronan Raffray, à paraître dans Droit & Patrimoine, de juillet 2020). Je défendais alors les prévenus avec mon confrère Gérard Danglade. On avait déjà connu diverses figures de pratiques commerciales trompeuses dans le domaine du vin (cf. J.-M. Brigant, cit. infra note 67, cf. spéc. p. 66 et 67), mais c’est la première fois que le problème se posait en ces termes.
  • Classement des Saint-Émilion, par exemple, mais pas classement de 1855 ou classement des crus bourgeois.
  • CJCE 29 juin 1995, Langguth, aff. C-456-93, point n° 28 ; et CJCE 28 janvier 1999, Sekt, aff. C-303/97, point n° 33.
  • Cass. crim. 12 juin 2019, n° P 18–83 298 FD ; Légipresse n° 37, octobre 2019, p. 560, note Caroline Le Goffic.
  • Cass. crim. 19 novembre 2019, n° 18–85 900, Château Reignac. Cf. Jean-Marie Brigant, « Pratiques commerciales trompeuses : double dose et double qualification », RLDA n° 156 février 2020, p. 63 à 66. Si le « comportement économique » du consommateur doit être altéré par la pratique commerciale arguée de tromperie, ce n’est évidemment pas le buveur d’eau et de Coca-Cola qui va servir de référence.
  • V. Guy Raymond, J.-Cl. Concurrence-Consommation, Fasc. 900 n° 47 : la déceptivité d’une marque constitue une « pratique commerciale trompeuse par confusion » (ibid. n° 43 à 48). Nous savons bien que la déceptivité constitue une irrégularité « civile » alors que la pratique commerciale trompeuse constitue un délit pénal qui est soumis à un autre régime procédural comme à des sanctions spécifiques. Toutefois, malgré les différences que relève parfaitement Michel Menjucq dans son étude citée en note 19, d’un côté, l’élément matériel (= le risque de confusion) des deux notions est parfaitement identique et, d’un autre côté, une infraction pénale doit s’apprécier avec davantage de rigueur qu’un élément d’ordre civil. À preuve de cette interchangeabilité, une simple marque d’usage ne peut pas être attaquée pour déceptivité puisqu’aux termes des art. L. 711-2 8° et L. 714-6 CPI, seule une marque déposée peut l’être (cf. Trib. de grande inst. Paris 3e Ch. 25 septembre 2015, Château La Lagune, n° 13/18242). Cependant, exactement pour le même motif, il suffira de lui reprocher la pratique commerciale trompeuse de l’art. L. 121-2 C. consomm. et aboutir par ce biais au même résultat, par application de l’art. L. 711-2 7° CPI (= ordre public) cette fois.
  • Susceptible de recours, puisqu’il s’agit d’une circulaire réglementaire (CE Ass. 29 janvier 1954, Institution Notre-Dame du Kreisker, Lebon 64, RPDA 1954-50, concl. Tricot ; AJDA 1954 II bis 5 chron. Gazier et Long. C’est précisément une requête de cet ordre qui a été rejetée par le jugement du TA de Bordeaux dont nous parlons au texte.
  • Il s’agit de la circulaire du 22 juin 2018 qui est reproduite aux pages 102 à 104 de mon étude citée en note 57. V. aussi Éric Agostini, « Appellation d’origine et marques vinicoles, sympathie ou antipathie ? », in Marques vitivinicoles et appellations d’origine, dir. Th. Georgopoulos, Mare & Martin 2019, p. 85 à 117, spéc. p. 110 à 113.
  • Art. 103-2 : « Une AOP… ainsi que le vin qui fait usage de cette dénomination protégée en respectant le cahier des charges correspondant, sont protégés contre : a/ toute utilisation commerciale directe ou indirecte de cet dénomination protégée… ii/ dans la mesure où ladite utilisation exploite la réputation d’une appellation d’origine ou indication géographique ». Art. 103-3 « Les AOP ou IGP ne deviennent pas génériques ». Art. L. 643-1 : « L’appellation d’origine ne peut jamais être considérée comme présentant un caractère générique et tomber dans le domaine public. Le nom qui constitue l’appellation d’origine ou toute autre mention l’évoquant ne peuvent pas être employés pour aucun produit similaire ». Je n’indique pas ce qui est écrit en gras dans la circulaire.
