Droit de l'entreprise viticole

Investir dans la vigne au travers de parts de GFV dans le respect de la règlementation

Résumé

Le secteur viticole français fait face, depuis de nombreuses années, à une crise de financement en grande partie due à la hausse des prix du foncier. Cette situation affecte de nombreuses régions viticoles réduisant les possibilités d’installation pour les jeunes viticulteurs, limitant l’agrandissement des exploitations et fragilisant les transmissions familiales. Une des solutions proposées pour pallier ces difficultés consiste à proposer à des investisseurs personnes physiques d’acquérir des parts de groupements fonciers viticoles (GFV). Ces sociétés civiles à objet agricole concilient, en effet, acquisition et gestion collective de terres viticoles et poursuite de leur exploitation par un viticulteur. Si leur fonctionnement ne pose, généralement, aucune difficulté la commercialisation de ces parts sociales soulève plusieurs interrogations.


Cet article se propose donc, en premier lieu, d’apporter un éclairage nouveau sur le statut juridique nécessaire aux professionnels de la gestion de patrimoine pour commercialiser des parts de GFV au regard des dernières décisions rendues par la Commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers (AMF). Il formule, ensuite, un certain nombre de recommandations pour minimiser les risques de requalification en « offre au public » lors de leur mise en marché et en fonds d’investissement (FIA) en cas de contrôle des autorités de tutelle.

Introduction

Avec pour cause essentielle le renchérissement du coût du foncier, le secteur viticole français fait face, depuis de nombreuses années, à une situation de crise. Ce phénomène, particulièrement aigu dans les régions viticoles emblématiques comme Bordeaux, la Bourgogne, la Champagne ou les Côtes-du-Rhône, menace directement l'avenir de notre viticulture. L’installation des jeunes viticulteurs, l’acquisition de nouvelles parcelles afin d’accroître l’outil de production, les transmissions au sein de la cellule familiale deviennent ainsi de plus en plus compliquées et ruineuses et fragilisent, sur le long terme, l’identité de nos territoires ruraux, leurs diversités mais aussi les emplois locaux qui en dépendent.

Une des solutions identifiées pour apporter une réponse à ces situations1 consiste en la mise en place de groupements fonciers agricoles (GFA)2, et plus particulièrement des groupements fonciers viticoles (GFV) spécifiquement dédiés à la viticulture. Ces véhicules d’investissement ont, en effet, pour vocation d'être propriétaire d'immeubles ruraux bâtis ou non bâtis et soit de les exploiter directement, il est alors question de « GFA exploitant », soit de les donner en location, nous parlons alors de « GFA bailleur ».

Ces sociétés civiles à objet agricole regroupent un nombre limité d'associés personnes physiques3 autour d'un projet commun d'investissement et excluent, par principe, la possibilité d’y associer des personnes morales4. Elles détiennent à leur bilan exclusivement des parcelles de vignes, préalablement identifiées, les louent par bail rural à long terme auprès d’un viticulteur et perçoivent en contrepartie un loyer – le « fermage » – versé annuellement par le vigneron.

Si le Code civil et le Code rural et de la pêche maritime5 régissent leur fonctionnement, aucun texte, aujourd'hui, ne semble être exclusivement dédié à leur commercialisation. Ainsi, l'analyse des différentes pratiques commerciales nous amène à considérer que, pour les uns, les parts de GFV sont des « biens immobiliers », et que, pour d'autres, elles relèvent du régime des « biens divers » ou de celui des « fonds d'investissement alternatifs » (FIA). Les différentes pratiques commerciales constatées nous interrogent également sur la question de savoir si elles entrent ou non dans le champ d'application de ce qui est considéré par le régulateur comme une « offre au public »6.

