Droit de l'entreprise viticole

Diffamation, dénigrement, procédure bâillon ? À propos de la condamnation de l’association Alerte Aux Toxiques pour dénigrement de la viticulture bordelaise. TJ Libourne, 25 février 2021, n°RG 20/01409

Résumé

Consécutivement à cette décision, la justice a parfois été accusée dans la presse d’avoir fait droit à une demande dite « bâillon », protectrice des intérêts de la filière, représentée à l’instance par le Conseil interprofessionnel du vin de bordeaux (CIVB). Il est donc nécessaire et instructif d’observer le détail de la motivation de ce jugement du tribunal de Libourne, largement diffusé, en situant cette affaire dans le contexte environnemental propre au vignoble bordelais, de sorte que chacun puisse s’appuyer sur des éléments tangibles pour forger son opinion.

Introduction

Pour critiquer le label « Haute Valeur Environnementale » (HVE), l’association Alerte aux toxiques a publié des résultats détaillés d’une analyse de vins de châteaux bordelais nommément désignés, révélant la présence - en deçà toutefois des limites légales applicables aux raisins de cuve - de résidus de pesticides dangereux. Ce name and shame a conduit l’association devant le Tribunal judiciaire de Libourne, qui a condamné très lourdement1 - au regard des capacités financières de l’association - ce « lanceur d’alerte »2 sur le fondement du dénigrement3.

Consécutivement à cette décision, la justice a parfois été accusée dans la presse d’avoir fait droit à une demande dite « bâillon », protectrice des intérêts de la filière, représentée à l’instance par le Conseil interprofessionnel du vin de bordeaux (CIVB). Il est donc nécessaire et instructif d’observer le détail de la motivation de ce jugement du tribunal de Libourne, largement diffusé, en situant cette affaire dans le contexte environnemental propre au vignoble bordelais, de sorte que chacun puisse s’appuyer sur des éléments tangibles pour forger son opinion.

Dans la viticulture comme dans d’autres secteurs, à Bordeaux comme ailleurs, la prise de conscience environnementale4 a été tardive. Elle est aujourd’hui certaine, mais inégale et complexe.

La situation bordelaise illustre d’ailleurs assez bien les suites difficiles de la loi Egalim I5 qui a abordé plusieurs points essentiels pour la viticulture. D’une part, la loi avait prévu que le traitement des zones tampons serait régulé par des chartes de bon voisinage conclues à l’échelle départementale6, mais le dispositif prévu pour l’inclusion des parties prenantes a été jugé déficient par le Conseil constitutionnel7. D’autre part, la loi a promu la certification environnementale du Code rural et de la pêche maritime comme support officiel8 de l’agroécologie9, prévoyant en outre l’insertion de la certification environnementale dans les cahiers des charges des signes de qualité et de l’origine (SIQO) à l’horizon 203010. Cette insertion, déjà mise en chantier par de nombreux organismes de défense et de gestion (ODG), devait être encadrée par un décret qui ne sera certainement pas adopté pour cause d’incompatibilité avec le droit de l’Union européenne11 sur les signes de qualité.

Ces thèmes illustrent bien à quel point les parties prenantes que sont les voisins et l’environnement poussent à la modification en profondeur des pratiques viticoles. Ces sujets sont ainsi symptomatiques de la mutation profonde que connaît le vignoble confronté à l’exigence environnementale, mutation qui pose ouvertement la question de la possibilité d’une troisième voie entre la viticulture biologique ou biodynamique et la viticulture conventionnelle, qui prendrait le visage d’une RSE viticole12, laquelle s’est considérablement développée ces dernières années, en France et dans le monde13.

La HVE, qui correspond au troisième niveau de certification environnementale, a en effet offert à la viticulture la possibilité de s’engager à moindres frais dans une démarche environnementale peu contraignante, mais bénéficiant d’une légitimité publique. La HVE et les controverses qu’elle suscite illustrent donc assez bien les vicissitudes de cette troisième voie, entre verre à moitié vide et verre à moitié plein, entre accusations de greenwashing et marchepied environnemental, dialectique classique de la RSE.

