Droit de l'entreprise viticole

La valorisation des stocks viticoles au jour du fait générateur de l'impôt direct

Résumé

Le bénéfice réel de l'exploitation agricole doit être déterminé et imposé selon les règles de droit commun, mais avec des règles
et modalités adaptées aux contraintes et caractéristiques particulières de la profession agricole :
- la lente rotation des capitaux, due au faible niveau de chiffre d'affaires par rapport au capital investi ;
- la proportion exagérément importante des éléments non amortissables figurant au bilan;
- l'irrégularité importante des revenus.
L'entreprise agricole doit comprendre dans ses résultats imposables la variation de la valeur de leurs stocks au cours de l'exercice.
Ces stocks comprennent les marchandises, les matières premières et fournitures consommables, les productions en cours, les produits intermédiaires, les produits finis, les produits résiduels et les emballages non destinés à être récupérés :
- qui sont la propriété de l'entreprise à la date de l'inventaire ;
- et dont la vente en l'état ou au terme d'un processus de production à venir ou en
cours permet la réalisation d'un bénéfice d'exploitation.
La juste valorisation des stocks viticoles au jour du fait générateur de l'impôt direct devient une valeur d'ajustement du résultat imposable qu'il convient d'aborder.

Introduction

Nous retrouverons dans l’actif de l’entreprise viticole, les avances aux cultures (I), le stock dans l’état où il se trouve au moment de l’inventaire (II). Enfin, il convient de bien mesurer l’impact dans la valorisation bilancielle du changement climatique, en cours, dans notre région avec la répétition des aléas climatiques ( gel 2019, grêle 2020, gel 2021) et l’inévitable déduction des charges de sous-activité (III) par une imputation rationnelle des charges fixes.

I - Les avances aux cultures

Dans l’ancien plan comptable général agricole les avances aux cultures étaient définies comme étant « les végétaux en terre à la clôture de l'exercice qui n'ont pas atteint un stade biologique de développement permettant de les commercialiser ». Il convient d’analyser la notion d’avances aux cultures dans la constitution de l’actif de l’entreprise agricole avant de s’intéresser à son évaluation pour la détermination du revenu agricole.


A) La notion d’avances aux cultures

Bien que le plan comptable agricole soit dorénavant intégré, avec ses caractéristiques propres, dans le plan comptable général à l’article 213-35, l’Autorité des normes comptables a été amenée à publier des modifications pour appréhender les spécificités du monde agricole.

Les avances aux cultures concernent l’ensemble des frais et charges engagés au cours de l’exercice en vue d’obtenir la récolte qui sera levée au cours de l’exercice suivant. Il s’agit des façons culturales (labour, taille, pliage, traitements phytosanitaires...) qui sont évaluées comme pour les travaux en cours au prix de revient sans a priori de possibilité de dépréciation mais avec la possibilité de constituer une provision pour pertes.

B) L’évaluation des avances aux cultures

Ces travaux en cours peuvent seulement faire l'objet d'une provision comme l'a rappelé, après le juge bordelais1, le Conseil d’État2 en confirmant la position doctrinale du BOFiP3 et nonobstant le jugement du TA de Poitiers de 19974 qui reste bien isolé dans la jurisprudence disponible.

Au plan fiscal, l’article 72 A du Code général des impôts (CGI), impose depuis le 1er janvier 1984, de comptabiliser en stock les avances aux cultures, évaluées au prix de revient (et ceci dans le but de rétablir la signification économique des bilans, mise à mal par l’article 2 du décret n° 76-903 du 29 septembre 1976 proscrivant une telle inscription et prescrivant la déduction intégrale des dépenses correspondantes au titre de l’exercice de leur réalisation). L'article 72 A du CGI dans sa version applicable depuis le 1er janvier 2009 (issue de l'article 79 de la loi 2008-1443 du 30 décembre 2008) énonce une définition légale des avances aux cultures et énumère de manière limitative les catégories de frais et charges qu'il convient de retenir pour valoriser les stocks de l'exploitant.