Cette note se propose d'apporter un éclairage sur la méthodologie qui nous semble devoir être mise en place par les structureurs et distributeurs – banquiers privés, family officers, conseillers en gestion de patrimoine (CGP)… – pour limiter la survenance des risques juridiques pouvant être issus de la commercialisation des parts de GFV. Pour ce faire, nous analyserons en premier lieu le statut qui nous semble être le plus adapté par les professionnels souhaitant commercialiser ce type de solution patrimoniale (I), pour ensuite proposer une méthodologie permettant de limiter le risque de requalification en « offre au public » (II) pour, enfin, proposer une solution pérenne face au risque de requalification en FIA de plus en plus prégnant (III).

I - Le choix du statut commercial

Le conseil en gestion de patrimoine se définit comme une approche globale prenant en compte la gestion de l’ensemble du patrimoine du client – succession, fiscalité, immobilier, etc. – activité qui nécessite de mettre en œuvre une approche pluridimensionnelle couvrant l’ensemble des aspects du patrimoine de chaque client. Tout professionnel en gestion de patrimoine est donc amené dans l’exercice de son métier à délivrer différents types de conseil et/ ou d’activité comme l’intermédiation en assurance (IAS), l’intermédiation en opérations de de banque et en services de paiement (IOBSP) voire le métier d'agent immobilier. Ces activités, comme celui de conseil en investissements financiers (CIF) répondent à des réglementations dédiées et à des statuts spécifiques. C’est ainsi que le conseil en investissements financiers qui consiste à émettre des recommandations personnalisées concernant des transactions financières sur des instruments comme les actions, les obligations, les fonds, ou d’autres produits d’investissement fait partie des services d’investissement définis à l’article L. 321-1 du Code monétaire et financier7. La question qui se pose est de savoir de quels statut et réglementation relève la commercialisation des parts de GFV ?

L'étude des pratiques commerciales portant sur la vente de parts de GFV révèle que certains professionnels en charge de structurer les GFV et de les commercialiser au travers d'un réseau de partenaires considèrent cette activité comme relevant exclusivement de la Loi Hoguet8. Pour justifier leur position, ils s'appuient sur le 5° de l'article 1 de la loi Hoguet qui rend nécessaire l'obtention du statut d'agent immobilier dans le cadre d'achat ou de vente « de parts sociales non négociables lorsque l'actif social comprend un immeuble ou un fonds de commerce ». Ainsi, du fait que l’actif des groupements fonciers agricoles est constitué de parcelles de vignes - bien immobilier par nature - la commercialisation de leurs parts sociales9 relève exclusivement de la loi Hoguet et de ses dispositions. Cette position implique, pour le vendeur final, de relever du statut d'agent immobilier et de détenir la carte professionnelle transaction, anciennement dénommée « Carte T ».

Pour la majorité des associations professionnelles agréées par l’Autorité des marchés financiers (AMF)10 les parts de GFV doivent être commercialisées exclusivement par des conseils en investissements financiers (CIF) « dans le cadre d'un service de conseil en investissement, nécessitant la production d'une documentation réglementaire (document d'entrée en relation, lettre de mission, déclaration d'adéquation) et ce, indépendamment du fait que le client soit professionnel ou non professionnel. »11. Cette analyse s’explique par la taxinomie faite des parts de GFV par ces différents professionnels. Elles sont, en effet, soit classées dans la catégorie des « biens divers » soit des « Autres FIA » qui sont considérés comme des « produits financiers » dont la commercialisation relève exclusivement du statut de CIF.

Cette position s’inscrit dans la position de l’AMF qui considère qu’un conseil en investissement financier exerce les activités suivantes :

  • « Le conseil en investissement portant sur des produits financiers (actions, obligations, parts de fonds communs de placement, etc.) ;
  • Le conseil sur la réalisation de services d'investissement... ;
  • Le conseil portant sur la réalisation d'opérations sur biens divers (par exemple : sous certaines conditions, l'investissement en vin, dans des bois et forêts, l'achat d'œuvres d'art, de panneaux solaires, etc.). »12.