Pour l’association Alerte aux toxiques et Madame Murat, figure reconnue de la lutte antipesticides dans le vignoble bordelais, c’est le verre à moitié vide, avis que conforteraient les dernières études relativisant le gain environnemental de la HVE14. Pour l’interprofession bordelaise, c’est le verre à moitié plein, la HVE initiant les Châteaux aux démarches environnementales15, témoignant ainsi de l’accomplissement par le CIVB et des ODG de leur mission d’accompagnement en ce sens16.

Sur le terrain, les ambitions environnementales comme les freins sont nombreux et la filière (producteurs, négoce, institutions) se retrouve généralement dans une recherche de compromis qui peut être diversement interprétée.

L’observateur serait tenté de blâmer le conservatisme professionnel et institutionnel. Il pourrait aussi souligner que les équilibres économiques demeurent fragiles, ce qui contraint aux petits pas. Si l’on prend l’exemple des zones tampons, les mètres qui ont font l’objet d’âpres discussions représentent une superficie considérable de production bordelaise.

On dira donc que le chantier environnemental se construit davantage qu’il ne se décrète, et que le verdissement a adopté à Bordeaux le temps long qui caractérise la viticulture avant de subitement s’emballer, dans les vignes, au chai et sur les étiquettes.

L’information du consommateur se trouve précisément au cœur de cette affaire née de l’utilisation d’une analyse de vins confiée à un laboratoire par Mme Murat et l’association Alerte aux toxiques, dont les résultats ont été publiés en septembre 2020 sur le site de l’association par la voie d’un dossier et d’un communiqué de presse intitulés « Analyses de résidus pesticides dans les vins, résultats : la HVE encore gourmande en pesticides ».

Le dossier indique que sur 22 bouteilles analysées, 28 substances actives ont été détectées, avec une moyenne de 8 substances actives par bouteille. La synthèse du dossier de presse est suivie d’une liste exhaustive des 22 vins analysés, dont 19 sont des vins de Bordeaux, classés dans un tableau en fonction du nombre de substances actives analysées, accompagnés d’une légende qui permet d’identifier pour chaque vin les substances détectées.

Le dossier de presse mentionne que les 22 bouteilles analysées possèdent la certification HVE ou affirment se référer à une pratique vertueuse, et contient à une critique détaillée des certifications HVE, Vegan et du Label « zéro résidu de pesticides », ne retenant que les différentes certifications bio et biodynamiques comme « dignes de confiance ». Ce name and shame adossé à la présentation d’informations essentielles à la compréhension des différents labels, a fait réagir la filière. Le CIVB et les producteurs ont assigné Mme Murat et l’association devant le tribunal de Libourne et demandaient notamment qu’elles soient condamnées pour dénigrement.

La demande se fondait donc sur l’article 1240 du Code civil, le CIVB exposant que les communications susvisées constituaient un dénigrement collectif qui affectait l’image de tous les opérateurs dont il défend et représente les intérêts, le CIVB précisant que les communications recelaient une appréciation négative des vins bordelais, que ces propos avaient été tenus avec l’intention malveillante de jeter le discrédit sur les vins bordelais et de susciter la désaffection des clients de vins bordelais ; qu’ils avaient été tenus publiquement via le site de l’association et la presse ; que les vins bordelais étaient ciblés et clairement identifiables ; que les propos tenus et l’association entre les vins de Bordeaux et des produits mortels ou à haute toxicité ternissent gravement l’image des vins bordelais ; que tous les résultats étaient conformes à la réglementation en vigueur, les teneurs quantifiées étant très inférieures aux LMR raisins de cuve ; que les articles publiés reposent sur une base factuelle insuffisante en ce que les analyses faites par Madame Murat avaient été diligentées de manière subjective et orientée.

Les producteurs soutenaient également l’existence du dénigrement, une présentation inadaptée des analyses de mauvaise foi et faussées, sans faire le lien avec la réglementation en vigueur et sans notion quantitative des éléments toxiques relevés.

Le défendeur sollicitait quant à lui la requalification de l’action en CIVB en action en diffamation et demandait la nullité de l’assignation pour irrespect des dispositions de la loi du 29 juillet 1881 et l’irrecevabilité de l’ensemble des demandes formulées. Subsidiairement, le défendeur contestait la réunion des conditions de la faute civile en ce que les propos tenus étaient fondés, basés sur des éléments factuels non contestables et tenus dans l’intérêt général des consommateurs qui doivent être alertés sur les éléments toxiques pouvant être contenus dans les vins.