  • Ex. Yves Saint Laurent dénommant un parfum « Champagne » : CA Paris 15 décembre 1993, D. 1994.145, note Ph. Le Tourneau ; JCP G 1994.II.23229 note F. Pollaud-Dulian ; PIBD 1994 n° 560.III.p. 92 ; RTD com. 1994.269, obs. Chavanne ; Gaz. Pal. 1994.I.55, concl. Delafaye.
  • « L’utilisation du nom d’une appellation dans une mention du type "Le Bordeaux de (…)" ne désigne pas l’appellation à laquelle peut prétendre le vin commercialisé par ailleurs indiqué sur l’étiquette mais tend à présenter le nom de l’appellation comme un nom commun et générique. » Cf. Vin, Droit & Santé, cit. supra note 57, spéc. p. 103, in limine.
  • « Aux fins de la présente section, on entend par "dénomination générique" un nom de vin qui, bien qu’il se rapporte au lieu ou à la région où ce produit a été initialement élaboré ou commercialisé, est devenu dans l’Union le nom commun du vin. »
  • Cahier des charges de l’AOC Bordeaux homologué par le décret n° 2011–1739 du 2 décembre 2011 modifié par le décret n° 2013–1079 du 28 novembre 2013.
  • Confidentielle enclave de 7 communes sur les 498 que comporte cette appellation de 60 400 ha.
  • Remplacé à l’identique par l’art. 55-3 du règlement délégué (UE) 2019/33 de la Commission du 17 octobre 2018.
  • Dossier DR 31-2013-205, lieu-dit « La Tyre », de l’appellation Madiran.
  • L’art. 55-2 du règlement délégué (UE) 2019/33 de la Commission du 17 octobre 2018 comporte une rédaction différente mais similaire : « Le demandeur [de protection = l’ODG] délimite avec précision la zone de l’unité géographique en question dans le cahier des charges du produit et le document unique ».
  • CJCE 24 octobre 2002, Borie-Manoux, aff. C-81-01, point 21. V. aussi Cass. com. 17 décembre 2003, D.2004.2139, note J.-M. Bahans et M. Menjucq.
  • Cass. com. 8 décembre 1981, n°80.11659, Sainte-Odile, Bull. civ. IV n° 429.
  • Cass. crim. 4 avril 2018, n° 16-83270, et mon commentaire cité supra en note 57.
  • V. par ex. Cass. com. 22 novembre 1955, Beurre de Surgères, Bull. civ. III n° 333.
  • J.-C. Douence, Recherche sur le pouvoir réglementaire de l’administration, thèse Bordeaux LGDJ 1968, p. 9. En plus des interpolations inévitables résultant de cette habitude, il arrive que tel préfet de Région consacre officiellement l’autorité de tel éminent juriste local pour donner les lumières du droit à ses administrations en quête d’éclaircissements. La DIRECCTE sera ainsi guidée d’une manière qui rappelle les débuts de la Rome impériale et le développement du jus publice respondendi (v. Raymond Monier, Manuel élémentaire de droit romain, réimpr. Scientia Verlag Aalen 1977, t. 1, n° 69 ; p. 80 à 82 ; ou encore Jean Gaudemet, Institutions de l’Antiquité, 2e éd. Paris Sirey 1967, n° 443, p. 601 à 603 et les références en note 1, p. 601 et, plus généralement, F. Gény, Méthodes d’interprétation et sources, t. 2, 2e éd., Paris, LGDJ, 1954, n° 145, p. 30 ; et Frédéric Zénati, La jurisprudence, Paris, Dalloz, 1991, p. 31 à 33). Sans qu’on le sache ouvertement – en oubliant la Champagne, la vallée du Rhône et les pays de Loire, faute de matériau disponible dans la Loi des citations, de Théodose II –, il existe sans doute ainsi, tapis dans l’ombre préfectorale, un Ulpien bourguignon, un Gaïus provençal, un Modestin du Midi-Pyrénées, un Paul alsacien et un Papinien bordelais. Étant nimbés de l’autorité du préfet de Région, ces nouveaux Prudents blindent la DIRECCTE dans la certitude de l’infaillibilité de ses orientations. Toute discussion est alors impossible et la seule issue concevable est le recours pour excès de pouvoir avec l’aléa que l’on devine dans ces matières techniques.
  • Relatant l’arrêt de la Cour de cassation du 4 avril 2018 (supra note 82), le quotidien Var Matin du 12 juillet 2018 (p. 16) indiquait que la DIRECCTE PACA « qui dit avoir fait preuve de pédagogie avant de sévir, a obtenu 11 condamnations sur des affaires similaires d’étiquetage non conforme dans le golfe depuis la publication du décret de 2012 ». J’étais précisément impliqué dans l’une d’elles (Juge de proximité Draguignan 4 décembre 2015, Château de Berne, n° 2015/132) où la condamnation est effectivement tombée, mais sans que le juge réponde à la question posée autrement qu’en se contentant de reprendre les textes invoqués par la DIRECCTE.
