Droit de la propriété intellectuelle vitivinicole

Libre concurrence et reconnaissance judiciaire de la notoriété de la marque

Résumé

A l’aune du principe de libre concurrence et en prenant le marché viticole comme principal périmètre d’observation, la reconnaissance judiciaire de la notoriété (ou renommée) de la marque d’où résulte un surcroît de protection pour son titulaire, apparaît comme ayant un caractère exceptionnel, dont on peut prendre la mesure d’une double façon.


Au plan probatoire d’abord, en considérant le contraste entre les exigences pesantes pour le demandeur cherchant à prouver la renommée de sa marque à titre offensif et les exigences allégées pour le défendeur qui soulève la propre renommée de sa marque à titre défensif.


Au plan substantiel par ailleurs, en songeant à la technique des standards qui permet au juge, spécialement à travers une conception exigeante du « consommateur moyen » et une variété des « justes motifs », d’avoir les coudées relativement franches pour contraindre le titulaire de la marque renommée à coexister avec d’autres marques.

Libre concurrence et reconnaissance judiciaire de la notoriété de la marque

1. Libre concurrence et principe de spécialité. La marque entretient des rapports ambivalents avec le principe de libre concurrence1. Ce dernier, découlant du principe de la liberté du commerce et de l’industrie, signifie que chaque entreprise a la liberté d’utiliser les moyens qui lui semblent les meilleurs pour attirer la clientèle.

D’un côté, en permettant à son titulaire d’indiquer l'origine de ses produits ou services, d’informer le consommateur, d’acquérir et de conserver une réputation susceptible d’attirer et de fidéliser les clients, la marque sert ce principe. De l’autre, elle le malmène, car l’exclusivité accordée à l’un empêche les tiers d'utiliser le signe distinctif monopolisé dans l'exercice de leur propre activité2.

Le principe de spécialité, en limitant la réservation d’un élément à titre de signe distinctif à la désignation d’un ou de plusieurs produits, services ou activités déterminés, est le moyen par lequel s’équilibrent les intérêts contradictoires que la libre concurrence, comme toute liberté, ne manque pas de remuer. En cela, le principe de spécialité, qui innerve la propriété intellectuelle dans son ensemble, est l’indispensable instrument de mise en œuvre du principe de libre concurrence3. Faisant nôtre cette prémisse de Monsieur Bouvel, nous ferons nôtre aussi sa conclusion. C’est dès lors par l’application la plus ample possible du principe de spécialité que la libre concurrence se trouve a priori le mieux défendue. Dans le secteur du vin, cette vision a été rappelée avec force par la jurisprudence Caudalie. Ainsi que l’a analysé le professeur Ronan Raffray, « en se fondant largement sur le principe de spécialité pour juger licite l’utilisation par la société Caudalie des termes litigieux [premier crû], l’arrêt privilégie la liberté du commerce pour permettre l’utilisation des termes [ici des mentions traditionnelles] jusqu’ici associés par la réglementation au vin »4.

2. Marque, notoriété et libre concurrence. Lorsqu’à la marque individuelle s’attache une notoriété ou une renommée5, l’ambivalence se hausse d’un degré.

D’une part, comme pouvoir d’attraction propre, représentant une valeur économique souvent acquise au prix d’investissements importants, la notoriété mérite assurément protection. Pourvoient à cette protection certains régimes comme, par exemple, celui de la publicité comparative6 celui de la distribution sélective, propre à préserver l’image de marque7, celui de la concurrence déloyale, permettant la sanction du parasitisme8, celui de l’opposition à la reconnaissance postérieure d’une appellation ou indication géographique9, ou bien encore celui protégeant la marque notoire ou renommée au-delà des limites du principe de spécialité10.

D’autre part, la notoriété n’est pas elle-même un principe juridique11 ; c’est un fait, fondant, comme tel, de possibles particularisations des solutions, mais à appréhender dans le respect des règles et principes de droit. On conçoit donc que la protection spécifique due à la notoriété doive « rester exceptionnelle car, comme toute remise en question du principe de spécialité, elle est de nature à porter atteinte au principe (…) de liberté du commerce et de l'industrie »12. L’affaire « Bodegas Vega Sicilia c. EUIPO »13, tranchée par le Tribunal de première instance de l’Union européenne, semble pouvoir se lire comme une application du principe d’interprétation stricte des dispositifs de protection des marques renommées. En l’espèce, le titulaire de la marque « Vega Sicilia », marque renommée et enregistrée antérieurement à la reconnaissance des AOP « Grappa Siciliana/Grappa di Sicilia », « Sambuca di Sicilia » et « Sicilia » (la première désignant des spiritueux et les deux autres désignant des vins), demandait par la suite l’enregistrement du signe verbal « Tempos Vega Sicilia » pour désigner des produits de la classe 33. Un refus lui fut opposé, appuyé d’une part sur l’impossibilité de prendre en compte la notion de famille de marques14 et sur le fait d’autre part que le titulaire avait raté la fenêtre de tir, à savoir l’opposition à l’enregistrement des AOP en question15, dont il ne disposait pourtant pas en l’espèce pour se protéger16. Dans les conflits entre une marque renommée antérieure et une AOP postérieure, où la partie n’est pas égale en termes d’enjeux économiques, l’interprétation stricte est également à l’œuvre. Elle peut expliquer que la primauté des marques antérieures renommées « Bavaria », « Bavarian Beer » et « Høker Baker » n’ait pas permis de faire concrètement obstacle à l'enregistrement de l’indication géographique homonyme « Bayerisches Bier », faute de risque de confusion17. A cela s’ajoute que « contrairement aux marques, qui protègent avant tout les intérêts individuels de leurs titulaires, les indications géographiques répondent à un objectif d'intérêt général. Il s'agit en effet de signes dont l'usage est, par essence, collectif »18. Par conséquent, les retombées économiques d’une atteinte portée à la notoriété d’une marque ne sauraient être de même ampleur que celles d’une atteinte à la notoriété d’une appellation d’origine. Autre différence : la « notoriété dûment établie » est une condition de la définition même de l’AOC19, tandis que la notoriété n’est pas un élément de définition de la marque individuelle. On conçoit ainsi que la protection juridique accordée à une appellation d’origine au-delà du principe de spécialité puisse être de plus grande portée que celle accordée à une marque individuelle renommée. Par exemple, dans un conflit de marques, le titulaire de la marque postérieure pourra s'exonérer de sa responsabilité à l’égard de la marque renommée en invoquant un « juste motif », ce qui ne se conçoit pas si une atteinte est portée à une indication géographique par une marque postérieure.