Ces différences de position ne permettent pas aux gestionnaires de patrimoine, conseillant à leurs clients d’investir dans des parts de GFV, de choisir le statut professionnel approprié – agent immobilier et/ ou conseiller en investissements – et, par conséquent, d’adapter leur processus de vente aux obligations qui en découlent.

La Commission des sanctions de l’AMF13 vient très récemment d’apporter un éclairage nouveau sur cette question par suite d’un contrôle réalisé auprès d'une société de gestion de patrimoine ayant le double statut de conseiller en investissements financiers et d’agent immobilier, étant également détenteur de la carte professionnelle de transaction sur immeubles et fonds de commerce (Carte T).

Le premier point sur lequel la Commission s’est prononcée portait sur le conseil promulgué à certains clients concernant la souscription d'obligations convertibles en actions aux fins de financement de certaines opérations immobilières. La Commission des sanctions de l’AMF a condamné la société et son gérant pour manquement à ses obligations « d'établir des documents réglementaires CIF conformes14, mais également à son obligation d'informer sa clientèle de manière claire, exacte et non trompeuse (...), et enfin à son obligation de ne pas recevoir des fonds autres que ceux destinés à rémunérer son activité. ». Si cette question ne nous concerne pas directement en l’espèce, l’obligation d’informer la clientèle « de manière claire, exacte et non trompeuse » est un élément fondamental pour l’Autorité des marchés financiers15 dans le cadre d’un conseil promulgué par un professionnel à un non-professionnel (client). La portée de cette obligation s’applique donc à tous les professionnels de la gestion de patrimoine qui délivrent, par exemple, un conseil d’investissement ou qui commercialisent des parts de GFV qu’ils aient ou non participé directement ou non à la conception du GFV. Il en est de même l’identification et de la gestion des conflits d’intérêts liés aux mandats et prises de participation16.

La Commission avait ensuite à se prononcer sur la commercialisation des parts de GFV et le statut commercial qui en découle. Pour se faire elle a rappelé que les produits recommandés « des parts de groupement foncier agricole […] ne pouvaient pas être assimilés à des instruments financiers… ». Il résulte, en effet, de l’article L. 211-1 du Code monétaire et financier que « Les instruments financiers sont les titres financiers et les contrats financiers. » à savoir « II. – Les titres financiers sont : 1. Les titres de capital émis par les sociétés par actions ; 2. Les titres de créance ; 3. Les parts ou actions d'organismes de placement collectif. III. – Les contrats financiers, également dénommés " instruments financiers à terme ", sont les contrats à terme qui figurent sur une liste fixée par décret. IV. – Les effets de commerce et les bons de caisse ne sont pas des instruments financiers. ». Dès lors, il semblerait logique de considérer que les parts de GFV ne relèvent pas du « […] conseil en investissement portant sur des produits financiers »17 et donc que le statut de CIF ne soit pas nécessaire à leur commercialisation.

La Commission des sanctions a néanmoins considéré que le fait de proposer à des clients ce type de produit s'inscrit dans le cadre de l'activité de conseil en gestion de patrimoine au sens du II. de l'article L. 541-1 du Code monétaire et financier18 étant entendu que le représentant de la société s’était présenté « comme “conseiller en gestion de patrimoine“ et a proposé […] de souscrire à ces produits après s’être enquis de leur situation patrimoniale, leur profil de risque et à leur connaissance et expérience en matière financière ».

Il semble clair dorénavant que pour l’Autorité des marchés financiers les parts de groupements fonciers viticoles ne doivent pas être considérées comme des instruments financiers au sens de l’article 211-1 du Code monétaire et financier et que leur commercialisation relève exclusivement du statut de CIF. Ceci implique, pour le client souhaitant diversifier ses actifs patrimoniaux dans des parts de GFV, de s’assurer que le conseil en gestion de patrimoine qui le conseille soit CIF et, pour le conseiller, que toutes les obligations inhérentes à ce statut19 soient respectées qu’il soit ou non, également, détenteur de la carte professionnelle transaction.