  • Issue de l’art. 3 du décret du 23 juillet 1806 organisant le Conseil d’État (v. J.-B. Duvergier, Collection complète des lois, décrets, ordonnances, règlements et avis du Conseil d’État, 35 vol. spéc. t. 16, Paris 1826, p. 11), la règle du préalable et de l’exécution d’office contraint l’usager à la soumission et l’oblige à attendre l’issue tardive du recours contentieux (v. CE 30 mars 1913, Préfet de l’Eure, Lebon 583). Quant au sursis à exécution, son octroi est parcimonieux, surtout dans ces matières techniques. Ex. TA Bordeaux (référés) 1er septembre 2017, Holding Philippe Dourthe et autres, n° 03-050 302 et 54-035 022, précisément rendu à propos du Bordeaux de Maucaillou.
  • Cons. constit. 13 mars 2014, n° 2014-690 DC.
  • Considérant n° 67.
  • Considérant n° 69.
  • CE sect. 7 février 1936, Jamart, Lebon 172 ; S.1937.3.115, note J. Rivero.
  • Cf. François Gény, Méthodes d’interprétation et sources en droit privé positif, cit. supra note 85, t. 1, n° 37 à 45, p. 73 à 97. De la loi des 16-24 août 1790 (Duvergier, Collection complète, t. 1, Paris 1824, p. 321) faisant défense aux tribunaux « de prendre directement ou indirectement aucune part à l’exercice du pouvoir législatif » à celle du 1er avril 1837 supprimant définitivement le référé obligatoire au législateur, en passant par l’abrogation implicite du référé facultatif résultant de l’art. 4 C. civ., c’est le pouvoir judiciaire en son entier – et donc a fortiori les diverses administrations – qui a été exclu avec de moins en moins de force de l’interprétation des lois.
  • Pour l’interprétation des actes administratifs, v. Trib. conflits 16 juin 1923, Septfonds, Lebon 498, S. 1923.3.49, note Maurice Hauriou ; DP 1924.3.41, note Paul Matter. Pour l’exception d’illégalité, Trib. conflits 5 juillet 1951, Avranches et Desmarets, S.1952.3.1, note Jean-Marie Auby ; D.1952.271, note C. Blaevoet ; JCP 1951.II.6623, note Homont ; Rev. adm. 1951.492, note G. Liet-Veaux. Cf. René Chapus, Droit administratif général, t. 1, 15e éd. Montchrestien 2001, n° 1130 à 1138, p. 923 à 930.
  • Art. 5 C. civ. qui a survécu à la promotion de la jurisprudence comme source de droit. Pour l’actualisation de la question, v. Jean-Pierre Gridel, « La motivation au défi de la modernité. Entre le Charybde de l’hermétisme et le Scylla du bavardage », JCP G 2020, n° 141, p. 242.
  • CAA Marseille 28 juin 2019, n°s 18MA 05245 et 18MA 05247. Ces deux arrêts ont été rendus sur renvoi après cassation de deux arrêts de la même CAA qui avaient estimé que l’avertissement de la DIRECCTE ne constituait pas une mesure faisant grief (CE 3° et 8° sections réunies, 7 décembre 2018 n° 408 218 et 408 220). La doctrine exprimée par les arrêts examinés au texte droit donc encore être avalisée par le Conseil d’État pour s’imposer sans discussion.
  • Trib. conflits 27 juin 1966, Guigon, Lebon p. 830 ; AJDA 1966.547, note A. de Laubadère ; D.1968.7 note J.-C. Douence ; JCP G 1967.II.15135, concl. Lindon ; CE Ass. 31 mai 1957, Rosan Girard, Lebon 355, concl. Gazier ; D.1958.152, note P.W. ; AJDA 1957.II.273, chron. Fournier et Braibant.
  • Trib. conflits 27 juin 1966, cit. supra note 95 ; et Cass. com. 26 février 2002, Mouton-Cadet, cit. supra note 61.
  • V. la problématique chez Judith Klein, Le point de départ de la prescription, thèse Paris Economica 2013, n°s 71 et 72, p. 61 à 63  et n° 652, p.481.