3. Plan. Cet ensemble de considérations concernant les rapports entre « marque », « renommée », « principe de spécialité » et « libre concurrence », permet d’augurer que la reconnaissance judiciaire de la renommée d’une marque, dès lors du moins que cette renommée s’analyse comme une exception au principe de la libre concurrence, ne se fera qu’avec circonspection (I) et que la protection des intérêts du titulaire de la marque renommée, loin d’être systématique, sera casuistique (II). C’est ce qu’il convient de vérifier en prenant le marché viticole pour principal périmètre d’observation.

I) La reconnaissance de la notoriété de la marque

4. Notoriété en demande et notoriété en défense. Avec les considérations substantielles exposées ci-dessus, interfèrent aussi des données processuelles. L’action en justice n’est pas seulement le droit fondamental défini à l’article 30 du Code de procédure civile. Il ne faut jamais perdre de vue que « l’auteur d'une action en justice vient troubler la tranquillité du défendeur désormais engagé dans un processus contentieux en même temps qu'il contraint l'institution judiciaire et la force publique à se mobiliser »20. Le demandeur auteur d’une prétention, par cela même qu’il initie l’action, trouble la liberté du défendeur. On pressent dès lors que celui qui brandit la notoriété de sa marque de manière offensive (A), pour émettre une prétention de nature à menacer la liberté économique de l’adversaire, puisse être soumis à des conditions plus sévères pour faire reconnaître celle-ci et pour voir ses intérêts protégés, que celui qui invoque la notoriété de sa marque de manière défensive, à titre de défense au fond (B).

A) La notoriété offensive : caractérisation souvent pointilleuse de la renommée

5. Notion de marque renommée. La marque dite renommée est celle qui est connue d’une partie significative du public concerné par les produits ou services couverts par cette marque. Le public pertinent est constitué « par le consommateur moyen des produits et services pour lesquels cette marque est enregistrée, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé »21. Le vin étant considéré comme un produit de consommation courante, c’est au regard du « grand public »22 que s’appréciera la renommée d’une marque de vin. La zone géographique de référence pour l’appréciation de la renommée sera, pour la marque de l’Union européenne, une partie substantielle du territoire de l’Union européenne23 et pour la marque française, une partie substantielle du territoire français. Ainsi était-il possible, pour caractériser la renommée de la marque de l’Union européenne "Glenmorangie", de retenir que les produits désignés par cette marque sont des produits de luxe, consommés ou repérés par des consommateurs qui fréquentent notamment les restaurants, les bars, les magasins spécialisés dans la vente d'alcool ou les grandes surfaces (grand public), mais non de s’en tenir à une fraction significative du public français24. Dans le domaine des marques de vin, la notion même de renommée est déjà soumise aux conditions les plus rigoureuses qui soient, celles qui mettent le moins « en péril le principe de spécialité et la liberté du commerce »25. Cette exigence se retrouve en matière de preuve.

6. Rappel : allégation et contestation. En dehors de la procédure d’opposition qui, en vertu d’une disposition spéciale26, peut le cas échéant contraindre le demandeur à la preuve systématique de la renommée de sa marque, le droit de la preuve est gouverné par la règle classique fixée à l’article 9 du Code de procédure civile. Quand le titulaire d’une marque se prévaut de la renommée de celle-ci pour agir et émettre une prétention, il n’y a lieu pour lui de prouver cette renommée que si l’adversaire la conteste. Une illustration, parmi d’autres, en est fournie dans le (long) procès opposant la société Taittinger CCCV à Virginie Taittinger27, sur lequel nous reviendrons dans la deuxième partie.

7. Faisceau d’éléments. Lorsque la renommée est contestée, la charge de prouver l’allégation au soutien de la prétention revient au titulaire de la marque. Or, que constate-t-on dans ce compartiment du contentieux de la notoriété des marques ? Même si la preuve de la notoriété, fait juridique, est susceptible d’être rapportée par tous moyens, la conviction du juge ne peut souvent être emportée qu’à partir d’un faisceau d’indices nombreux. Face à un dispositif conçu comme exceptionnel et donc de droit étroit, la prudence est de mise.

8. Motivation circonstanciée. Le juge lui-même aura parfois tendance à recourir à une rhétorique particulière pour chasser tout doute sur ce point. Le procédé de l’anaphore aidera le cas échéant à produire un effet de renforcement de la motivation. Tout porte à croire que le doute devrait profiter à la libre concurrence du défendeur !

9. Illustration par une affaire « Moët et Chandon ». Exemplaire à cet égard est l’affaire tranchée le 17 septembre 2008 par la Cour d’appel de Paris. La SCS Moët et Chandon, titulaire d’une marque figurative représentant un « écusson de couleur verte sur lequel sont portées en noir les mentions “MOET et CHANDON à Epernay, fondée en 1743, Champagne Cuvée Dom Pérignon », agissait en contrefaçon et en responsabilité civile contre la SA Mexx France. A cette dernière, il était reproché par Moët et Chandon d’avoir porté atteinte à ses droits de marques pour commercialiser des tee-shirts. La SA Mexx France contesta la renommée de la marque de Moët et Chandon.

Pour admettre que la renommée de la marque était « amplement démontrée », la Cour d’appel a motivé très densément son arrêt. Elle fait allusion à :

« des productions qui attestent de ce qu’elle est très fréquemment représentée, dans les articles d’informations ou les pages publicitaires de la presse générale (Le Figaro Magazine décembre 2003,mai 2004, août 2004, septembre 2004, novembre 2004, Le Figaro mars 2003, mars 2004, Paris-Match février 2002, septembre 2004, Le nouvel observateur décembre 2004), dans la presse économique (Les Echos décembre 2004, Investir novembre 2003), dans la presse spécialisée dans l’art culinaire et la gastronomie (Gault Millau décembre 2002, Cuisine Créative décembre 2004, Vin de France décembre 2003, Planet Vins et Spiritueux juillet 2004, 3 Etoiles novembre 2004), dans la presse professionnelle (Paris Capitale juillet 2004, La Revue du Vin de France décembre 2004, La Revue du Champagne décembre 2003), dans la presse de mode (L’officiel de la couture et de la mode septembre 2004) de sorte que, force est de constater28 qu’à la date des faits litigieux sa notoriété dépasse le cercle des connaisseurs en matière de spiritueux comme la clientèle fortunée des produits de luxe pour atteindre une très large part du public français ; Que la notoriété de la marque est par ailleurs établie au vu des chiffres d’affaires réalisés sur le seul territoire national par la société MOET & CHANDON et ses filiales de distribution pour le seul produit Cuvée Dom Pérignon, toujours conditionné dans la bouteille habillée de l’écusson telle que représentée au dépôt, dont les montants de 11 259 000 euros en 2002, 10 184 000 euros en 2003, 12 769 000 euros en 2004 justifient du succès du produit désigné par la marque en cause ».