II- La notion d'offre au public de titres financiers et la commercialisation de parts de GFV

L'offre au public de titres financiers ou de parts sociales, anciennement nommée appel public à l'épargne, est régie par les articles L. 411-1 et suivants du Code monétaire et financier ainsi que par le règlement général de l'Autorité des Marchés Financiers20.

L'article 2, d) du Règlement (UE) 2017/1129 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 considère qu'il y a offre au public de valeurs mobilières dès lors qu'est constaté soit « un placement de valeurs mobilières par des intermédiaires financiers », soit « une communication adressée sous quelque forme et par quelque moyen que ce soit, à des personnes et présentant une information suffisante sur les conditions de l'offre et sur les titres à offrir, de manière à mettre un investisseur en mesure de décider d'acheter ou souscrire ces valeurs mobilières. »

L'objectif recherché par ce texte est de protéger les investisseurs et de mieux les informer dès lors que des moyens de communication destinés à un large public sont mis en œuvre. Ceci se traduit d'un côté par l'obligation, pour l'émetteur autorisé à procéder à une offre au public, de publier un prospectus, et, pour ceux qui ne le sont pas, d'encourir la nullité de l'opération21.

Il est à noter que depuis 2019 le champ d'application de la notion d'offre au public a été élargie aux « parts sociales »22. Elle concerne dorénavant également les sociétés de personnes (Sociétés civiles, Société en nom collectif, Société en commandite simple) et les Sociétés à responsabilité limitée (SARL) qui étaient jusqu'à cette date exclues et s'applique donc la commercialisation des parts de GFV.

Nous considérons que dorénavant toutes les offres de titres financiers doivent être considérées comme des offres au public, y compris les « placements privés »23. Néanmoins ces derniers, comme la commercialisation de parts de GFV, peuvent être dispensés de l'obligation de publier un prospectus et d'éviter la nullité de l'opération dès lors qu'ils respectent les dérogations admises par le législateur. Trois grandes catégories de dérogations sont aujourd'hui admises :

  • La première porte sur des offres au public « particulières » ;
  • La seconde concerne le montant global de l'opération ;
  • La troisième, les offres au public de titres relevant du financement participatif.

Cette dernière catégorie n'est pas applicable à l'heure actuelle à la commercialisation de parts de GFV, c'est pour cette raison que nous ne l'aborderons pas.

En ce qui concerne le montant global de l'opération, le seuil maximal autorisé et calculé sur une période de douze mois doit être inférieur à 8 millions d'euros24.

Pour les offres au public « particulières », nous retiendrons uniquement celles-ci :

  • « Une offre de titres financiers ou de parts sociales qui s'adresse exclusivement à un cercle restreint d'investisseurs agissant pour compte propre ou à des investisseurs qualifiés »25 ;

  • « Une offre de valeurs mobilières dont la valeur nominale unitaire s'élève au moins à 100 000 EUR »26 ;
  • « Une offre de valeurs mobilières adressée à des investisseurs qui acquièrent ces valeurs pour un montant total d'au moins 100 000 EUR par investisseur et par offre distincte. »27.

Notons que la notion de d’« investisseurs qualifiés »28 ne nous concerne pas directement en cas de structuration et de commercialisation de GFV à plusieurs associés. Il s'agit, en effet, essentiellement d'investisseurs « institutionnels » et, parfois, d'investisseurs personnes physiques qui possèdent « l'expérience, les connaissances et la compétence nécessaires pour prendre leurs propres décisions d'investissement et évaluer correctement les risques encourus »29 et qui ont fait le choix de se déclarer comme tel auprès du régulateur.