Deux points de droit devaient dès lors être tranchés par le tribunal : la nature de l’action, diffamation ou dénigrement de produits (I), et le cas échéant l’existence de la faute (II). Ce sont ces deux points que nous allons successivement envisager.

I-Le choix de l’action en responsabilité

Le dénigrement des personnes et des corps constitue une diffamation réprimée par l’article 29 de la loi de 1881 alors que le dénigrement des produits ou des services est réparé par la mise en œuvre de l’article 1240 du Code civil. Il en résulte que l’action en diffamation de l’article 29 de la loi de 1881 demeure étrangère à la protection des produits et serait irrecevable en telle hypothèse. Un dénigrement des produits ne pourrait être réparé qu’au moyen d’une action sur le fondement de l’article 1240 du Code civil.

De jurisprudence bien établie, il est en effet admis que « les appréciations même excessives, concernant les produits, les services ou les prestations d’une entreprise industrielle et commerciale n’entrent pas dans les prévisions de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881, dès lors qu’elles ne concernent pas une personne physique ou morale déterminée »17.

La règle est d’une parfaite simplicité lorsqu’il s’agit de délimiter en théorie les domaines respectifs des actions, mais elle est en pratique source de difficultés tant il est parfois délicat de dire qui, du sujet ou de l’objet, a été exposé à la critique. Comme l’a relevé un auteur, il arrive à la Cour de cassation « de voir l’attaque de la personne derrière l’apparence du discrédit jeté sur la prestation, ou à l’inverse, la dépréciation de celle-ci derrière la prétendue diffamation»18.

C’est précisément le problème que pose, en matière viticole, la critique d’une pratique de production, menée par l’homme ou l’entreprise mais tournée vers l’obtention du produit.

Parmi les arrêts cités à l’appui de cette distinction diffamation-dénigrement, l’on trouve ainsi un contentieux relatif à l’allégation de pratiques champenoises19, principalement quant à des achats de raisins produits à l’extérieur de l’appellation et quant à la vente par les grandes maisons, en période de forte demande, de bouteilles de qualité aléatoire achetées à de petits producteurs. Dans cette situation et à la suite d’une action du Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne (CIVC) menée sur le terrain de la responsabilité civile extracontractuelle, la cour d’appel avait estimé qu’une telle allégation de tromperie susceptible d’un débat et d’une preuve constituait l’imputation d’un fait portant atteinte à l’honneur et à la considération des vignerons de Champagne, et qu’il s’agissait là d’une diffamation prévue exclusivement par la loi sur la presse. L’arrêt avait été cassé, la Haute juridiction jugeant que les propos incriminés relevaient de la critique d’un produit et ne mettaient en cause aucune personne physique ou morale déterminée.

Ce précédent champenois illustrait bien le fait qu’ « en pratique, il est fréquent que la critique formulée présente une certaine ambiguïté, un caractère « mixte » et que, sous couvert d’une appréciation péjorative apparemment dirigée contre le produit ou le service d’un opérateur, le véritable destinataire de la critique, sa véritable cible, soit en réalité la personne physique ou morale. En pareil cas, les juges du fond dissèquent le propos de façon à déterminer eux-mêmes la véritable cible de la critique, sans s’arrêter à la qualification suggérée par la victime»20, si bien que « le travail de qualification qui implique d’opter entre dénigrement et diffamation constitue donc un exercice ardu, dans lequel s’invite une part d’arbitraire et qui suscite un aléa important»21 .

Le juge libournais était donc confronté à une tâche difficile.

La difficulté était certainement accrue par le fait que les châteaux étaient désignés, et le débat nécessairement troublé par la polysémie du terme « cru », qui désigne le produit comme l’exploitation. En outre, il faut rappeler que la Haute Valeur Environnementale constitue une certification de l’exploitation, mais peut être utilisée dans une mention valorisante d’un produit « issu d’une exploitation haute valeur environnementale »22.

Pour dire que la critique visait bien les produits, les juges se sont fondés d’une part sur le contenu de la communication de l’association, d’autre part sur sa réception par les médias.