10. Commentaire de cette motivation. Comme on le constate, dans cette revue de détails, la publicité n’est pas absente, alors pourtant que l’on sait le droit français restrictif en la matière, quand il s’agit de boissons alcooliques. Une des possibilités de publicité directe ou indirecte réside justement dans la publicité par voie de presse écrite à l’exclusion des publications destinées à la jeunesse29. Le titulaire prétendu d’une marque renommée de vin ou spiritueux serait bien imprudent de faire l’impasse sur cette source de notoriété, quand sa prétention menace la liberté économique du défendeur. Il ne faut pas moins de cinq secteurs de presse écrite différents pour que « force » soit « de constater » une notoriété auprès d’une « très large part du public français ». On prendra soin de relever également que la notoriété du Champagne lui-même n’est pas un argument pour apprécier la notoriété d’une marque de Champagne. La notoriété de l’appellation d’origine et la notoriété de la marque sont deux choses distinctes, en sorte que la notoriété de la seconde ne peut s’appuyer sur la notoriété de la première. La vétusté, essentielle pour la reconnaissance de la notoriété d’une appellation d’origine, ne l’est pas pour la marque. Quand bien même son usage remonterait-il au temps des rois, son ancienneté n’est pas ici un gage suffisant de notoriété30. Il y faut surtout des données contemporaines, successives, de nature économique et chiffrée : investissements, marketing, parts de marché, chiffre d’affaires. Peut-être est-il escompté que ce chiffrage scrupuleux de la notoriété, pour ne pas dire cette mathématisation, achèvera de rendre incontestable la motivation en réponse au point qui était contesté.

Dans l’hypothèse inverse où la notoriété de la marque est invoquée en défense, la caractérisation de cette notoriété peut être beaucoup moins méticuleuse.

B) La notoriété défensive : caractérisation parfois indulgente de la renommée

11. Une notoriété inédite : l’exception de notoriété. Il existe un aspect du contentieux de la notoriété des marques rarement signalé comme tel, mais dont il est possible de faire voir l’importance ici. Il s’agit de ce que l’on pourrait appeler l’exception de notoriété, lorsque la notoriété est soulevée à titre défensif. Il a récemment été admis, à propos d’une affaire concernant un joueur de football de notoriété mondiale, que la notoriété du titulaire de la marque contestée peut faire émerger des différences conceptuelles qui suffisent à elles seules à faire disparaître des similitudes visuelles et phonétiques pourtant évidentes31. En matière vinicole, dans un conflit entre indication géographique et titulaire d’une marque, l’exception de notoriété paraît avoir été influente dans la notoire affaire « Champomy ».

12. Retour sur l’affaire « Champomy »32. Rappelons les faits de l’espèce : « au cours de l’année 1989, la société CSR Pampryl, devenue par la suite la société CSR, filiale de la société Pernod Ricard, a entrepris la commercialisation d'un jus de pomme gazéifié destiné aux enfants » et « a, pour les besoins de cette activité, déposé les marques françaises "Champomy", pour désigner les boissons de la classe 32 et "Champomy la boisson de la fête", ainsi que la marque internationale "Champomy", pour désigner de tels produits. » Le Comité interprofessionnel des vins de Champagne (le CIVC) et l'Institut national des appellations d'origine, devenu l'Institut national de l'origine et de la qualité (l'INAO), ont alors contesté l'usage de cette dénomination, ainsi que le fait que le conditionnement du produit et la publicité qui lui était consacrée l'associent au champagne. Un accord verbal du 19 janvier 1991 permis de mettre un terme provisoire au litige entre les protagonistes. Une dizaine d’années plus tard, la société Pernod Ricard déposa encore une série d’autres signes à titre de marques et fit une nouvelle campagne publicitaire qui amplifiait l'évocation du champagne. Le CIVC et l’INAO passèrent alors à l’offensive en demandant l'annulation des marques litigieuses ainsi que l'octroi de dommages intérêts notamment pour banalisation et dilution de la notoriété de l'appellation Champagne et pour exploitation injustifiée de la notoriété de l'appellation Champagne.

Pour donner raison au défendeur, les juges du fond, comme la Cour de cassation, retinrent que le titulaire de la marque Champomy « par une exploitation ininterrompue de près de vingt ans, ayant rencontré un réel succès commercial », avait su faire émerger un « univers propre autour de son produit, à savoir celui d'un monde enfantin festif connu de plusieurs générations ». « Le produit concerné se distinguait suffisamment du champagne, ce qui excluait que l'acquisition de ce caractère distinctif procède d'une méconnaissance de la convention interdisant la référence au champagne ». Le fondement de cet arrêt d’espèce était plus factuel que technique. Si l’accord du 9 janvier 1991 entre l’INAO et le CIVC et la Société du groupe Pernod-Ricard avait été qualifié de transaction33, ce que son caractère verbal n’empêchait pas en soi34, l’affaire aurait peut-être pu prendre une autre tournure. En matière de marque, la tolérance du demandeur peut l’exposer à une forclusion, au terme d’une période de cinq années consécutives35. L’idée de tolérance du CIVC n’est pas un fondement convaincant de l’arrêt Champomy. Faute de texte spécial analogue en matière d’AOP, c’est le droit commun qui s’appliquait, en vertu duquel les actes de tolérance ne se retournent pas contre leurs auteurs, puisqu’ils ne fondent « ni possession ni prescription »36. Quelle était alors la ratio decidendi sous-jacente ?

Ainsi que l’a relevé un auteur avec un brin d’ironie, « on pourrait presque considérer que c’est Champagne qui détourne la notoriété de Champomy dans cet univers ! »37. En effet, et c’est ce point qu’il faut souligner : bien qu’il n’ait pas été exprimé en des termes exprès par les juges, c’est un fait que la notoriété de la marque Champomy, ici opposée à titre défensif, a pesé de manière décisive38. Or, pour caractériser cette notoriété ou pseudo-notoriété, les juges ont été moins scrupuleux que dans l’affaire « Moët et Chandon » précitée. Ils se sont contentés de relever « une exploitation ininterrompue de près de vingt ans », un « réel succès commercial », un « monde enfantin festif connu de plusieurs générations »39. Si l’on devait s’aventurer à tirer un enseignement général de cette affaire singulière, on serait tenté de dire que la reconnaissance judiciaire de la notoriété, soulevée au soutien de la préservation de la liberté économique menacée du défendeur, à titre de simple défense au fond, semble moins problématique que la notoriété alléguée offensivement à titre de prétention. Un vieux précédent pourrait d’ailleurs être trouvé dans l’affaire ayant opposé l’AOP Châteauneuf-du-Pape à la marque « Vieux Papes »40. Outre une réglementation de l’étiquetage des vins qui, à l’époque, empêchait, selon les juges, toute confusion entre un vin de table et un vin d’AOC41, là aussi, pour résister à la prétention des défenseurs de la fameuse appellation d’origine, la célèbre marque de vin de table pouvait se prévaloir d’une exploitation ininterrompue depuis 1935, date du premier enregistrement. Il faut ajouter que le risque de confondre un vin de table avec un vin d’AOP est faible pour un consommateur moyen, alors qu’il est plus élevé quand il s’agit de distinguer un Châteauneuf-du-Pape d’un vin d’AOP côte du Rhône42. C’est une sorte de notoriété qui ne dit pas son nom, et qui est fondée principalement sur des considérations de durée et d’exploitation ininterrompue43.