Il n'en est pas de même pour celle de « cercle restreint d'investisseurs » qui nous intéresse, au contraire, particulièrement. Ainsi, jusqu'en juillet 2005 étaient considérés comme des « cercles restreints d'investisseurs » les groupes d'investisseurs « composés de personnes, autres que les investisseurs qualifiés, liées aux dirigeants de l'émetteur par des relations personnelles, à caractère professionnel ou familial. Sont réputés constituer de tels cercles ceux composés d'un nombre de personnes inférieur à un seuil fixé par décret ». Cette définition, aujourd'hui disparue, a été remplacée, au sein du Code monétaire et financier, par la notion d’« autres que des investisseurs qualifiés, dont le nombre est inférieur à un seuil fixé par décret. »30, ce seuil étant fixé à 150 personnes physiques ou morales31.

Aussi et pour éviter que la commercialisation des parts de GFV ne soit requalifiée en « offre au public », nous pensons que structurer des projets répondant aux conditions suivantes limite fortement le risque de requalification, à savoir :

  • Un montant global par opération inférieur à 2 500 000 € ;
  • Un montant minimal pour chaque souscription de 50 000 € ;
  • Un nombre moyen d'associés par projet proche des 25 et ;
  • Un suivi du seuil de 150 par numérotation des dossiers.

III- Un risque limité de requalification en fonds d'investissement alternatif (FIA)

Les groupements fonciers agricoles (GFA) et, par extension, les groupements fonciers viticoles, introduits en droit français par la loi n° 70-1299 du 31 décembre 1970, sont des sociétés civiles dont l'objet social est d'acquérir ou de gérer des immeubles à usage agricole et qui ont pour objectif de permettre de dissocier la propriété des terres de leur exploitation. C'est ainsi que l'article L. 322-6 du Code rural et de la pêche maritime précise que l'objet d'un GFA/ GFV est « soit la création ou la conservation d'une ou plusieurs exploitations agricoles, soit l'une et l'autre de ces opérations. Il assure ou facilite la gestion des exploitations dont il est propriétaire, notamment en les donnant en location dans les conditions prévues au titre 1er du livre IV du présent code portant statut du fermage et du métayage. ».

Pour sa part la Directive 2011/61/ UE32 sur les gestionnaires de fonds d'investissement alternatifs dite « AIFM »33 vise à fournir un cadre réglementaire - agrément, activité et transparence - aux gestionnaires de fonds alternatifs en Europe. Sa transposition en droit interne, en juillet 2013, a fortement réformé le paysage de la gestion collective française, son objectif étant de « simplifier » le cadre juridique de la gestion d'actifs pour les gestionnaires de FIA, mais aussi de renforcer la protection des investisseurs et des épargnants pour faire face aux risques systémiques issus du développement de la finance alternative en capital.

Désormais, nous retrouvons trois types de véhicules collectifs listés au sein du Code monétaire et financier. En premier lieu les Organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) régis par la Directive UCITS IV34, ensuite, les Fonds d'investissement alternatif qui comprennent les « FIA par nature », limitativement énumérés, et les « Autres FIA » ou « FIA par objet » qui relèvent de la Directive AIFM, enfin tous les autres placements collectifs qui ne dépendent d'aucune des deux Directives précédentes.

Toute forme de levée de fonds, ayant pour objet de proposer un placement financier, est susceptible de relever de la catégorie des « Autres FIA » et doit, par conséquence et si tel est le cas, en respecter la réglementation sous peine de sanction. C'est pour cette raison qu'il nous semble que la question de la qualification juridique ou non de l’« entité » commercialisée - des parts de GFV - en « Autres FIA » est essentielle.