Antérieurement, il existait un débat limité à l’incorporation ou non des fermages dans les avances aux cultures en vertu d’une position de la doctrine administrative5 qui n’avait pas repris la charge de fermage dans le poste comptable concerné, si singulier de l’activité viticole. Le débat est dorénavant clos depuis cette évolution légale d’importance.

Quatre types de méthode, à l’exclusion de toute autre, ont été retenus en vue de tenir compte des différentes étapes du développement des entreprises agricoles :
- une méthode transitoire (méthode T) réservée, à titre temporaire, aux exploitants qui passent sous le régime réel simplifié ;
- une méthode forfaitaire (méthode F), basée sur l’utilisation de coûts standards à l’hectare, dont l’utilisation a également une durée limitée et est strictement réservée aux exploitants qui passent sous le régime réel simplifié ;

- une méthode mixte (méthode M) reposant sur l'évaluation forfaitaire de certains frais. Cette méthode comporte deux variantes (M 1 et M 2) ;

- une méthode fondée sur l'évaluation des avances aux cultures d'après leur coût de production réel (méthode R). Cette méthode comporte également deux variantes (R 1 et R 2).

Depuis le 1er janvier 2021, et à fin de faciliter le passage de l’impôt sur le revenu à l’impôt sur les sociétés des entreprises agricoles/viticoles, des nouvelles règles comptables s’appliquent pour l’évaluation des stocks et des avances aux cultures par des barèmes standardisés6.

    Les avances aux cultures connaîtront, bien évidemment, vous l’avez compris, une plus ou moins grande variation en fonction de la date de la clôture de l’exercice par rapport à la date de la levée de la récolte et une évaluation, laissée, à l’initiative de l’exploitant en fonction de ses choix.     

Pour les sociétés soumises à l’IS, les règles d’évaluation de stocks prévues en matière de bénéfices industriels et commerciaux sont applicables. Il en résulte que la société agricole soumise à l’IS doit évaluer le stock y compris les avances aux cultures (que nous ne retrouvons dans l’actif de la déclaration professionnelle) au prix de revient7 et sans possibilité d’y déroger.

Si la récolte à venir est bien évaluée, la sous-production qui en résulterait pourrait faire, sous le contrôle de la DGFIP, d’une dépréciation à la date de la clôture de l’exercice. Cette sous-production sera envisagée à l’aune de la capacité normale de production (voir plus loin) de l’entreprise viticole.

II- Les stocks viticoles « bordelais »

Il faut dans un premier temps, définir la qualification comptable avant de pouvoir envisager une valeur fiscale sans oublier qu’elle sera appréhendée dans le compte de résultat par la variation des stocks pour l’établissement de l’impôt direct.

Nous trouverons, très concrètement et au moment de l’inventaire :
-du vin en vrac qui sera qualifié de produit intermédiaire (produits qui, ayant atteint un stade d’achèvement, sont destinés à entrer dans une nouvelle phase du cycle de production) et/ou de production en cours (biens ou services en cours de formation au travers d’un processus de production) ;
-du vin en tiré-bouché qui sera qualifié de produit fini ayant atteint un stade d’achèvement définitif dans le cycle de production , non individualisé et non commercialisable en l’état en l’absence d’étiquetage.    L’article 38 ter de l’annexe III du CGI apporte des définitions fiscales à ces éléments inventoriés à la clôture de l’exercice. Il est habituel de se référer au cahier des charges de l’appellation revendiquée pour connaître les usages locaux du vin en cours de production ou du vin ayant atteint un stade d’achèvement définitif de son cycle de production.     