Dans la mesure où cette notoriété est soulevée à titre de moyen de défense, à de simples fins de rejet de la prétention de l’adversaire, on comprend que sa caractérisation soit plus facilement reconnue. C’est conforme à la tendance générale consistant à admettre plus amplement les moyens ad excipiendum que les moyens ad agendum. En cas de violation de l’article L 643-1 du Code rural et de la pêche maritime, la réaction prompte des organes de défense des AOP semble donc toujours indiquée, pour ne pas laisser à l’adversaire titulaire de la marque litigieuse le temps de forger son arme de défense : l’exception de notoriété44. Si d’évidentes raisons de procédure civile expliquent ces oscillations entre rigueur et indulgence dans la caractérisation judiciaire de la renommée de la marque, la forme étant parfois « le fond qui remonte à la surface » comme disait Hugo, il n’est pas interdit de penser qu’en substance le principe de libre concurrence commande également de telles variations.

L’arrêt « CIVC/Caron » du 18 février 2004, certes antérieur à l’arrêt Champomy, jure toutefois avec cette présentation. Dans cette affaire, la marque « Bain de Champagne » pourtant enregistrée dès 1923 et la marque « Royal Bain de Champagne », enregistrée dès 1941, furent annulées, la cour d’appel ayant souverainement considéré « qu’en reproduisant la dénomination Champagne dans les marques litigieuses, la société Caron a(vait) entendu s'approprier l'idée de prestige et de raffinement qui s'attache à cette dénomination et détourner ainsi à son profit le pouvoir attractif de l'appellation d'origine » Champagne45. Malgré une ancienneté certaine et une exploitation ininterrompue, l’exception de notoriété fut donc inopérante ici, probablement parce qu’à la différence de la marque « Champomy », les marques reprenaient ici le mot sacré « Champagne ».

Le caractère exceptionnel des dispositifs de protection des marques renommées se vérifie aussi par la casuistique avec laquelle est dispensée cette protection, une fois la renommée prouvée.

II) La protection casuistique du titulaire d’une marque renommée

13. Notoriété et spécialité. Casuistique s’oppose à systématique. Sous l’empire de la loi du 31 décembre 1964, il fut déjà jugé qu’il n’y avait pas « un principe qui ferait bénéficier les marques notoires, à raison de leur seule notoriété, d’une protection s’étendant à tous les produits et services »46. D’ailleurs, c’est le titulaire d’une marque de vin très prestigieuse, « Yquem », qui donna à la Cour de cassation une occasion de redire que la caractérisation de « l’exceptionnelle notoriété » d’une marque ne suffit pas à la dispenser du principe de spécialité47, ce dernier étant, comme on l’a rappelé à la suite de Monsieur Bouvel, un rouage de la conciliation des intérêts contradictoires concernés par la libre concurrence.

14. Dans les conflits entre titulaire d’une marque renommée et titulaire d’une autre marque individuelle : l’importance des standards. Dans les conflits entre marques auxquels on s’en tiendra, où les rapports sont a priori égalitaires, la satisfaction d’intérêts individuels étant seule en jeu, la marque renommée ne sort pas toujours gagnante. La casuistique prend notamment barre sur les standards juridiques que sont le « consommateur moyen » (A) d’une part, le « juste motif » (B) d’autre part.

A) Casuistique et standard du « consommateur moyen »

15. Ductilité du « consommateur moyen ». Le risque de confusion s’apprécie au regard d’un modèle de consommateur qui n’est pas un connaisseur des grands crus, mais le consommateur moyen de la catégorie des produits en cause, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé48. Cela étant, à chaque fois qu’un régime protecteur de la marque renommée suppose la mise en évidence d’un risque de confusion pour le « consommateur moyen » ou le « consommateur de vin normalement informé et raisonnablement attentif et avisé », la ductilité de ce standard donne une marge de manœuvre aux juges du fond rendant difficile l’anticipation des solutions. Ces juges disposent par ailleurs d’un pouvoir souverain pour apprécier les faits et circonstances de la cause, dès lors qu’ils tiennent compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce, dont la notoriété d’une marque fait partie49.

Contre toute attente, un arrêt de la chambre criminelle du 19 juin 2019 exclut la condamnation du défendeur et salue même son habileté50. Pour repousser la qualification de pratique commerciale trompeuse, la chambre criminelle considère « qu'à supposer que le consommateur moyen ne sache pas que « Petrus » est un vin de l'appellation « Pomerol », il peut vérifier ce point sans la moindre difficulté et ne pourra que remarquer que « Petrus L... » est vendu sous l'appellation « côtes de Bordeaux », que, naturellement intrigué, il se demandera si le second vin d'une propriété située dans une appellation donnée peut être d'une autre appellation et trouvera facilement la réponse négative à cette question et qu'il verra d'ailleurs aussi facilement que « Petrus » n'a pas de second vin ; que les juges retiennent encore que le consommateur moyennement averti sait comme les grands vins sont chers et que si les pratiques commerciales des ventes en primeur mais aussi des seconds vins de grands châteaux permettent certes de faire des acquisitions intéressantes à des prix abordables, cela n'est certainement pas le cas, lorsqu'il s'agit de vins provenant de très grands châteaux du niveau de « Petrus », à des prix de l'ordre de 10 euros la bouteille ». Voilà brossé le portrait d’un « consommateur moyen », dont on ne peut s’empêcher de penser qu’il est tout de même au-dessus de la moyenne ! Dans le Code de la consommation, rappelons que le consommateur (moyennement averti) ne sait pas nécessairement qu’un crédit l’engage et doit être remboursé, puisqu’un texte exige qu’une publicité pour le crédit mentionne ces effets51

Pour repousser la qualification de contrefaçon, dans l’une des nombreuses affaires « Cheval Blanc », le risque de confusion entre les marques « Château Cheval Blanc » et « Domaine Cheval-Blanc Signé » fut écarté, au motif que « malgré la grande notoriété du " Château Cheval Blanc ", les différences étaient tellement apparentes que rien ne permettait de penser qu'un consommateur d'attention moyenne déduisait de la seule présence du vocable " Cheval-Blanc " que cet autre vin constituait un produit associé au " Château Cheval Blanc " »52. Là encore, on peut se demander si ce consommateur moyen n’a pas déjà un profil de connaisseur plus que moyennement averti.