Le tribunal décide ainsi que « si les châteaux des vins sont clairement nommés, les analyses et l’article tendent à examiner la présence de pesticides dans les vins, plus particulièrement dans les vins bordelais au vu des choix faits, mais sur différents cépages et terroirs » et que « cette analyse touche donc les vins du bordelais au sens général et non un château déterminé ». La réception par la presse confirme cette analyse, qui a relayé cette information en citant « les vins analysés », « la vraie composition des bouteilles » encore « des traces de pesticides dans des vins certifiés ».

La qualification de dénigrement de produits nous paraît la plus pertinente. Contrairement aux hypothèses litigieuses antérieures, comme en Champagne, l’honorabilité des châteaux n’est pas en cause. Il est en effet difficile de leur reprocher de s’être insérés dans une démarche devenue, à la faveur de la loi Egalim, le canal officiel de l’agroécologie dans le Code rural et de la pêche maritime, encouragée depuis par un crédit d’impôt23

Ensuite, la campagne de presse ne s’est pas limitée au rappel des limites intrinsèques et connues (il est vrai de la seule filière) de la HVE, notamment quant à l’utilisation des pesticides, mais a voulu marquer les esprits en soulignant la présence de résidus de pesticides dans les vins, ce qui revenait à exposer les vins, donc les produits.

Le juge y a donc vu ce que nous prendrons la liberté de dénommer, pour se rapprocher du champ lexical du droit de la vigne et du vin, une forme de « contre-propagande ». Dans les dispositions du Code de la santé publique, la propagande n’est pas un terme péjoratif, mais désigne la publicité générique en faveur d’une catégorie de boissons (le vin, la bière, les eaux-de-vie) ou d’un terroir (les bordeaux). Ici, il s’agissait de procéder à une critique négative d’ensemble de la catégorie des vins HVE.

II-Les conditions de la responsabilité

L’autre difficulté essentielle consistait en l’établissement du dénigrement, fait générateur de la responsabilité.

Le dénigrement, non défini par la loi, consiste à jeter publiquement, de façon malveillante, le discrédit sur un produit24.

Au titre des éléments indifférents, il doit être souligné qu’il n’est pas nécessaire que la critique émane d’un concurrent25 ni que l’auteur de la critique opère sur un marché26. Si l’on retenait ces conditions, lesquelles constituent un héritage de la concurrence déloyale - le fondement originel du dénigrement -, cela n’en permettrait pas une sanction efficace. Il doit aussi être rappelé qu’il importe peu que l’information dont la divulgation est de nature à jeter le discrédit sur un concurrent soit exacte27.

L’association pouvait-elle, dans ce contexte, s’abriter derrière l’exception de vérité, admise depuis 201828 en cas de dénigrement de produits, ce qui aurait éloigné l’intention malveillante et, par-là, écarté la qualification de dénigrement ?

Cette exception peut être reçue lorsque l’information en cause se rapporte à un sujet d’intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, sous réserve qu’elle soit exprimée avec une certaine mesure. Il revenait donc au tribunal de dire si la communication d’informations relatives à la présence de résidus de pesticides dans les vins analysés, que l’on peut considérer comme reposant sur une base factuelle suffisante et se rapportant à un sujet d’intérêt général29, était exprimée avec mesure.

Pour opérer un choix entre liberté d’expression (de l’association) et liberté du commerce et de l’industrie (des producteurs), le juge devait donc dire si la critique était exprimée avec mesure.

Le tribunal retient tout d’abord qu’il ressort de l’étude de l’article contesté que les vins analysés y sont classés en fonction du nombre de substances dangereuses ou toxiques constatées, à chaque vin étant associé le risque mortel ou auquel exposé le fœtus, lié à chaque substance détectée. Le tableau est ensuite repris pour chaque château avec explication des risques.

Le juge reproche ensuite l’absence de décryptage et d’analyse des chiffres indiqués malgré le commentaire du rapport d’analyse par le laboratoire, qui précisait bien que les teneurs analysées étaient largement inférieures aux LMR.

La communication est ainsi caractérisée par le tribunal comme anxiogène, sans aucune explication sur le mode de dangerosité d’une substance ni sur les taux constatés.

Le jugement relève notamment que l’association « n’a fait aucune mention de la limite appelée LMR (limite maximale de résidus de pesticides) qui correspond à la quantité maximale de résidus de pesticides qui peut persister sur un aliment après un traitement pesticide effectué selon les directives pour que l’aliment en question puisse être consommé en toute sécurité, seuil au-delà duquel la commercialisation est interdite ».