Pour y répondre, reprenons la position n°2013-16 de l'AMF35 qui énonce qu'un véhicule d'investissement est susceptible d'être qualifié en « Autre FIA » si les trois critères cumulatifs suivants sont remplis :

  • 1) « L’entité ne poursuit pas un objet commercial ou industriel général » ;
  • 2) « L’entité mutualise des capitaux levés auprès de ses investisseurs aux fins d'un investissement réalisé en vue de générer un rendement collectif pour lesdits investisseurs et » ;
  • 3) « Les porteurs de parts ou les actionnaires de l’entité – en tant que groupe collectif – n’exercent pas un pouvoir discrétionnaire sur les “opérations courantes”. Le fait qu’un ou plusieurs – mais pas l’ensemble – des porteurs de parts ou actionnaires susmentionnés se voient accorder un pouvoir discrétionnaire sur “les opérations courantes” ne permet pas d’établir que l’entité ne constitue pas un organisme de placement collectif. »

Pour l’Autorité des marchés financiers si le véhicule d’investissement, en l’espèce le groupement foncier viticole, n’a pas d’ « objet commercial » ou d’« objet industriel général », il remplit la première condition nécessaire à la qualification en FIA. Les GFV sont des sociétés civiles formées entre personnes physiques qui ont pour vocation d'être propriétaire d'immeubles ruraux bâtis ou non bâtis et soit de les exploiter directement soit de les donner en location. Il n’est donc ici nullement question d’activité « impliquant l’achat, la vente et/ou l’échange de biens ou de matières premières et/ou la fourniture de services non financiers » ou « la production de biens ou la construction d’immeubles ». La première condition nécessaire à la qualification du véhicule d’investissement en FIA est donc, à priori, validée.

Le second critère nécessaire à la qualification d’une entité juridique en FIA réside dans la mutualisation « des capitaux levés auprès de ses investisseurs aux fins d'un investissement réalisé en vue de générer un rendement collectif pour lesdits investisseurs » semble l’être également. En effet, l'action d'acquérir par un GFV des parcelles de vignes financées par une levée des fonds auprès d'un certain nombre d'investisseurs et de les louer par bail rural à long terme à un viticulteur qui versera, en contrepartie, chaque année un loyer (fermage) constitue bien ce qui peut s’appeler une « politique d'investissement ».

Dès lors, seule la dernière condition sur les modalités d'exercice du « pouvoir discrétionnaire sur les opérations courantes » permet de déterminer si un véhicule d'investissement sera ou non qualifié de FIA. Une lecture à contrario de ce troisième critère permet de considérer que si l’exercice de la gestion, quelle que soit la nature et l’importance des actes réalisés, est concentrée entre les mains d’une ou plusieurs personnes, associées ou non, et non entre les mains de l’ensemble des associés, le véhicule d’investissement est potentiellement qualifié de FIA. C’est ce que rappelle l’AMF dans sa Position AMF 2013- 16 en précisant que « Le fait qu’un compartiment d’investissement d’une entité vérifie tous les éléments contenus dans la définition d’un ‘‘FIA” » au sens de l’article 4, paragraphe 1, point a), de la directive sur les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs […] est suffisant pour établir que l’entité dans son ensemble constitue un “FIA” au sens de l’article 4, paragraphe 1, point a), de la directive sur les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs. ». À notre connaissance seule une lecture approfondie des statuts du véhicule d’investissement permet de déterminer si le « pouvoir discrétionnaire sur les opérations courantes » est ou non concentré entre les mains d’un ou plusieurs gérants qui sont habituellement le viticulteur, l’un des associés, voire l'expert-comptable du groupement. Dans ce cas le GFV pourrait, en cas de contrôle du régulateur, se voir qualifier de FIA et de devoir en respecter les contraintes et obligations.