A) Évaluation comptable du stock de l’exploitation viticole

Nous préciserons que selon le code de commerce, l’existence et la valeur des éléments bilanciels du patrimoine de l’entreprise agricole doivent être contrôlées par inventaire au moins une fois tous les 12 mois8. L’inventaire permet de déterminer les stocks disponibles à la date de clôture de l’exercice et il est souvent, concomitant dans une majorité d’exploitation viticole, et pour cause, à l’établissement de la déclaration des stocks du 31/07 à souscrire auprès de la Douane.    Selon l’article 211-7 du Plan comptable général (PCG) « un stock est un actif détenu pour être vendu dans le cours normal de l’activité, ou en cours de production pour une telle vente, ou destiné à être consommé dans le processus de production...»

Le stock constitue un des éléments de l’actif circulant qui répond aux critères généraux de définition des actifs repris aux articles 211-1 à 211-8 du PCG.

L’article 213-32 du même PCG précise « le coût de production des stocks comprend les coûts directement liés aux unités produites, telle que la main d’œuvre directe. Il comprend également l'affectation systématique des frais généraux de production, fixes et variables, qui sont encourus pour transformer les matières premières en produits finis… »

L'article 213-35 du PCG précise que « le coût des stocks est déterminé en déduisant de la valeur de vente des stocks le pourcentage approprié de marge brute et de frais de commercialisation. Le pourcentage utilisé prend en considération les stocks qui ont été démarqués au-dessous de leur prix de vente initial ».

Nous remarquerons que le texte comptable met notamment en œuvre la notion de contrôle, et non pas la notion de propriété telle que mentionnée par le texte fiscal.

En pratique, il ne devrait pas exister, dans la généralité des cas, de différence entre la date du transfert juridique de propriété et la date de transfert du contrôle sur les biens vendus. Le transfert du contrôle intervenant généralement à la même date que le transfert de propriété.

Cela étant, dans les cas où, en application de la nouvelle réglementation comptable, l'inventaire établi par l'entreprise inclurait des biens dont elle a le contrôle sans en être juridiquement propriétaire, il convient de neutraliser l'impact fiscal de cette inscription anticipée des stocks à l'actif par une rectification extra-comptable. Il en va de même pour les cas où l'inventaire exclurait des biens dont l'entreprise est propriétaire, parce qu'elle ne disposerait pas de leur contrôle effectif.

B) Évaluation fiscale du stock de l'exploitant, soumis aux bénéfices agricoles réels

Nous nous limiterons notre présentation au bénéfice agricole tout en notant que la société soumise, de plein droit ou sur option, à l’impôt sur les sociétés doit valoriser ses stocks au coût de revient ou au cours du jour s'il est constaté une dépréciation par rapport au coût de revient. L’évaluation des produits qui demeurent en stock doit être révisée à la clôture de chaque exercice. Cette réévaluation génère une variation de stock susceptible d'entraîner la constatation d'un produit imposable au titre de l'exercice.

Toutefois, en application des dispositions de l'article 72 B bis du CGI, les exploitants agricoles (soumis à l’impôt sur le revenu) peuvent opter pour le blocage de la valeur de leurs stocks de produits à la valeur déterminée à la clôture de l'exercice précédant celui au titre duquel l'option est exercée jusqu'à la vente de ces biens.
Dans le régime d’imposition au réel, il existe deux modalités de déclaration du résultat :

-régime Réel normal 38 sexdecies I de l'annexe III sur la valorisation du stock global -vrac et tiré-bouché- (§ 240 du BOI-BA-BASE-20-20-20-10 );
-régime Réel simplifié 38 sexedecies JC de l'annexe III-les exploitants soumis au régime simplifié d'imposition ont la possibilité d'opter pour une méthode forfaitaire d'évaluation (BOI-BA-BASE-20-20-20-20).

Le stock inventorié de l’entreprise comprend notamment les productions en cours, les produits intermédiaires, les produits finis, les produits résiduels et les emballages non destinés à être récupérés :

- qui sont la propriété de l'entreprise à la date de l'inventaire ;
- et dont la vente en l'état ou au terme d'un processus de production à venir ou en cours permet la réalisation d'un bénéfice d'entreprise9.

