Délimitation d'appellation. Sévérité ou opportunité des critères ?
Résumé
Les appellations, considérées comme une garantie de qualité de produits spécifiques, sont prisées par les producteurs de vins comme par les consommateurs car elles reposent en principe sur des caractéristiques clairement définies et justifiables. Mais dans la réalité est-ce toujours le cas ? Les critères d'exclusion de parcelle reconnue sont-ils toujours bien objectifs ?
À propos de Conseil d’État, 27 octobre 2022, n°448393
Dans un arrêt intéressant à ce titre, la problématique soumise au Conseil d’État était simple.
Une même parcelle, d’un seul tenant, a été à la faveur de la délimitation d’une appellation accédant en 1er Cru, pour partie retenue et pour partie exclue, alors que l’unité pédologique de la parcelle n’était techniquement pas contestée.
Nonobstant, l’INAO a proposé l’exclusion partielle pour des raisons de cohérence et d’équilibre du Climat nouvellement créé.
Le viticulteur concerné, plongé dans l’incompréhension d’une telle subtilité, n’admettant pas le découpage, a contesté l’arrêté homologuant le cahier des charges.
Malheureusement, le Conseil d’État a considéré dans un arrêt du 27 octobre 2022 que la délimitation ainsi opérée était régulière.
Il est instructif d’examiner le moyen sur lequel il s’est fondé.
Il n’était pas contesté que la parcelle dans son entier se situait dans un même contexte pédologique que celles adjacentes retenues par le cahier des charges, mais que néanmoins une seule partie pouvait être admise en vue de respecter la cohérence du climat et les unités culturales.
La raison invoquée était donc extérieure à la qualité intrinsèque de la superficie exclue du classement.
Le Conseil d’État allait devoir décider s’il pouvait en aller ainsi sans méconnaître les principes mêmes régissant les appellations qui veulent depuis l’arrêt «Château d’Arsac»
Inversement, si le travail des experts de l’INAO était validé par la juridiction administrative, il lui fallait motiver en droit la conception d’une telle exclusion.
Le Conseil d’État ne conteste pas que la partie Ouest de la parcelle exclue du cahier des charges remplisse la condition tenant à la qualité du sol, mais indique aussitôt qu’elle ne remplit pas toutes les autres conditions nécessaires pour former une unité géo-pédo-morphologique avec les parcelles retenues.
Intervient donc ici la notion d’unité géo-pédo-morphologique.
La condition de devoir constituer une unité géo-pédo-morphologique assignée à différentes parcelles pour leur permettre d’accéder à l’appellation voire à la distinction en 1er Cru, correspond à une définition positive, c’est-à-dire que différents critères doivent cumulativement être réunis.
Mais en l’espèce ils l’étaient manifestement tous.
Le raisonnement du Juge se fonde sur un constat paraissant objectif aux conséquences subjectives.
Ainsi l’exclusion partielle de l’appellation, de la parcelle en forme de L résulterait du fait qu’elle est constituée de deux parties lesquelles appartiendraient à des unités topographiques et culturales distinctes, en ce sens que la partie exclue se détacherait de la délimitation retenue comme se situant dans la partie sommitale de la parcelle et débutant le versant regardant vers l’ouest de celle-ci.
Cela correspondrait à un changement de pente et d’orientation par rapport au reste de la parcelle, s’accompagnant au surplus d’un changement dans la direction des rangs de vigne.
Cette appréciation est curieuse.
En effet, pour exclure une partie de la parcelle litigieuse de l’appellation, il est finalement retenu une distinction au sein de cette même parcelle et non une distinction de la parcelle exclue avec d’autres parcelles retenues.
Se trouve de même opposés les concepts d’unité géo-pédo-morphologique, ici la parcelle dans son entier se situait bien comme les autres retenues, sur un sol issu de calcaires du Jurassique, de texture argilo-limoneuse et faiblement caillouteux, à celui d’unité topographique et culturale distincte.
Admettre de définir ainsi une appellation interroge, car l’INAO avait expliqué la délimitation dans la phase d’enquête, et donc l’exclusion partielle de la parcelle, par l’obligation de respecter un équilibre proportionnel entre les surfaces des différents lieudits ou Climats qui accédaient en 1er Cru, non seulement entre eux, mais aussi par rapport au reste des parcelles de l’appellation qui n’étaient pas retenues.
Il était alors fait référence à la notion de cohérence du climat et des unités culturales.
Le flou juridique de cette notion secourue par la qualification toute aussi floue d’unité topographiques et culturales distinctes retenue par le Conseil d’État ne sert pas la définition de l’appellation.
Le malaise est renforcé à la lecture de l’arrêt par le recours dans la motivation au fait que les promoteurs du 1er Cru litigieux, n’étaient pas liés par les limitations administratives et cadastrales, ce qui nous le savons est effectivement indifférent.
Certes, il est toujours ennuyeux de remettre en cause le travail de plusieurs années pour parvenir à l’appellation et à la délimitation de 1er Crus, cependant en voulant à tout prix le valider, la question se pose de savoir si l’époque n’est pas déjà au déclin des appellations d’origines contrôlées.
En effet, le principe des appellations, fers de lance de la reconnaissance des produits de qualité, spécifiques, exportés dans le monde entier, est de reposer sur des caractéristiques clairement définies et justifiables.
Pour autant, ici ces caractéristiques étant réunies, pour des raisons de pourcentage de superficies (cohérence du climat et des unités culturales), égalité de superficie entre les 1ers Crus et superficie plus importante de l’appellation matrice, un producteur, se voit amputé, à la serpe, d’une surface issue d’une parcelle qui aurait méritée d’être entièrement retenue.
Et le sentiment n’est pas loin de penser qu’à vouloir bien faire on fait mal, et qu’une dérive insidieuse s’effectue du champ technique au champ administratif voire politique de la délimitation des appellations.
Notes
- CE 20 sept.1993, n°112635
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