La place accordée dans ce débat aux LMR mérite quelques explications, que le lecteur trouvera dans une précieuse étude de l’Institut Français du Vin30.

Le pesticide vise le produit phytosanitaire (autrement appelé produit phytopharmaceutique), substance qui a pour but de protéger la plante contre les maladies en complétant les mécanismes naturels de défense.

Le résidu de pesticides représente quant à lui la quantité de pesticides qui reste sur la partie consommable de la plante au moment de la récolte.

Les résidus de produits phytosanitaires sont autorisés dans les produits agricoles tant qu’ils ne dépassent pas les limites maximales de résidus (LMR) exprimés en mg/kg.

Ces limites, qui ne concernent que les produits d’origine animale ou végétale et destinés à la consommation humaine, sont fixées par le règle règlement (CE) n° 396/2005, du Parlement européen et du Conseil, du 23 février 2005, concernant les limites maximales applicables aux résidus de pesticides présents dans ou sur les denrées alimentaires et les aliments pour animaux d’origine végétale et animale et modifiant la directive 91/414/CEE du Conseil.

N’étant édictées que pour les matières premières, donc les raisins de cuve, l’on pourrait penser qu’elles ne peuvent être directement mobilisées pour les produits transformés.

En réalité, ces limites intègrent, dans leur calcul, les phénomènes de concentration ou de dilution inhérents à la vinification et le transfert des résidus du raisin au vin, ce que l’on appelle les facteurs de transformation.

En effet, selon le 1) de l’article 20 du règlement du 23 février 2005, « lorsque les LMR pour les denrées alimentaires ou aliments pour animaux, transformés et/ou composites, ne sont pas fixées dans les annexes II ou III, les LMR applicables sont celles prévues à l’article 18, paragraphe 1, pour le produit correspondant couvert par l’annexe I, compte tenu des variations du niveau des résidus de pesticides imputables au processus de transformation et/ou de mélange ».

Selon le 2) de ce même article, les facteurs de concentration ou de dilution spécifiques applicables à certaines opérations de transformation et/ou de mélange ou à certains produits transformés et/ou composites peuvent être ajoutés à la liste figurant à l’annexe VI, conformément à la procédure visée à l’article 45, paragraphe 2.

Dès lors que les annexes II et III ne disposent pas sur le vin et faute de facteurs de concentration ou de dilution spécifiques au sein d’une liste figurant à l’annexe VI (qui n’a pas été publiée), un vin ne doit pas contenir des teneurs supérieures aux LMR fixées pour les raisins de cuve affectées d’un facteur de transfert de 1)31.

À ce sujet, le droit de l’Union européenne invite expressément à utiliser un tel taux, comme on peut l’observer dans l’annexe 1 du règlement n° 788/2012 concernant le programme de contrôle de l’Union européenne pour 2013, 2014 et 2015, ou il est indiqué, à propos d’une substance, que « si aucun facteur de transformation spécifique n’est disponible pour le vin, un facteur par défaut de 1 peut être appliqué ». C’est aussi le sens d’une réponse ministérielle32.

Il en résulte qu’une LMR peut en théorie être caractérisée pour le vin, produit transformé.

Le juge relevait en outre que le laboratoire s’était désolidarisé de l’utilisation des résultats par l’association, le laboratoire ayant indiqué dans un communiqué de presse que les taux retrouvés étaient nettement en deçà des limites légales et que certains taux étaient tellement faibles qu’ils n’avaient plus de signification.

Dès lors, selon le jugement commenté, « Sans mention des analyses dans leur intégralité, avec un choix de bouteilles ciblées, occultant les comparaisons avec les vins bio, et en titrant l’article la HVE encore gourmande de pesticides, l’ATT dont la mission est de faciliter l’information sur la toxicité des produits et les risques encourus, et Madame Murat sont clairement sortis de leur place de lanceurs d’alerte, et même de leur objectivité, en communiquant un rapport volontairement tronqué et dénigrant qui ne peut être considéré comme étant mesuré. L’article présente la filière bordelaise comme utilisant des composés toxiques, redoutables pour la santé et nuisibles pour l’environnement, comme faisant courir délibérément un risque sanitaire majeur, mettant en péril la santé des consommateurs. Ces écrits ont été largement diffusés et accompagnés de slogans peu mesurés. Ils constituent sans équivoque un dénigrement fautif ».