En vertu du 3 de l'article 38 du CGI, les stocks sont évalués d'après leur prix de revient ou d'après le cours du jour à la clôture du bilan, s'il est inférieur10. Si l’on combine l’article 38-3 et l’article 38 decies de l’annexe III du CGI, le stock viticole inventorié qui a une valeur probable de réalisation inférieure au prix de revient doit déclencher, à concurrence de l’écart constaté, une provision pour dépréciation, sous réserve de justifier de la réalité de cet écart et d’en déterminer le montant avec une approximation suffisante.

1) Une méthode classique par le recours au cours du jour.

Les stocks qui sont vendus en l’état, dans le plan d’entreprise rencontré, sont évalués au prix de revient effectif ou au cours du jour si ce dernier est inférieur au prix de revient déterminé par les données propres de l’entreprise viticole et sans recourir à des éléments extérieurs.

Le cours du jour est issu des mercuriales disponibles à la date de clôture de l’exercice à la date la plus rapprochée de celle de l'inventaire. A titre pratique, et à défaut, l’amorce de la discussion avec son comptable ou son tiers de confiance, pourrait être opérée par l’arrêté préfectoral des fermages ad hoc publié par le représentant de l’État en fin d’année civile et à l’issue de la commercialisation du millésime levé en N-1.

Les vins vendus et non encore livrés doivent être exclus des stocks de l’exploitant viticole et compris dans les stocks de l'acheteur. Les vins primeurs qui ont été goûtés et dont la commande est confirmée par la désignation du prix, de la quantité et de la qualité achetées sont la propriété de l'acheteur (et donc du négoce) dès leur individualisation dans des récipients spécifiques et peuvent être inscrits dans ses stocks à la clôture de l'exercice alors même que la livraison matérielle intervient postérieurement11.

A cet égard, l'acquéreur des vins en primeur qui, après les avoir fait goûter a confirmé sa commande en désignant le prix, la quantité et la qualité achetées, en devient propriétaire en application des articles 1583, 1585 et 1587 du Code civil, sauf stipulations expresses contraires, aussitôt que ces vins ont fait l'objet d'une individualisation dans des récipients spécifiques.

Reste sans incidence sur la date du transfert de propriété, la circonstance que leur livraison matérielle dans ses chais n'interviendra que postérieurement à la clôture de l'exercice, après achèvement de la fermentation malolactique.

2) Une approche novatrice par le prix de vente « théorique » ou la valeur brute de réalisation

Au préalable nous remarquerons que pour le bénéfice agricole, soumis au RSI, le prix de revient des produits finis et des produits en cours de fabrication peut être déterminé forfaitairement en appliquant au cours du jour à la clôture de l'exercice une décote correspondant au bénéfice brut susceptible d'être réalisé lors de la vente

Le juge de l'impôt considère que le cours du jour à la clôture de l'exercice doit être entendu, s'agissant des marchandises dont une entreprise fait le commerce, du prix auquel, à cette date, cette entreprise peut, dans les conditions de son entreprise, normalement escompter vendre les biens qu'elle possède en stock dans l'état où ils se trouvent à cette date pour déterminer le prix du vin en vrac, il faut appliquer le prix auquel, à la date de clôture de l'exercice, l'entreprise peut escompter vendre son vin en l'état, sans tenir compte des circonstances dans lesquelles l'exploitant vend habituellement la majeure partie de sa production.

Nous disposons de deux arrêts millésimés 2007 sur la question :
-CE 10 juillet 2007 n°288386 pour un stock inventorié en tiré-bouché ;

-CE 17 octobre 2007 n°284054 pour un stockage inventorié en vrac .

Il en ressort, selon le juge de l'impôt, que quelque-soit le mode de commercialisation, le stock en fût doit être évalué à leur prix de vente en vrac. Autrement dit, la valeur vénale d'un bien doit s'entendre comme la valeur probable de réalisation de ce bien compte tenu de l'état et du marché du bien dans lequel il se trouve à la date d'appréciation de cette évaluation.