  • V. Cass. crim. 3 décembre 2019, BNP Paribas, n° 18-86317 ; JCP G 2020 Actualités 55-61, note 62, obs. J.-M. Brigant ; Contrats, concurrence, consommation 2020 n° 3, p. 39, n° 53, note Sabine Bernheim-Desvaux. V. déjà avant la transformation du délit de publicité fausse ou de nature à induire en erreur en délit de pratique commerciale trompeuse (loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 transposant la directive (CE) 2005/29 du 11 mai 2005), Cass. crim. 20 février 1986, Bull. crim. n° 70 ; 30 mai 1989, n° 88-81183, Bull. crim. n° 225, et n° 88-82364, Bull. crim. n° 226. V. encore Cass. crim. 4 novembre 2008, n° 08-81618 FD ; Contrats, concurrence, consommation 2009 comm. 65 par G. Raymond ; Dr. pén. 2009 comm. 24 par J.-H. Robert.
  • Cass. crim. 20 février 1986, n° 85-91 357, Bull. crim. n° 70 ; 4 novembre 2008, n° 08-81618 FD ; et 24 mars 2015, n° 14-82 166.
  • Marque semi-figurative n° 3 886 439 déposée le 5 janvier 2012 en sorte que l’action publique était déjà prescrite (2012 + 3) au moment où la loi n° 2017-242 du 27 février 2017 portait le délai de prescription à six ans pour les délits (art. 8 C. pr. pén.)
  • Trib. de grande inst. Paris, 3e Ch. 25 septembre 2015, Château La Lagune, n°13-18 242, définitif, déjà cité en note 68.
  • Trib. de grande inst. Bordeaux 1re Ch. 29 novembre 2016, Château Figeac n° 92-09408. L’arrêt infirmatif (CA Bordeaux 1re Ch. 29 octobre 2019, n° RG 17/00150 – déjà citée note 6) n’aborde pas la question de l’unité géographique plus petite autrement que par succincte adoption de motifs, signe révélateur de l’évidence du droit en la matière.
  • Je rappelle avoir suggéré au début de cette étude par Cicéron interposé que je suis l’avocat de la société Les Notables de Maucaillou et de Monsieur Pascal Dourthe (cf. aussi note 63), maintenant avec mon confrère Alexandre Novion.
  • Au sens d’habituelle et constante.
  • Audience correctionnelle du 10 septembre 2020. V. Sud-Ouest, 11 septembre 2020, p. 20, sous la plume de Jean-Michel Desplos. On dit en plus que, à l’inverse des Notables de Maucaillou, les prévenus n’avaient pas déféré à l’injonction de la DIRECCTE, ce qui est confirmé par le fait que ce jugement du 24 septembre 2020 prononce avec l’exécution provisoire l’interdiction d’utiliser la marque Le Bordeaux de Larrivet Haut-Brion. Cf. Jean-Michel Desplos, Sud-Ouest, 25 septembre 2020, p. 16.
  • Ex. Cass. crim. 6 mai 1997, Bull. crim. n° 170 ; JCP G 1998.II.0056, note Lassalle ; RG proc. 1998.109, obs. Robert.
  • Tant qu’à citer l’auteur de ces lignes, avec le commentaire cité plus haut texte et note 60, le procureur et le tribunal auraient pu trouver des études plus adéquates que celle utilisée (= note au D.2007.1696, cit. supra note 22, ainsi que l’étude plus récente citée en note 57). Surtout qu’ils se méprennent complètement sur le sens du passage donc il se glorifient puisque, interdire à la marque domaniale de « déborder de son lit » ne peut viser que les marques domaniales au sens strict, et non les marques à forme et à objet commercial.
  • Cass. crim. 20 mai 1980, Bull. crim. n° 156 ; RSC 1980.459, obs. J.-M. Robert. V. encore Cass. crim. 14 février 1995, Bull. crim. n° 66 ; et 23 septembre 2014, Dalloz actualité 8 octobre 2014, obs. Fucini.
  • Mémoire en défense du 27 janvier 2020, instance n° 1903 489, spéc. p. 17.
  • Cass. com. 21 janvier 2014, n° 12-24950, Bull. civ. IV n° 15.
  • Où je suis aussi impliqué avec mon confrère Hugues de Lacoste Lareymondie.
  • = Comité Interprofessionnel des Vins de Bordeaux. Sur les interprofessions et leur rôle dans le domaine du vin et des alcools, v. J.-M. Bahans et M. Menjucq, cit. supra note 27, n°s 85 à 99, p. 36 à 44.