Comme l’a indiqué un commentateur de l’affaire Yuka33, une telle décision pose très clairement la question de la possibilité d’une critique d’un produit conforme aux exigences légales.

Dans l’affaire Alerte aux Toxiques, l’exactitude de la présentation peu flatteuse de la HVE effectuée par l’association dans son dossier de presse n’est pas en cause. L’association rappelait en effet quelques faits essentiels bien connus de la filière mais souvent ignorés du public, qu’il est utile de rappeler.

La certification environnementale, instituée par la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 (dite « Grenelle II), créée lors du Grenelle de l’environnement, s’inscrit dans le sillage de l’agriculture raisonnée34 promue par un décret n°2002-631 du 25 avril 2002 relatif à la qualification des exploitations agricoles au titre de l’agriculture raisonnée. Les modes de production en agriculture raisonnée y sont définis comme consistant en « la mise en œuvre, par l’exploitant agricole sur l’ensemble de son exploitation dans une approche globale de celle-ci, de moyens techniques et de pratiques agricoles conformes aux exigences du référentiel de l’agriculture raisonnée. Le référentiel porte sur le respect de l’environnement, la maîtrise des risques sanitaires, la santé et la sécurité au travail et le bien-être des animaux ». La mise en œuvre de ces modes de production permet à l’exploitation d’obtenir une qualification d’exploitation en agriculture raisonnée.

Sur le plan politique, la transition de l’agriculture raisonnée vers la certification environnementale35 s’est réalisée, en 2013, comme le montre un communiqué de la commission nationale de la certification environnementale (NCE), intitulé « de l’agriculture raisonnée à la certification environnementale », daté du 15 octobre de cette année, communiqué dans lequel la commission entérine le passage définitif de l’une à l’autre.

Concrètement, le troisième niveau de la certification environnementale (HVE) s’appuie sur des niveaux d’indicateurs à atteindre permettant de mesurer les performances environnementales des exploitations, à partir de quatre items principaux, que sont la biodiversité (haies, talus), la stratégie phytosanitaire (IFT, méthodes alternatives aux méthodes chimiques), la gestion de la fertilisation (bilan azoté) et la gestion de l’irrigation.

Le reproche essentiel couramment fait à la HVE concerne d’une part le maintien de l’usage de pesticides dangereux, la possibilité d’autre part de bénéficier d’une telle certification en usant de ce que l’on appelle couramment « l’option B », qui établit un ratio entre intrants et chiffres d’affaires, et favorise les agricultures à forte valeur ajoutée, ce qui est le cas d’une partie de la viticulture. Toutes ces critiques sont parfaitement connues des professionnels, mais inconnues du consommateur, que l’on imagine bien incapable de discerner les contenus de vin « bio », « biodynamiques », « HVE », de « vignerons engagés », « Terra Vitis », « sans sulfites », et « zéro résidus de pesticides ». C’est certainement cette volonté de séparer le bon grain de l’ivraie qui a conduit l’association à une telle démarche, mais qui l’a concomitamment menée à prendre le risque, sous couvert d’opprobre jeté sur la certification elle-même, de s’attaquer concrètement aux produits.

L’on voit bien d’une part qu’il ne s’agit pas d’une critique des personnes, à qui il paraît difficile de reprocher l’adoption de pratiques conformes.

S’il s’agit de critiquer les produits auréolés d’une externalité positive par le législateur, le passage est également étroit. Comment, dans ce cadre, exiger la mesure sans concomitamment « gauchir toute mise en cause en y voyant nécessairement un dénigrement »36 ?

La seule voie offerte en l’état actuel du droit semble être la critique de la norme elle-même, sans attaque des personnes, sans attaque des produits.

La floraison des labels de qualité environnementale pose, avec acuité, la question de l’information du consommateur, l’offre ne se limitant plus aux vins biologiques ou biodynamiques. La HVE est à ce titre assez symptomatique du décalage qui peut exister entre ces démarches de normalisation dédiées aux filières et l’information des consommateurs37, souvent réduite à l’apposition du logo sur la bouteille. Ainsi, si l’on raisonne sur les forces du consommateur moyen de vin, que l’on sait nécessairement modestes38, le risque de confusion doit être envisagé, sans toutefois qu’il s’agisse de pratiques commerciales trompeuses, qui supposent un manquement à la diligence professionnelle, ce qui là encore ne peut être envisagé lorsqu’est simplement mise en œuvre la norme publique avec toute la conformité requise.