A lire de tels arrêts, où l’on voit s’opposer une marque prestigieuse d’appellation elle-même prestigieuse (Pomerol, Saint-Emilion) à une marque d’appellation de moindre prestige (Côte de Bordeaux, Bordeaux), il n’est pas possible d’exclure totalement que le juge soit enclin, intuitivement, dans l’esprit du principe de spécialité, à user d’un syllogisme régressif, la notion à contenu variable du consommateur moyen étant alors taillée après coup, sur mesure, pour fonder une décision d’espèce. La libre concurrence implique aussi parfois de concilier l’instinct de conservation du plus puissant avec l’esprit de conquête du plus faible53.

Dans cette même optique, un autre standard conférant un large pouvoir d’appréciation au juge est celui du « juste motif ».

B) Casuistique et standard du « juste motif »

On développera plus longuement cette seconde situation et cette notion de juste motif dans le secteur vitivinicole.

16. Le « juste motif » du défendeur. L’écho de la libre concurrence se fait entendre alors dans la minutie avec laquelle sont mis en balance les intérêts en présence54, une balance qui pourra pencher du côté de l’adversaire inquiété par le titulaire de la marque renommée, en particulier si celui-là peut avancer un « juste motif ». Celui qui fait usage dans la vie des affaires d’un signe identique ou similaire à la marque et l’utilise pour des produits ou des services identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque est notoirement connue, ou renommée, même s’il tire indûment profit du caractère distinctif ou de la notoriété ou de la renommée de la marque, ou leur porte préjudice, pourra en effet encore échapper à la condamnation en responsabilité ou contrefaçon, en alléguant un juste motif55. A ce sujet, du temps d’une directive aujourd’hui dépassée, -mais rien de fondamental n’a changé sur ce point avec l’actuelle -, la CJCE a eu l’occasion de préciser, dans un arrêt « Red Bull » du 6 février 2014 que « l’article 5, paragraphe 2, de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, doit être interprété en ce sens que le titulaire d’une marque renommée peut se voir contraint, en vertu d’un "juste motif" au sens de cette disposition, de tolérer l’usage par un tiers d’un signe similaire à cette marque pour un produit identique à celui pour lequel ladite marque a été enregistrée, dès lors qu’il est avéré que ce signe a été utilisé antérieurement au dépôt de la même marque et que l’usage fait pour le produit identique l’est de bonne foi »56.

La partie défenderesse peut avoir un juste motif, soit de nuire au demandeur (porter préjudice), soit de tirer de celui-ci un avantage indu (profit indu)57. La libre concurrence sera parfois un juste motif de nuire aux intérêts du titulaire de la marque renommée. Qu’est-ce donc qu’un « juste motif » ? C’est un standard laissé à l’appréciation du juge, susceptible d’accueillir un large éventail de bonnes raisons de contraindre le titulaire de la marque renommée à souffrir la coexistence d’un signe similaire58. En résulte, spécialement dans le domaine des marques de vin, une appréciation au cas par cas, où le juste motif est tantôt subjectif, tantôt objectif.

17. Juste motif subjectif : la reconversion professionnelle de Virginie Taittinger. Dans l’affaire « Taittinger c. Virginie Taittinger », où il est reproché à cette dernière de faire un usage d’un signe identique ou similaire à la marque renommée Taittinger, dans son arrêt du 2 mars 2020, la Cour d’appel de Paris, statuant sur renvoi après cassation partielle, s’est appuyée sur la conception lâche du « juste motif » retenue par la CJCE au point 45 de son arrêt de 2014 précité : « la notion de juste motif ne saurait comprendre que des raisons objectivement impérieuses, mais peut également se rattacher aux intérêts subjectifs d'un tiers faisant usage d'un signe identique ou similaire à la marque renommée ».

Reprenant à son compte la motivation des premiers juges, la Cour d’appel de Paris a relevé ici que Virginie Taittinger « a, jusqu'à son licenciement sans cause réelle et sérieuse en décembre 2006, effectué sa carrière au sein de la SA Taittinger. Aux termes du dossier de presse qu'elle produit, elle était présentée dans les médias durant cette carrière, comme l'ambassadrice des champagnes Taittinger. Au regard de ses compétences professionnelles, exclusivement développées au sein de l'entreprise familiale pour assurer la promotion de son champagne, il est logique et légitime que Virginie Taittinger assure sa reconversion dans le domaine du champagne et que, pour ce faire, elle fasse état de son nom, de son origine familiale et de son parcours professionnel, ce qui la conduit nécessairement à évoquer le champagne de marque 'Taittinger' qu'elle a servi pendant plus de vingt ans59, essentiellement pour le distinguer du nouveau produit qu'elle commercialise. Par ailleurs, dans sa communication pour les besoins de sa nouvelle activité, (…) elle a toujours utilisé son nom en l'associant à son prénom Virginie, lequel est d'ailleurs particulièrement mis en avant dans la marque 'VIRGINIE T' sous laquelle le champagne nouvellement produit était commercialisé. Enfin, il n'est pas prétendu que le contenu des déclarations de Virginie Taittinger ne serait pas conforme à la réalité. Ces circonstances, exclusives de toute mauvaise foi et de tout comportement contraire aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale (…) constituent autant de justes motifs qui conduisent à écarter le grief d'atteinte à la marque de renommée (…) ». Pour les mêmes raisons, la Cour d’appel de Paris a écarté également les demandes formées au titre du parasitisme. Au-delà des aspects proprement juridiques, l’équité commandait une telle issue, dans ce procès où l’on voit une personne morale s’en prendre à la liberté économique d’une personne physique ayant contribué par ses efforts passés à l’ascension de la marque sur l’échelle du prestige.

Dans d’autres situations, le juste motif conduisant à écarter la protection d’une marque pourtant renommée peut être objectif.

18. Juste motif objectif et homonymie. Dans le domaine viticole, l’homonymie peut être un autre juste motif d’utiliser un signe identique ou similaire à une marque renommée. Tel est l’enseignement principal de l’affaire « Henriot », jugée par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 21 juin 201160. En l’espèce, la société Champagne Henriot et la société Masai avaient assigné Raymond Henriot, sa société, et la société Champagne Serge Henriot en contrefaçon de la marque renommée Henriot, dont la société Champagne Henriot est titulaire. La Cour de cassation a considéré que n’était pas critiquable « la mise en exergue de leur patronyme dans la dénomination sociale de leur entreprise à laquelle ils s'identifient ». On rappellera que pas plus dans l’ancien article L 713-6 du CPI que dans le nouveau, il n’est attaché d’importance à l’antériorité en ce qui concerne le cas des homonymes. La seule condition était la bonne foi hier. Elle est aujourd’hui que l’usage du nom de famille soit conforme aux « usages loyaux du commerce ». Comme on le sait, « les homonymies sont fréquentes en Champagne viticole, aussi bien chez les producteurs récoltants que chez les négociants et il est d'usage, de manière à opérer une distinction entre des dénominations sociales, des noms commerciaux ou encore des enseignes recourant à des patronymes communs, de faire appel à des moyens tels l'adjonction du prénom du producteur et l'indication de la localisation géographique de la production »61. L’adjonction du prénom est justement un exemple de ces usages loyaux du commerce.