  • V. Alexandre Bienvenu et Angelina Hamard, « La protection pénale de l’appellation viticole », Droit & Patrimoine n° 292 juin 2019, p. 35 à 38, spéc. p. 38, note 25 : « À Bordeaux, le Parquet avise systématiquement les syndicats représentatifs de la viticulture girondine de la date des audiences auxquelles sont jugées des infractions susceptibles de porter atteinte aux appellations afin de leur permettre de se constituer partie civile ».
  • La bête va se rendre aux chiens, mais elle court encore.
  • « On désigne généralement sous le vocable "Place de Bordeaux" l’ensemble des entreprises commerciales qui ont la charge de mettre en marché le vin de Bordeaux » (Ch. Cocks et Ed. Féret, Bordeaux et ses vins, 19 éd. Bordeaux, éd. Féret 2014, p. 1807 à 1855, spéc. p. 1807).
  • V. par ex., Jérôme Baudouin, « Bordeaux change de ligne », Revue du vin de France Hors-Série n° 37 novembre 2019, p. 14 à 17, v. aussi César Compadre qui, dans le Sud-Ouest du 5 mars 2020 titre : « Bordeaux : sur le marché du vrac, des vins à moins d’1 euro le litre » ; et Marie-Josée Cougard, Les Échos du 11 mars 2020, p. 18 : « Les vignerons bordelais cherchent la parade à une avalanche de coups durs ». À un euro le litre (et non la bouteille de 75 cl), il est évident que le meilleur moyen de vendre un générique de Bordeaux est encore de l’arrimer à une locomotive, ce qui explique les satisfécits indiqués en note 117. Quant à la Confédération paysanne dont nous évoquerons en note 118 le rôle « participatif » dans le litige sous examen, elle procède résolument à L’anesthésie par les mots donc parlait autrefois Pierre Gaxotte : elle réclame la souplesse de l’INAO « pour pouvoir adapter rapidement les critères des acheteurs aux traits de nos AOC » (cf. Aude Boilley, « Des pistes pour survivre », Sud-Ouest 14 mars 2020, p. 16). Depuis le déconfinement, on parle carrément d’arracher 6 000 à 10 000 ha sur les 60 400 que comporte l’AOC Bordeaux ; cf. César Compadre, Sud-Ouest 3 juin 2020, p. 11, et Frank Niedercorn, Les Échos, 16 septembre 2020, p. 13..
  • ODG Bordeaux et Bordeaux Supérieur, dont le président d’alors est actuellement à la tête du CIVB ; ODG Médoc, Haut-Médoc et Listrac-Médoc.
  • En plus, la Confédération paysanne était absente à l’audience, mais présente à la distribution des prix.
  • Il est intéressant de noter que les prévenus avaient vainement contesté les injonctions de la DIRECCTE principalement fondées sur la notion d’unité géographique plus petite (cf. supra texte et notes 74 à 83). Néanmoins, ils avaient obtempéré et remplacé Le Bordeaux de Maucaillou par Le B par Maucaillou qui, selon le jugement, « ne comporte pas la même ambiguïté », ce qui pourrait donner à croire que les condamnations n’ont été infligées que sur la base de simples ambiguïtés. S’agissant de deux condamnations personnelles pour les mêmes faits, on constatera encore que le tribunal ne précise aucunement que la personne physique et la personne morale en étaient co-auteurs ou complices ; ni qu’elles aient perpétré chacune un délit spécifique.
  • Même chose pour la directive (UE) 2015/2436 du 15 décembre 2015 qui est à la source de notre droit interne.
  • Cass. com. 6 septembre 2016, Château Beychevelle, n° 14-25692. Cf. Ronan Raffray, « Le consommateur de vin et de juge : une attention moyenne mais une place fondamentale », Droit & Patrimoine n° 292, juin 2019, p. 39 à 41.
  • Cass. crim. 1er décembre 2009, n° 09-83059, D.2010.103, obs. X. Delpech ; Dr. pén. 2010 comm. 41, note J.-H. Robert ; Contrats, concurrence, consommation 2010, comm. 145, obs. Guy Raymond ; AJP 2010, p. 73, note N. Éréséo et J. Lasserre-Capdeville ; RTD com. 2010, p. 444, obs. Bernard Bouloc. La jurisprudence et constante en ce sens. Cf. Linda Arcelin, J.-Cl. Concurrence-Consommation, Fasc. 794, n° 68.
  • Ex. CJCE 20 septembre 2007, Nestlé c/ OHMI, aff. C-193/06 P.