Notes

  • En raison des frais engagés pour la communication en réponse par la filière (préjudice réparé à hauteur de 100 000 euros pour le CIVB), la communication de l’association ayant connu un certain succès. Le nombre important de victimes a également eu pour effet mécanique de gonfler les dommages-intérêts, généralement fixés, pour le préjudice commercial, à 5000 euros par château.
  • Selon l’article 6 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, un lanceur d’alerte se définit comme « une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance ». Cette définition était difficilement applicable en l’espèce.
  • Un parallèle peut être établi avec la condamnation de l’application Yuka pour dénigrement de la charcuterie. Sur le parallèle entre ces deux affaires, v. G. Loiseau, « L’application Yuka dans les limbes de la liberté d’expression », Communication Commerce Electronique, n° 7-8, juill. 2021, comm. 53. V. aussi, sur l’affaire Yuka, G. Saint-James, « Application Yuka : la liberté de critique en débat (d’intérêt général) », RD rur. 2021, n° 496, comm. 217.
  • Sur agriculture et environnement, v. C. Hermon, I. Doussan et B. Grimonprez, Production agricole et droit de l’environnement, Lexis Nexis, 2ème éd., 2020. Sur le cas précis de la certification environnementale, v. p. 394 et s.
  • Loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous.
  • CRPM, art. L. 253-8, III.
  • Dans sa décision n° 2021-891 QPC du 19 mars 2021, le Conseil constitutionnel a jugé contraires à l’article 7 de la Charte de l’environnement les modalités retenues par le législateur pour l’élaboration des chartes d’engagements départementales relatives à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques.
  • CRPM, art. L 611-6 : « Les exploitations agricoles utilisant des modes de production particulièrement respectueux de l’environnement peuvent faire l’objet d’une certification qui comporte plusieurs niveaux d’exigences environnementales dont le plus élevé repose sur des indicateurs de performance environnementale et ouvre seul droit à la mention exploitation de haute valeur environnementale. Cette certification concourt de façon majeure à la valorisation de la démarche agroécologique mentionnée au II de l’article L. 1. Les modalités de certification des exploitations ainsi que, le cas échéant, le niveau correspondant à une haute valeur environnementale, les modalités de contrôle applicables, les conditions d’agrément des organismes chargés de la mise en œuvre, les mentions correspondantes et leurs conditions d’utilisation sont précisés par décret ».
  • R. Raffray, « Promotion et diffusion de l’agroécologie : certification environnementale obligatoire pour les SIQO », Revue de Droit Rural, 2019, dossier spécial loi Egalim, p. 32 et s. Pour une approche technique de l’agroécologie en viticulture, v. J. Rochard, C. Herbin et V. Lempereur, « L’agro-ecologie des terroirs : concept, application viticole, exemple de la France », https://www.bio-conferences.org/articles/bioconf/abs/2016/02/bioconf-oiv2016_01026/bioconf-oiv2016_01026.html.
  • Loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, art. 48.
  • L’annonce a été faite dans presse par la Présidente de l’INAO. Selon le bilan annuel de l’application des lois au 31 mars 2021 établi par le Sénat, ce décret était en cours d’élaboration, notamment dans la mesure où la compatibilité de ce texte avec le droit de l’Union européenne nécessitait une expertise approfondie.
  • « Une RSE innommée au service des démarches éthiques de la filière vin ? », in R. Raffray (dir.) L’éthique et le vin. Le droit comme levier d’une nouvelle qualité ? Droit et patrimoine, juin 2018, n° 280, p. 30 et s.
  • V. Lempereur, M. Balazard and C. Herbin, Inventory of environmental certifications throughout the world, https://www.bio-conferences.org/articles/bioconf/abs/2019/04/bioconf-oiv2019_03018/bioconf-oiv2019_03018.html.