19. Juste motif objectif et toponymie. Une autre forme d’homonymie, propre au secteur viticole, peut provenir du privilège de tènement, lequel peut illustrer un troisième exemple de juste motif obligeant des marques de haute renommée à faire montre de tolérance envers ceux qui se prévalent d’un droit au nom. Le privilège de tènement permet en effet à une marque domaniale « d'échapper à une condamnation en contrefaçon quand on peut justifier de l'utilisation d'un nom cadastral qui est identique ou quasi-identique à une marque qui se prétend contrefaite »62. Dans le domaine du vin de Bordeaux, les exemples sont légion de ces marques prestigieuses devant cohabiter avec des marques homonymes, simplement pour des raisons cadastrales63. C’est ainsi, pour reprendre quelques exemples d’une recension effectuée encore récemment par le Professeur Eric Agostini, que « le château Clément-Pichon, discret cru bourgeois de Parempuyre, est admis à coexister avec les châteaux Pichon-Comtesse et Pichon-Baron, tous deux 2es crus classés de Pauillac », que « le château Latour-Laguens, obscur Entre-deux-Mers, impose sa compagnie au Château Latour, 1er grand cru classé de Pauillac, que « le château Mouton Rothschild et son ombre Mouton Cadet se voient contraints de tolérer l’existence d’un château Croix-Mouton issu du Fronsadais », et « que le célébrissime Pétrus vedette de Pomerol est obligé de cohabiter avec un château Pétrus Gaïa surgi des fins fonds de l’Entre-deux-Mers, dans la commune de Ruch (…) »64. Là encore, l’adjonction d’un simple terme (suffixe ou préfixe) permettant d’éviter tout risque de confusion tient lieu de juste motif et d’usage loyal du commerce. Il y faudra aussi, bien sûr, la traçabilité et le respect de la condition de vinification séparée65.

20. Conclusion. L’hypothèse paraît ainsi se confirmer à l’aune du contentieux. La protection particulière accordée aux marques renommées, si légitime soit-elle, demeure de droit étroit. Ce caractère exceptionnel, dont nous avions postulé à la suite des travaux de Monsieur Bouvel qu’il est de nature à servir au mieux le principe de libre concurrence, se manifeste d’une double manière.

Il apparaît en premier lieu au plan probatoire, dans le contraste entre le lourd fardeau de la preuve de la renommée de la marque du demandeur, quand cette renommée est soulevée à l’appui d’une prétention et la notoriété allégée, ou pseudo-notoriété de la marque, principalement fondée sur le facteur temps, qui suffit parfois, quand c’est le défendeur qui la soulève à titre d’exception.

En second lieu, au plan substantiel, la technique des standards (« consommateur moyen », « juste motif ») permet de ne pas protéger la marque renommée de manière trop systématique, ce qui s’accorde également assez bien avec la nature exceptionnelle du surcroît de protection dont jouissent les marques renommées. Dans le domaine viticole, nous avons spécialement vu comment le juge, via une conception exigeante du consommateur moyen et une variété de justes motifs, peut finalement assez facilement contraindre une marque renommée à coexister avec d’autres marques, au nom de la libre concurrence ou du moins de la conception qu’il se fait de celle-ci dans le litige à trancher.