  • TPI 13 juillet 2005, Julian Murúa Entrena c/ OHMI, aff. T-40/03, point n° 56 ; 12 mars 2008, Sebiràn SL c/ OHMI, aff. T-332/04, point n° 38 ; 21 septembre 2010, Villa Almè Azienda Vitivinicola Vizzotto Giuseppe c/ OHMI, points n°s 56 et 57.
  • Point n° 57 de l’arrêt du 21 septembre 2010.
  • INPI 6 janvier 2012, OPP 11-3055/PAB, marque Bateau Dragon.
  • V. J. Ghestin, G. Loiseau et Y.-M. Serinet, Traité de droit civil de Jacques Ghestin, La formation du contrat, t. 1, 4e éd. Paris LGDJ 2013, n° 1320, p. 1099 et 1100.
  • Cass. com. 13 décembre 1994, Contrats, conc. consomm. 1995, n° 48, note Leveneur.
  • « Mise en bouteille pour la SAS Les Notables de Maucaillou » et non « Mise en bouteille au Château » comme pour le premier vin.
  • « Seuls les vins figurant au titre de la déclaration de récolte et au titre de la déclaration de production… peuvent bénéficier du nom de l’exploitation ».
  • « En cas de création d’une nouvelle exploitation viticole par réunion de plusieurs exploitations viticoles répondant aux conditions ci-dessus, le nom de chaque exploitation précédé par un des termes sus-visés [= les 17 vocables de l’art. 7] sous lequel tout ou partie de la production a été antérieurement mise sur le marché peut continuer à être utilisé ».
  • Cons. constit. 16 décembre 1999, n° 99-421 QC et 99-422 DC a propos desquelles cf. Marie-Anne Frison-Roche et William Baranès, « Le principe constitutionnel de l’accessibilité et de l’intelligibilité de la loi », D.2000.chron. 361. Aj. Bernard Teyssié, « L’impératif de sécurité juridique », Mélanges Jacques Foyer Paris Economica 2008, p. 985 à 1005 ; et déjà François-Xavier Testu, « Le statut juridique de la langue française », Mélanges Cornu PUF 1994, p. 441 à 461, dont nous avons parlé plus haut. V. aussi sur un ton désabusé, Bernard Teyssié , « Les tables de la loi, variations profanes », JCP G 2020.1118.
  • Au sens du droit européen (ex. TPI 23 février 2006, Bainbridge, aff. T-194/03 ; CJUE 24 mars 2011, Kinder, aff. C-552/09 ; et 16 juin 2011, Uniweb, aff. C-117/10 P) et à l’imitation de Mouton-Cadet (cf. supra texte et notes 12 à 16) puisque, s’étant vu interdire de décliner à partir de son nom patronymique (Cass. com. 19 janvier 1988, Dourthe, Bull. civ. IV n° 42), Monsieur Pascal Dourthe était bien obligé de le faire à partir du nom de sa propriété.
  • Le tribunal affirme ainsi que « la différence de prix n’est pas aussi flagrante entre un vin Château Maucaillou et un Bordeaux de Maucaillou et se rapproche très clairement de la pratique des prix constatée entre les premiers et seconds vins ». Or, pour être convaincant sans prêter le flanc à quelque suspicion, il aurait dû comparer le prix du second vin (= N° 2 de Maucaillou) et celui de la seconde marque (= Le Bordeaux de Maucaillou).
  • Marque n° 3 886 439, cf. supra note 100.
  • Essentiellement, la permission spécifique de la loi découlant de l’art. 103-1 du règlement (UE) n° 1308/2013, ajoutée à l’ancien art. L. 413-8 C. consomm.
  • Pour le Parquet et pour le tribunal, les références jurisprudentielles s’y rapportant (cf. supra note 98 ; je ne vise évidemment pas l’arrêt du 3 décembre 2019, qui a été rendu après l’audience de plaidoirie) étaient pourtant plus faciles à trouver que ma note au D.2007.2696, dont ils ont travesti les termes.
  • D.50, 17, 145, sentence de Paul, évoquée plus haut en note 84.
  • Pour les non-latinistes : En matière pénale, il faut interpréter dans le sens de la douceur.