Nonobstant, cette prise de position, et dans notre cher vignoble bordelais, il est important de reconnaître le rôle crucial de la phase de vieillissement dans la production viticole locale. La réforme des appellations de 2088 (et la caducité du certificat d’agrément) a réaffirmé la nécessité de disposer de règles codifiant le vin et le terroir. Afin de répondre aux nouvelles exigences du marché du vin, l’ordonnance n° 2006-1547 du 7 décembre 2006 relative à la valorisation des produits agricoles, forestiers ou alimentaires et des produits de la mer (JORF du 8 décembre 2006) a bien institué la reconnaissance des syndicats en Organisation de défense et de gestion (ODG) des appellations. Elle a posé le principe des cahiers des charges de l’appellation que l’exploitant revendique dès la déclaration de récolte et dans une déclaration de revendication auprès de son ODG.

Dans certains châteaux de réputation, la phase de vieillissement est une étape importante dans la commercialisation des vins ce qui permet de distinguer un vin en cours d’élaboration par rapport à vin commercialisable dans une appellation générique (par le processus dit du repli). Dans ces mêmes châteaux, le vin stocké n’a pas achevé son processus pour une mise à la consommation dans la mesure où il a vocation certaine à être intégralement commercialisé après la mise en bouteille.

Dans des commentaires personnels publiés dans la revue de Droit fiscal n°12 12 mars 2008, André Bonnet, président assesseur de la CAA de Bordeaux s’est ému de cette non prise en considération en commentant l’arrêt du CE 17 octobre 2007 n°28405412.

De plus, il convient d’ajouter que des acomptes primeurs ont pu être encaissés sur le vin inventorié qui de surcroît ne sera pas vendu en vrac. Cet élément factuel devra être recensé pour la pérennité de la démonstration revendiquée dans la présente note. Les acomptes primeurs à payer, constatés dès l’agréage du vin par le courtier seront de nature à préciser, sans subterfuges, le caractère indispensable du vieillissement dans le chai de l’exploitant 13.

Force est de constater que les pratiques bourguignonnes de commercialisation recensées dans la jurisprudence pré-cité sont bien éloignées des pratiques rencontrées sur la place de Bordeaux. Dans la commercialisation des vins en primeur, l’aptitude au vieillissement et la libre circulation sont encadrées par le cahier des charges de l’appellation revendiquée (et ceci depuis la mise en place du cahier des charges et du plan de contrôle dans chaque appellation depuis le 1er juillet 2008 vu plus haut).

Il existe un précédent, bien ancien, jugé par la CAA Bordeaux 22 juillet 1996 n° 93-549 que je reprends, à mon compte, pour la sagacité de mes commentaires14. Dans cette affaire, le juge du Palais-royal n’a pas admis, selon mes informations, le pourvoi formé par l’exploitant et pour cause.

N’oublions pas que les stocks de vin en cuve et ceux en bouteille n'ont pas la même nature comme a pu le rappeler le juge de l’impôt 15.

La charge de la preuve de la réalité et du montant de la dépréciation incombe à l’exploitant qui doit être en mesure de justifier que le cours du jour est inférieur au prix de revient. Il m'apparaît important de souligner qu'en vertu de l'article 38-3, les stocks sont évalués d'après leur prix de revient ou d'après le cours du jour à la clôture du bilan, s'il est inférieur 16.

Ces principes généraux de composition et d'évaluation des stocks sont applicables aux entreprises agricoles soumises à un régime réel d'imposition 17 qui peuvent, opter, pour une méthodologie forfaitaire susvisée 18 dans le cadre de l’imposition à l’impôt sur le revenu.

Pour les produits parvenus à un stade intermédiaire du cycle de production qui se déroule au sein de l'entreprise, le cours du jour doit être déterminé, lorsque ces produits ne peuvent être vendus en l'état, par référence au prix de vente des produits finis correspondants 19.