Notes

  • A. Bouvel, « La protection des marques renommées », Jcl, marques, dessins et modèles, Fasc. 7320, 2017, n ° 1.
  • A. Bouvel, ibid.
  • A. Bouvel, ibid., qui considère le principe de spécialité comme « une limite en deçà de laquelle les marques ne constituent pas une menace pour la liberté de la concurrence et ne peuvent que lui être profitables » ; plus largement, v. A. Bouvel, Principe de spécialité et signes distinctifs, Litec, 2004.
  • R. Raffray, « Affaire Caudalie contre premiers crus. Faiblesse ontologique des mentions traditionnelles vitivinicoles ou protection exacerbée de la liberté du commerce ? », obs. sous CA, Paris, 29 mai 2018, RG No 16/14549, Droit et Patrimoine, Nº 286, 1er décembre 2018.
  • Faute d’enjeu pour le traitement du sujet, la distinction entre la marque notoire (non enregistrée) et la marque renommée (enregistrée), dont les conséquences restent au demeurant discutées, ne sera pas effectuée dans la suite de cette étude : notoriété et renommée y seront considérées comme des synonymes.
  • art L. 122-2 du Code de la consommation : La publicité comparative ne peut : 1° Tirer indûment profit de la notoriété attachée à une marque (…) » ; Crim., 19 novembre 2019, n° 18-85.900.
  • Cass. com., 18 déc. 2012, n° 11-27.342, F-D, Sté E. Guigal  : JurisData n° 2012-030121, CCC mars 2013, comm 54, M. Malaurie-Vignal, « Distribution sélective - La Cour de cassation applique la jurisprudence Métro à la distribution de vin de prestige : un effet de la mondialisation ? ». Madame Malaurie-Vignal relève que « dans (…), la distribution de vins de prestige, il pourrait être admis que le vigneron exige de tous ses distributeurs des conditions de présentation, voire de conservation, conformes à la nature du produit, et interdise au distributeur le « voisinage » de vins de piètre qualité dès lors que ce voisinage est susceptible de porter atteinte à la notoriété des produits ».
  • Notamment via les pratiques commerciales trompeuses, mais la protection n’est pas systématique, v. par ex. Crim., 12 juin 2019, 18-83.298.
  • art 101. 2 du Règlement n° règlement no 1308/2013/UE du 17 décembre 2013. Aucune dénomination n'est protégée en tant qu'appellation d'origine ou indication géographique si, compte tenu de la réputation et de la notoriété d'une marque commerciale, la protection pourrait induire le consommateur en erreur quant à la véritable identité du vin concerné ; v. aussi art. l'art. 98 du règlement no 1308/2013/UE du 17 décembre 2013, et les art. 11 du règlement no 2019/33/UE du 17 octobre 2018 (JOUE 11 janv. 2019, no L 9), et 8 du règlement d'exécution no 2019/34/ UE du 17 octobre 2019 (JOUE 11 janv. 2019, no L 9).
  • v. les art. L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle et L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle ; art. 5 et 10 de la directive (UE) 2015/2436 du parlement européen et du conseil du 16 décembre 2015 rapprochant les législations des États membres sur les marques ; art. 8 du Règlement (UE) 2017/1001 du parlement européen et du conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union européenne ; pour une synthèse, F. Picod, Le régime protecteur des marques de renommée, Revue des affaires européennes, 2019, n° 3, p. 495.
  • v. infra n° 13.
  • A. Bouvel, préc., n° 2.
  • TUE, 9 février 2017, T-696/15, rev. dr. rur oct. 2017, comm. 239, Th. Georgopoulos.
  • « 53   (…) il convient de relever qu’une marque ne peut être enregistrée que de façon individuelle (…) même dans l’hypothèse d’un enregistrement simultané de plusieurs marques présentant un ou plusieurs éléments communs et distinctifs (arrêt du 13 septembre 2007, Il Ponte Finanziaria/OHMI, C234/06 P, EU:C:2007:514, point 61). La série ou famille de marques n’est pas enregistrée en tant que telle et ne peut donc pas bénéficier d’une protection en tant que telle. Il en découle que, même à considérer la marque demandée comme faisant partie de la série de marques VEGA SICILIA dont la requérante serait titulaire (possibilité qui, en principe, n’est pas exclue par l’EUIPO), cette appartenance à la famille de marques n’implique pas que la marque demandée puisse relever de l’article 102, paragraphe 2, du règlement n° 1308/2013. Dès lors, la requérante ne peut pas se prévaloir de la prétendue appartenance de la marque demandée à la famille de marques VEGA SICILIA pour en obtenir l’enregistrement en vertu dudit article. »
  • 60   « Dès lors, à supposer même que la marque VEGA SICILIA soit largement connue ou qu’elle jouisse d’une certaine renommée dans l’Union européenne, ladite circonstance n’empêche pas de rejeter l’enregistrement de la marque demandée en application de l’article 7, paragraphe 1, sous j), du règlement n° 207/2009. Ainsi que la chambre de recours le fait observer à juste titre, pour se prévaloir de la renommée du signe VEGA SICILIA aux fins de l’enregistrement de la marque demandée, la requérante aurait dû former opposition, aux termes de l’article 98 du règlement n° 1308/2013, lu en combinaison avec l’article 101, paragraphe 2, du même règlement, avant l’octroi de l’appellation d’origine protégée « Sicilia ».
  • et ce pour des raisons de chronologie que rappelle dans sa note Th. Georgopoulos : date d'enregistrement de l'appellation d'origine italienne « Sicilia » : 1999 ; possibilité d'opposition introduite pour les vins par le Règlement (CE) n° 479/2008.
  • Il a été relevé que « la primauté de la marque antérieure renommée est d'autant plus exceptionnelle que les juges sont réticents à mettre en oeuvre cette règle », C. Le Goffic, « Prior tempore, potior jure ? Difficiles relations entre indications géographiques et marques », Revue de l'Union européenne 2013, p. 425.
  • Ibid.
  • art. L. 641-5 du C. rur. et de la p. mar.
  • X. Lagarde, « La distinction entre prescription et forclusion à l'épreuve de la réforme du 17 juin 2008 », D. 2018, p. 469.
  • CJCE 27 nov. 2008, Intel, C-252/07
  • CJCE, 14 sept. 1998, aff. C-375/97, pt 24, RJDA 1999, n° 1266 ; Europe 11/99, obs. F. Berrod ; Lamy Commercial 1999, n° 116, p. 1, note Haberer ; RTDE 2000, p. 134 à 137, note G. Bonet ; D.  2001, p. 449, obs. S. Durrande.
  • CJUE, 6 oct. 2009, Pago, C-301/07.
  • Com., 5 Juin 2019, n° 17-25665.
  • A. Bouvel, op. cit., n° 26.
  • art. 7.2 f) du Règlement délégué (UE) 2018/625 de la commission du 5 mars 2018 complétant le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil sur la marque de l'Union européenne, et abrogeant le règlement délégué (UE) 2017/1430
  • Com., 10 juillet 2018, n° 16-23694 : « La renommée de la marque 'X…' nº 350 qui désigne en particulier des 'vins de provenance française à savoir Champagne' n'est pas contestée et est en tout état de cause établie à suffisance par les pièces produites par la société appelante ». Il est évident dans cette affaire qu’il n’est pas de l’intérêt de Virginie Taittinger de contester la renommée de la marque « Taittinger ». En présence d’une homonymie, il en est pratiquement toujours ainsi.
  • Pour une critique de cette formule, v. M-L. Izorche, « Propos pour un doctorant », D. 2002, p. 1683 : « en utilisant la formule « force est », il (le locuteur) dit : « je ne vous force pas à constater, mais nous sommes bien obligés, vous et moi, de constater » que... L'argument d'autorité se double alors, à notre sens, d'un redoutable argument de connivence, le locuteur et l'auditoire étant également victimes d'une force qui leur est extérieure. Par ailleurs, le verbe « être » pose l'existence de cette force comme une évidence : la force « est » (ce n'est pas moi qui le dis, vous le voyez bien !) ».