  • Par exemple, comme nous venons de le répéter en note 132, en prêtant spontanément aux publications d’un des avocats des prévenus un sens favorable à l’accusation, tout en oubliant de se préoccuper de la prescription extinctive, comme nous venons aussi de le redire, ou en refusant de s’inspirer de précédents comme les arrêts Petrus-Lambertini (supra note 66), Laguiole (CA Paris Pôle 5 Ch. 1 15 mars 2019, n° 036/2019) et Ronan by Clinet (CA Paris Pôle 5 Ch. 2, 29 mars 2019, n° 18/01560). Ainsi, de ce dernier point de vue, le site IP Talk du conseil en propriété industrielle INLEX titrait très justement : « Décision Maucaillou… 2 poids 2 mesures », sous la plume de Céline Baillet. Mais il est vrai que, s’il se déclare incompétent pour apprécier l’inexistence des actes de la DIRECCTE (cf. supra texte et notes 94 à 96), le tribunal reconnaît du même coup ne pas être au nombre des autorités mentionnées par l’arrêt Mouton-Cadet du 26 février 2002 (supra note 61) pour statuer sur ce type de questions. Qu’aurait dit Madame Baillet si elle avait connu les réquisitions et le jugement dont il a été question plus haut texte et note 105 ?
  • Cf. Blackstone, Commentaries on the Laws of England, t. 1, 8e éd., Oxford 1778, p. 246: “Besides the attribute of sovereignty, the law also ascribes to the king in his political capacity absolute perfection. The king can do no wrong.” (Souligné par l’auteur).
  • Art. 16 de la Déclaration de 1789.
  • Proposition de loi n° 1786 adoptée par l’Assemblée nationale le 4 décembre 2019 relative à la transparence des produits agricoles et alimentaires. V. Romain Bounion, cit. supra note 38, RD rur. n° 481, mars 2020, p. 3, avec des réserves parfaitement pertinentes sur la compatibilité du texte devenu loi n° 2020-699 du 10 juin 2020 avec les textes européens de base.
  • Nous venons d’évoquer à nouveau la pandémie qui nous frappe, et il est tristement révélateur de la déliquescence de l’État de droit de voir les agents de la circulation et autres verbalisateurs habilités à scruter le bien-fondé du motif invoqué dans l’attestation de déplacement dérogatoire prévue à l’article 3 du décret du 23 mars 2020 avec à la clé une amende de 135 € au bon vouloir de Pandore. Proches du ta’azir musulman et de l’arbitraire des peines reproché à l’Ancien Régime, avec la guillotine en moins et la dictature molle en plus, nous voici sous le joug des « bourreaux barbouilleurs de lois » que fustigeait André Chénier du pied de l’échafaud (« Comme un dernier rayon, comme un dernier zéphyre »).
  • V. Philippe Kellerson et Marion Lacaze, « Le "droit pénal de l’ennemi" : du dédoublement du droit pénal à la négation de la qualité de personne », Mélanges Trigeaud, Bordeaux, Bière, 2020, p. 534 à 542 avec les abondantes références à Günther Jakobs, Kriminalisierung im Vorfeld einer Rechtsgutsverletzung, ZStw 1985, p. 751 et suiv. Les auteurs focalisent leurs travaux sur la gestion pénale du phénomène terroriste. En réalité, la question est vieille comme l’humanité. Sans aller très loin, il suffit de penser à la répression des Chouans, juridiquement qualifiés de « brigands » et tristement traités comme tels, ou à l’épuration consécutive à la Seconde Guerre mondiale où la noble indignation de François Mauriac faisait un heureux contraste avec le conformisme punitif d’Albert Camus (cf. Yann Delbrel, « François Mauriac ou l’intuition du droit », Mélanges Trigeaud, p. 133 à 142).
  • V. Jean Rivero, « Apologie pour les faiseurs de systèmes », D.1951.chron. 99. Cf. de la même veine, la critique féroce que Vincent Heuzé adresse au pragmatisme juridique en droit international privé (« Un pragmatisme juridique : la théorie des lois de police », Rev. crit. DIP 2020, p. 31 à 60, spéc. p. 31 et 32). Signalons toutefois au passage le mépris dont témoigne l’auteur à l’égard de l’enseignement du droit du vin (p. 33 note 6). Il aurait pu s’en dispenser, surtout que c’était inutile, mais nous ne lui en voulons pas. Comme dit le proverbe chinois, « on ne jette de pierres qu’aux arbres chargés de fruits ».
  • Comp. l’affaire Bordas (Cass. com. 12 mai 1985, D.1985.471, note J. Ghestin ; Gaz. Pal. 1985.1.246, note G. Le Tallec ; PIBD 1985 n° 372.III.207 ; Annales 1985 p. 3, note P. Mathély ; JCP G 1985.II.20400, conclusions Montanier et note G. Bonet).