S'agissant du vin récolté dans un domaine situé dans une zone d'appellation contrôlée, le cours du jour correspond au prix du vin de consommation courante et non au cours établi par la chambre syndicale de la compagnie régional des courtiers en vins pour les vins d'appellation contrôlée de l'année précédente 20.

Le Conseil d’État considère que si, pour la détermination de son prix de revient, l'entreprise concernée peut se référer aux cours constatés aux environs de la clôture de l'exercice, si aucun cours ne peut être constaté le jour de cette dernière ou si ce cours est dépourvu de pertinence, elle ne peut ni se fonder sur l'ensemble des cours constatés entre la clôture et l'arrêté des comptes ni retenir pour le même produit des évaluations de prix de vente différentes selon la date à laquelle elle escompte mettre sur le marché le produit en question 21.

C’est pour cela que nous pensons que le recours à l’arrêté des fermages peut être utile dans notre démarche.

III- La juste valorisation fiscale du stock

L’entreprise agricole détermine, avec l’appui de son comptable, son coût de production, son prix de revient et le prix d’équilibre pour subvenir à un excédent brut d’entreprise. Son objectif est de dégager du résultat et pour ce faire, il convient d’avoir un prix de vente qui couvre toutes les charges engagées par l’entreprise.

A) l’affectation des charges engagées

La valorisation comptable et fiscale 22 du stock doit comprendre tous les coûts d’acquisition, de transformation et l’ensemble des coûts encourus pour amener le stock à l’endroit et dans l’état où il se trouve.

À partir de toutes les charges engagées et reprises dans la comptabilité on se doit d’intégrer ces valeurs pour déterminer prix de revient et pour chaque cycle de production, du cycle végétal au cycle de production :
-les façons culturales ;
-le coût du raisin ;
-le coût de la vinification ;
-le passage en barriques ;
-le coût du vieillissement ;
-la mise en bouteille ;
-les frais de commercialisation…

Il faut détenir des informations précises sur la répartition des charges, notamment celles du personnel et donc sur la répartition des temps de travaux dans chaque cycle, le nombre de mises en bouteilles, les quantités vendues…    

Le prix de revient est une somme de charges s’appliquant à différent stade d’élaboration du vin que l’on peut déterminer par un découpage simple du cycle de production viticole.

Ce travail nécessite un retraitement de la comptabilité pour déterminer et décomposer d’une manière analytique les éléments constitutifs de ce prix de revient.

En cas de métayage financier, pas si rare en bordelais, et en l’absence de société de fait, le stock comptable pourrait être réparti entre le bailleur et le métayer en fonction du choix opéré dans l’acte constitutif même si le preneur se charge de toutes les opérations.    

Il convient donc de tenir compte de l’ensemble des dépenses engagées pour la production sans se préoccuper de la consume (la fameuse part des anges!), ou tout autre procédé lié à la vinification. Les pertes par évaporation, soutirage, saignée ou tout autre opération ne sauraient justifier une réduction au prorata de la valeur de la récolte ou une dépréciation par voie de provision.     

B) la déduction des charges de sous-activité

La sous-activité est un concept qui à été introduit dans le plan comptable général et qui a été reconnu applicable au monde viticole par la constatation comptable d’une charge exceptionnelle.

En pratique, la constatation de cette charge est souvent pratiquée par une décote directe (supra). Cette opération comptable permet de déduire dès la constatation d’un aléa climatique (gel, sécheresse, coulure, millerandage…) les charges fixes correspondant au rendement normal non atteint sans attendre la vente du vin. Dès la réalisation d’un incident climatique, la production devient inférieure à la capacité normale et la part de charges fixes non imputée est considérée comme une charge de l’exercice.