  • Art L. 3323-2, 1° du Code de la santé publique.
  • Plus largement, sur ce point, v. une affaire « Must » et les obs. de P. Tréfigny, « Le Must n'est plus ce qu'il était : le temps a aussi une incidence sur la renommée... », Propriété industrielle n° 6, Juin 2013, comm. 41
  • CJUE, 17 sept 2020 aff C-449/18 P, C-474/18P, Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) contre Lionel Andrés Messi Cuccittini et J.M. E.V. e hijos SRL contre Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO).
  • Com., 7 juillet 2009, n° 08-10.817 ; Semaine Juridique Entreprise et Affaires, n° 44-45, 29 Octobre 2009, 2025 obs. S. Visse-Causse.
  • « Les parties ont convenu que les sociétés du groupe Pernod Ricard ne feraient plus référence au champagne dans leur publicité ou le conditionnement de la boisson en question, l'INAO et le CIVC s'obligeant en contrepartie à ne pas s'opposer à l'usage de la dénomination Champomy ».
  • L’exigence d’un écrit, formulée à l’article 2044 du Code civil, n’est en effet qu’une règle de preuve.
  • article L.716-4-5 du Code de la propriété intellectuelle.
  • article 2262 du Code civil.
  • N. Olszak, Viti-vinicole - Usurpation et contrefaçon, Droit rural n° 456, Octobre 2017, dossier 9, spéc., n° 25.
  • L’autre élément ayant été le «  caractère initiatique à l'égard des vins de Champagne ».
  • A contrario, dans l’affaire jugée par la cour d’appel de Paris en 1993 ayant vu le CIVC triompher face à Yves saint Laurent, ce dernier ne pouvait pas se prévaloir d’une utilisation durable du terme « Champagne » pour désigner un parfum.
  • CA Aix-en-Provence, 2 févr. 1961, D. 1962, p. 345, note N. Liotard.
  • La règlementation d’alors, fondée sur le décret du 19 août 1921 (art 4), n’exigeait pas de faire figurer sur l’étiquette des vins d’appellation l’indication du degré d’alcool.
  • sur la condamnation de la marque la « Châsse du Pape » (Crim., 19 avril 2005, n° 04-84.854) et de la marque collective « Enclaves des Papes » (Crim., 22 février 2011, n° 10-80.721) : « le mot " pape " confère à l'appellation d'origine contrôlée " Châteauneuf-du-Pape " une spécificité individualisante et capitale, notamment sur le plan commercial et, qu'employé dans le secteur d'activité du vin, de plus dans un cadre géographique déterminant, la vallée du Rhône, il s'associe naturellement et immédiatement à l'appellation d'origine contrôlée " Châteauneuf-du-Pape ».
  • Dans l’affaire CIVC / Champin, jugé par l'arrêt de la Chambre civile du Tribunal suprême espagnol, du 1er mars 2016, Droit rural n° 452, Avril 2017, étude 15, Organisation des marchés - La protection européenne des appellations d'origine sous tempête espagnole L'affaire « Champin » et la question des appellations « notoires » - Etude par Théodore Georgopoulos, même si la motivation de la juridiction espagnole a largement tourné autour d’une confusion des règles applicables aux marques et de celles applicables aux AOP, l’annotateur a relevé : « il s'avère que la même marque figurative « Champin » est enregistrée depuis des lustres en tant que marque européenne (n° 001588102), en classe 32 mais également en classe... 33 (boissons alcooliques à l'exception des bières) ! ».
  • Relevons que dans l’affaire CIVC/Yves Saint Laurent, jugée le 15 décembre 1993 par la Cour d’appel de Paris (CA Paris, 15 déc. 1993 : JCP G 1994, II, 22229, note F. Pollaud-Dulian ; Gaz. Pal. 1994, 1, 55, concl. B. Delafaye), le parfum « Champagne » n’avait pas fait l’objet d’une exploitation ininterrompue en France, à la différence de la marque de vin « Vieux Papes » et de la marque de boisson « Champomy ».
  • Com., 18 février 2004, n° 02-10576; G. Bonet ; « Des cigarettes aux parfums, l’irrésistible ascension de l’appellation d’origine Champagne vers la protection absolue », Rev de prop indust. 2004, p. 853.
  • Com., 4 juin 1991, Bull. civ., IV, n° 210.
  • Cass. com., 30 mai 1995, Bull. civ., IV, n° 163 : « (…) en se déterminant par de tels motifs, fondés sur l'exceptionnelle notoriété de la marque litigieuse, impropres à démontrer ni que les produits protégés par la marque déposée par la société Jacques Benedict étaient identiques ou similaires au vin protégé par la marque Château Yquem déposée par la société civile Château d'Yquem, ni que la société civile Jacques Benedict avait commis une faute dans l'exploitation de la marque en se référant à la notoriété de la marque Château d'Yquem, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ».
  • Com., 6 septembre 2016, n° 14-25692.
  • Com., 15 mars 2017, n° 15-19.513 15-50.038.
  • Crim., 12 juin 2019, n° 18-83.298.
  • art L. 312-5 du Code de la consommation
  • Com., 24 novembre 2009, n° 08-18.605.
  • Sur ces « deux pulsions jumelles » qui « animent les concurrents », v. l’ouvrage de l’économiste A. Bienaymé, Principes de concurrence, préf. Ch. Babusiaux, Economica, 1998, p. 6.
  • V spéc. les points 41 à 46 de l’arrêt Red Bull (C-65/12).
  • art L. 713-3 et L 713-5 du CPI.
  • aff. C-65/12.
  • en ce sens, Com, 10 juillet 2018 rappelant que « l'existence éventuelle d'un juste motif à l'usage du signe n'entre pas en compte dans l'appréciation du profit indûment tiré de la renommée de la marque, mais doit être appréciée séparément ».
  • point 46 aff. C-65/12.
  • Pointe ici encore une allusion au facteur temps (« plus de vingt ans »), pour établir non la notoriété de la marque attaquée mais celle de la défenderesse elle-même.
  • Com., 21 juin 2011, n° 10-23262, Bull. civ., IV, n° 105.
  • Telle était la motivation de la Cour d’appel dans l’arrêt Henriot
  • N. Olszak, Viti-vinicole - Usurpation et contrefaçon, Droit rural n° 456, Octobre 2017, dossier 9, spéc. n° 17.
  • Sur la critique du « tout cadastral », v. E. Agostini, « Nom cadastral et nom de cru », in K. Fiorentino et S. Monnier, Les archives de la vigne et du vin, Enjeux patrimoniaux, juridiques et culturels, colloque Dijon de 5 et 6 novembre 2018, L’harmattan, 2019, pp. 77-113. L’auteur y montre et déplore que, spécialement dans le vignoble bordelais, depuis la jurisprudence « Cassevert », le cadastre soit devenu une condition de fond et un facteur non plus simplement probatoire mais décisoire du droit au nom, de sorte que, « pour peu que l’ensemble cadastré sous le nom de cru revendiqué soit assez important pour constituer une unité culturelle absolument autonome se suffisant à elle-même », l’exploitant « avait le droit d’imposer une coexistence avec le premier déposant de la marque domaniale » (p. 88).
  • E. Agostini, « Nom cadastral et nom de cru », préc., pp. 88-89.
  • Com., 24 novembre 2009, n° 08-18.605 ; et auj. v. les art. 54 du Règlement délégué 2019/33 du 17 octobre 2018 et 7 du Décret n° 2012-655 du 4 mai 2012 relatif à l'étiquetage et à la traçabilité des produits vitivinicoles et à certaines pratiques œnologiques.

Auteurs


Cyril Noblot

cyril.noblot@univ-reims.fr

Pays : France

Biographie :

Cyril Noblot

Maître de conférences HDR à l’Université de Reims,

Responsable du Master 2 Droit des contentieux privés

Ouvrages

Cyril Noblot, Droit de la consommation, Lextenso, 2012, Focus droit, 231 p.

Cyril Noblot et Françoise Labarthe, Le contrat d'entreprise, LGDJ, Lextenso éd., 2008, Traité des contrats, 871 p.

Cyril Noblot, La qualité du contractant comme critère légal de protection : essai de méthodologie législative, LGDJ, 2002, Bibliothèque de droit privé, 345 p.

Statistiques de l'article

Vues: 1275

Téléchargements

PDF: 6

XML: 47