  • Outre l’ouvrage cité en note 13, qui est une histoire de la famille Rothschild racontée par le grand-père à ses petits-enfants, v. Bertrand Gille, Histoire de la Maison Rothschild, Genève Droz 2 vol. 1965 et 1967. Au nombre de cinq, les frères Rothschild étaient établis à Francfort (la maison mère), à Vienne, à Naples, à Londres et à Paris. Seules subsistent aujourd’hui la branche du baron Nathaniel (= branche anglaise) et celle du baron James (= branche française).
  • Thèse cit. supra, note 2, spéc. t. 1, p. 164.
  • À lire comme le présent de l’indicatif du verbe « suivre » et non pas du verbe « être », comme dans le Discours de la Méthode.
  • À la césure du 7e et du 6e siècle av. J.-C., Alcée avait une position politique et une activité poétique notables dans l’île de Lesbos à Mytilène. C’était le contemporain et – dit-on – l’amoureux transi de Sappho. C’est lui qui imagina la formule traduite par Pline l’Ancien à l’orée de l’ère chrétienne et passée dans le langage courant : « Ἐν οἴνῳ ἀλήθεια ».
  • Jacques Phytillis, « Du passé, le juriste doit-il faire table rase ? (Esquisse) », Mélanges Lombois, PU Limoges, 2004, p. 131 à 153, spéc. p. 153.
  • Comme disait pourtant le Lord CJ Hewart dans R.v. Sussex Justices ex parte McCarthy ([1924] 1 KB 256 ; [1923] All ER 233) : “It is not merely of some importance but it is of fundamental importance that justice should not only be done, but should manifestly and undoubtedly be seen to be done”. Il est à cet égard symptomatique qu’à l’occasion de l’affaire des « baux fictifs » (v. Jean-Marc Bahans et Michel Menjucq, op. cit. supra, note 27, spéc. n° 482, p. 187), la Cour de cassation n’ait pas accepté comme indiqué plus haut de voir une voie de fait dans le refus par l’INAO de délivrer le label qui conditionnait alors la mise des vins d’AOC sur le marché. Cf. Cass. 1re civ. 19 mars 1996, n° 93-18821, D.1997.381, note Éric Agostini. Pourtant, les textes n’ont jamais investi l’Institut d’une telle mission de police.
  • Comme pour contredire mon ami et compagnon de concours Bernard Teyssié qui, dans la chronique au J CP 2020.1118 citée en note 132, se plaint de l’asservissement et de l’éviction du Parlement. À moins qu’il n’y ait ici, au contraire, une preuve du bien-fondé de ces griefs, car la technique de l’amendement peut s’analyser comme un moyen efficace pour faire passer en catimini une disposition dont l’hétérodoxie serait apparue en pleine lumière si elle avait été incluse dans le projet initial.
  • G. Lagneau, La sociologie de la publicité, PUF Collection, Que sais-je ?, n° 1678, 4e éd., 1993, p. 178, cité par Caroline carreau, « Publicité et hyperbole », D. 1995.chron. 225, p. 229, n° 26.
  • Cf. Cons. constit. 16 janvier 1982, n° 81-132 DC, § 30 : « Considérant que le principe d’égalité ne fait pas obstacle à ce qu’une loi établisse des règles non identiques à l’égard de catégories de personnes se trouvant dans des situations différentes, mais qu’il ne peut en être ainsi que lorsque cette non-identité est justifiée par la différence de situation et n’est pas incompatible avec la finalité des lois ».
  • Cf. a contrario CJUE Gr. Ch. 24 juin 2019, Poplawski-2, aff. C. 573/17, point 68 : « La juridiction nationale n’est pas tenue, sur le seul fondement du droit de l’Union, de laisser inappliquée une disposition de son droit national contraire à une disposition du droit de l’Union, si cette disposition est dépourvue d’effet direct ». Et déjà, CJCE 9 mars 1978, Simmenthal, aff. 106/77, points 21 et 24.
  • Bon nombre de Short stories de Kipling finissent ainsi en queue de poisson, et il est finalement révélateur de retrouver l’auteur du Livre de la jungle dans un domaine où l’on ne fait qu’en appliquer la loi…

Auteurs


Eric Agostini

mail@e-agostini.com

Pays : France

Biographie :

Agrégé des Facultés de droit – IEP

Professeur honoraire des Universités

Avocat à la Cour

Statistiques de l'article

Vues: 2237

Téléchargements

PDF: 496

XML: 106