L'article 38 nonies de l'annexe III stipule toujours que « ...La quote-part de charges correspondant à la sous-activité n'est pas incorporable au coût de production ». Il s’agit bien d’une obligation « ...n’est pas incorporable... » qui est stipulée par le texte susvisé et confirmée par la doctrine 23 .

- la capacité normale de production

L'appréciation de la sous-activité doit être effectuée selon les critères comptables c'est-à-dire par référence à la capacité normale attendue de production, le niveau réel de production n'étant retenu que s'il est proche du niveau défini comme normal au regard de l'outil de production existant, et à la production moyenne appréciée sur une période de plusieurs exercices. Par conséquent, les charges de sous-activité exclues de la valorisation retenue pour les stocks sont similaires sur le plan comptable et sur le plan fiscal 24 .

Nous retrouvons, ici, une parfaite cohérence entre le droit comptable et le droit fiscal et nous pouvons préciser, simplement, que la sous-activité est la résultante de l’inadéquation transitoire de l’outil de production de l’entreprise au volume traité au cours d’une période donnée.

Je rappelle que le principe de connexion des règles fiscales et comptables codifié à l'article 38 quater de l'annexe III permet de faire respecter les définitions édictées par le plan comptable (supra), sous réserve que celles-ci ne soient pas incompatibles avec les règles applicables relatives à l'assiette de l'impôt.

Nous avons un consensus tant du point de vue comptable que du point de vue fiscal.

- le calcul de la charge de sous-activité

Il est nécessaire de procéder à un classement des charges en charge de structure (les charges fixes) et en charges opérationnelles (les charges variables) qui dépendront de la récolte revendiquée dans l’appellation considérée.

C’est à partir de ce travail de répartition des charges qu’une imputation rationnelle des charges fixes de production sera déductible du résultat l’année de la survenance de l’aléa climatique. Cette charge exceptionnelle sera égale au rapport entre le niveau réel d’activité et la capacité normale de production de l’entreprise.

La charge de sous-activité est exclue, en faisant application du texte fiscal susvisé, de la valorisation des stocks viticoles pour être déduite immédiatement tant sur le plan comptable que sur le plan fiscal.

Cette déduction de charge de sous-activité est opérationnelle (et doit être comptabilisée supra) sur l'exercice sur lequel la capacité normale de production n'a pas pu être atteinte suite à une perte de production liée à un évènement accidentel d'origine climatique ou d'une erreur non volontaire du vigneron.

La question, légitime, du changement de mode cultural reste un sujet dans la mesure où cette action est le fait de l'exploitant (et ceci malgré les contraintes sociétales contemporaines).