  • V. l’édition du 26 mai 2021 du journal Le Monde, qui fait état d’une note confidentielle remise fin 2020 aux ministères de l’Agriculture et de la transition écologique par l’office français de la biodiversité, qui assure que le label agricole HVE ne présente, dans la grande majorité des cas, aucun bénéfice environnemental.
  • Droit rural et droit de l’environnement, préc. n° 1136 : « la certification incite à une approche systémique, plus en phase avec les fonctionnements des agrosystèmes. Enfin, et surtout, la démarche progressive paraît adaptée à la nature des changements nécessaires en agriculture, plus longs sans doute que dans d’autres secteurs économiques (…). En d’autres termes, l’instrument paraît être à la hauteur des enjeux de l’“écologisation” de l’agriculture, sous réserve d’un nombre suffisant d’agriculteurs décidant de s’y engager ».
  • Sur les leviers organisationnels, v. R. Raffray, « Du droit souple au droit dur, quel droit pour la progression environnementale des vins de qualité ? » https://www.bio-conferences.org/articles/bioconf/abs/2019/04/bioconf-oiv2019_03003/bioconf-oiv2019_03003.html.
  • Civ. 1re, 30 mai 2006, n° 05-16.437, Bull. civ. I, n° 274 ; JCP G 2006. I. 190, no 13, obs. E. Dreyer. 
  • J.-P. Gridel, Le dénigrement en droit des affaires, essai d’une libre critique, JCP G 2017, p. 936, n° 12.
  • Civ. 2ème, 7 oct. 2004, n° 02-18.995, Bull. civ. II, n° 445.
  • Lamy droit économique, n°3413.
  • Ibid.
  • CRPM, art. L. 641-19-1.
  • Sur fiscalité viticole et environnement, V. Labelle, F. (2021). La protection environnementale du domaine viticole. La fiscalité peut-elle venir au soutien de la protection environnementale du domaine viticole ? Open Wine Law, 1(1). Consulté à l’adresse https://openwinelaw.fr/article/view/4761.
  • Lamy droit économique, n° 3409.
  • Cass. 1re civ., 11 juill. 2018, n° 17-21.457, RTDciv. 2018, note P. Jourdain.
  • Ibid.
  • V. Lamy droit économique, n° 3409, et les références citées.
  • Civ. 1re, 11 juill. 2018, n° 17-21.457, préc. : « lorsque l’information en cause se rapporte à un sujet d’intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, cette divulgation relève du droit à la liberté d’expression, qui inclut le droit de libre critique, et ne saurait, dès lors, être regardée comme fautive, sous réserve qu’elle soit exprimée avec une certaine mesure ».
  • Civ. 1re, 1er mars 2017, n° 15-22.946, Legipresse 2018, p. 51, obs. G. Loiseau : « ont trait à l’intérêt général les questions qui touchent le public dans une mesure telle qu’il peut légitimement s’y intéresser, qui éveillent son attention ou le préoccupent sensiblement, notamment parce qu’elles concernent le bien-être des citoyens ou la vie de la collectivité ». Pour des informations sur la santé, v. Civ. 1re, 11 juill. 2018, n° 17-21.457, préc.
  • M. Grinbaum, M. Dubernet, Vincent Bouazza, E. Debez et V. Lempereur : « Résidus phytosanitaires dans les vins: état des lieux, analyses et expertise », IFV, 2019.
  • « Résidus phytosanitaires dans les vins: état des lieux, analyses et expertise », IFV, 2019, préc.
  • Réponse à question écrite n° 39861, JOAN 15 octobre 2013.
  • G. Loiseau, note préc.
  • Sur laquelle v. C. Hermon, I. Doussan et B. Grimonprez, Production agricole et droit de l’environnement, Lexis Nexis, 2ème éd., 2020.
  • J. Rochard, Évolution des pratiques viticoles françaises : de la viticulture raisonnée à l’agroécologie, BIO Web Conf., 9 (2017) 04013 DOI: https://doi.org/10.1051/bioconf/20170904013.
  • G. Loiseau, note préc.
  • C. Hermon, I. Doussan et B. Grimonprez Droit rural et droit de l’environnement, préc., n° 1136.
  • R. Raffray, « Le consommateur moyen de vin et la technique du standard, Essai de synthèse de droit français », Jus Vini 2021, n°1, p. 53.

Auteurs


Ronan Raffray

ronan.raffray@u-bordeaux.fr

Pays : France

Biographie :

Professeur à l'université de Bordeaux, Directeur de M2 droit de la vigne et du vin, Directeur de l'IRDAP.

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