Notes

  • CAA de Bordeaux 17/03/2005 n°01BX02294 sur l’évaluation des avances aux cultures avant la levée de la récolte 1991.
  • CE 01 octobre 2018 n°408594 Société Hermitage constituent des productions en cours les immeubles et terrains acquis par une société ayant pour objet social la promotion immobilière, qui n'a pas renoncé à l'opération immobilière initialement projetée pour laquelle elle a été spécialement constituée, et a déposé, à la date de la clôture de l'exercice, les demandes de permis de démolir les bâtiments existants et les dossiers de demande de permis de construire. Ces immeubles ne peuvent faire l'objet d'une dépréciation et sont évalués au leur prix de revient.
  • BOI-BIC-PROV-30-10-20 n° 10 et 20 : « Conformément aux dispositions de l'alinéa 1 du 5° du 1 de l'article 39 du CGI, une provision pour perte sur opération en cours à la clôture d'un exercice ne peut être constituée en franchise d'impôt que si, à cette date, le coût de revient des travaux exécutés (évalués comme les encours de production) excède la valeur de vente de ces mêmes travaux augmentés des révisions de prix contractuelles certaines à cette date, la provision étant limitée à l'excédent constaté. En d'autres termes, seule la fraction de la perte correspondant aux travaux exécutés à la clôture d'un exercice et non la perte globale prévisible sur l'ensemble de l'opération, peut faire l'objet d'une provision déductible sur le plan fiscal ».
  • TA Poitiers 30 janvier 1997 n°94-994.
  • BOI 5 E-1-85 n° 3 du 5 février 1985.
  • Règlement 2019-01 du 8 février 2019 modifiant le règlement ANC 2014-03 relatif au PCG concernant les opérations relatives à l’activité agricole.
  • BOI-IS-BASE, BA-BASE, 7 décembre 2012.
  • Article L 123-12 Code de commerce : « Toute personne physique ou morale ayant la qualité de commerçant doit procéder à l'enregistrement comptable des mouvements affectant le patrimoine de son entreprise. Ces mouvements sont enregistrés chronologiquement.
  • BOI-BIC-PDSTK-20-10
  • BOI-BIC-PDSTK-20-20
  • CE 28 décembre 2001 n° 217770
  • « ...on pourrait être davantage hésitant pour du vin certes consommable immédiatement et susceptible d’être acheté en fûts ou en vrac (au détail), mais dont la valeur peut être intrinsèquement liée, dans l’esprits des acheteurs potentiels, à un conditionnement en bouteilles, réputé le cas échéant être le seuil accessible, et gage d’un vieillissement générateur de plus-value à venir. »
  • « ...le vin élevé en fût est, une fois le processus de vinification achevé, parfaitement commercialisable et consommable. Il ne nous paraît pas incongru de considérer qu’il s’agit en réalité d’un produit fini, la mise en bouteille ne constituant qu’un conditionnement. »
  • « … M Blanc n’était pas fondé à calculer, ainsi qu’il l’a fait, la provision pour dépréciation de stock dont s’agit à partir du cours de négociation au 31 décembre 1984 du saint-Emilion générique des lors qu’il est constant que sa récolte pouvait être vendue, sous conditions suspensive de l’agrément, sous l’appellation Saint-Emilion Grand cru ... »
  • Une société viticole ne peut pas pratiquer une provision pour hausse des prix à la clôture de l'exercice N calculée par comparaison entre le prix unitaire moyen de l'ensemble des stocks au 31 décembre N et celui au 31 décembre N − 2 dès lors que dans la mesure où la récolte se trouve encore dans la cuve de l'exploitation et qu'aucun prix n'a été déterminé, le millésime de l'année en cours ne peut être regardé comme un produit de même nature que les millésimes antérieurs. CE 28-12-2012 n° 345841, 3e et 8e s.-s., Sté civile fermière du Château Lafon Rochet :  RJF 3/13 n° 267.
  • BOI-BIC-PDSTK-20-20
  • BOI-BA-BASE-20-20-20-10
  • Selon le BOFIP BOI-BIC-PDSTK-20-20-10-20-20130923 §50/60 « comptablement, la dépréciation des stocks doit être constatée par voie de provision pour dépréciation, lorsque le prix de revient des stocks inscrits à l’actif est considéré comme supérieur à leur valeur de marché en tenant compte du prix et des perspectives de vente (plan comptable général (PCG), art. 322-6). Une évaluation directe par le prix de détail constitue une méthode exceptionnelle, qui ne peut être appliquée qu’à défaut de pouvoir effectuer une évaluation précise du coût de revient des éléments figurant dans les stocks ou d’éléments similaires (PCG, art. 322-8).
  • CE 30 décembre 2009 n°304516
  • CE 30 juillet 2010 n° 327 394 et CAA Bordeaux 04 décembre 2012 10BX02114
  • CE 21 mai 2012 n° 332090 Société Denkavit France
  • 38 nonies de l’annexe III modifié par le décret 2005-1702 du 28 décembre 2005
  • BOI-BIC-PDSTK-20-20-10-10 § 240 20120912
  • CE, 27 juin 1994, n° 121748, Sté Villeroy et Boch

Auteurs


Christophe Teston

christophe.teston@u-bordeaux.fr

Pays : France

Biographie :

Juriste et fiscaliste agricole

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