Pour conclure, la structuration, la gestion et la commercialisation des groupements fonciers viticoles sont à la croisée des chemins de plusieurs codifications, le Code civil, le Code rural et de la pêche maritime, le Code monétaire et financier, mais aussi de multiples réglementations comme le conseil en investissement, l’offre au public, l’immobilier, les fonds d’investissement alternatif… La Commission des sanctions de l'AMF l’a récemment rappelé36 en considérant que les GFV étaient des sociétés civiles qui ne pouvaient pas être considérées comme des instruments financiers, au sens de l'article L. 211-1 du Code monétaire et financier et que leur commercialisation relevait du seul statut de CIF. Pour l’ensemble de ces raisons, nous considérons que le professionnel, qu’il soit structureur ou gestionnaire de patrimoine, doit en premier lieu s’assurer que l’entité ne relève pas de la réglementation de l’offre au public, sauf à en respecter les règles et contraintes. Le structureur doit s’assurer que ses partenaires distributeurs sont des gestionnaires de patrimoine CIF au risque de les voir faire l’objet de lourdes sanctions en cas de contrôle, étant entendu que le conseiller en gestion de patrimoine ou la société qui les commercialise peut également être titulaire de la carte de transaction. Le conseiller en investissement financier devra enfin s’assurer du respect des obligations spécifiques qui relèvent de son statut comme celle portant sur les conflits d’intérêt et leur gestion, la transparence des rémunérations et la nécessité de mettre en place un dispositif de gestion des conflits d'intérêts37. Quant au risque ténu de qualification en FIA du GFV, ce dernier dépend, presque entièrement, du soin apporté à la rédaction des statuts, et notamment sur les modalités d’exercice du « pouvoir discrétionnaire dans la gestion courante ». Pour cette raison, il ne nous semble pas que cette question constitue un obstacle insurmontable à leur élaboration ou qu’elle soit un frein à leur commercialisation, seul le gérant statutaire ou de fait pourrait se voir contraint à changer de statut pour pouvoir continuer à gérer l’entité dans le respect de la réglementation.

Notes

  • 1. GIRARDIN Éric, Assurer la transmission familiale du foncier et des exploitations viticoles afin de garantir la pérennité et l’indépendance stratégique de la viticulture française, avril 2022, Assemblée Nationale, 55 pages.
  • 2. Loi n° 70-1299 du 31 décembre 1970 relative aux groupements fonciers agricoles.
  • 3. BOI-BA-CHAMP-20-20 - 180
  • 4. Les articles L.322-2 et L. 322-3 du Code rural et de la pêche maritime autorisent certaines personnes morales d’être membres d'un groupement foncier agricole dont l'ensemble des biens immobiliers est donné à bail à long terme à un ou plusieurs membres du groupement. Il s’agit des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER), de certaines sociétés civiles autorisées à procéder à une offre au public de titres financiers, des entreprises d'assurances et de capitalisation, des coopératives agricoles et des sociétés d'intérêt collectif agricole.
  • 5. Articles 1832 et suivants du Code civil et articles L. 322-1 et suivants du Code rural et de la pêche maritime.
  • 6. Articles L. 411-1 à L. 412-3 du Code monétaire et financier
  • 7. L’article L. 321-1 du Code monétaire et financier précise que « Les services d'investissement portent sur les instruments financiers énumérés à l'article L. 211-1 […] et comprennent les services et activités suivants […] 5. Le conseil en investissement… ».
  • 8. Loi n° 70-9 du 2 février 1970 réglementant les conditions d'exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce et Décret n°72-678 du 20 juillet 1972 fixant les conditions d'application de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 réglementant les conditions d'exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et fonds de commerce
  • 9. Il est également question des ventes de parts de sociétés en nom collectif (SNC) ou des ventes de parts de sociétés à responsabilité limitée (SARL)
  • 10. Pour une liste exhaustive des associations professionnelles agréées, se référer à la Base Geco. Pour ce qui est de l’immatriculation des conseillers en investissement financiers, ces derniers sont répertoriés sur le registre unique des intermédiaires financiers tenus auprès de l’ORIAS.
  • 11. AMF, 22 avril 2022, Obligations en matière de commercialisation des FIA par les CIF.
  • 12. AMF, S'informer sur les Conseillers en investissements financiers, juin 2019.
  • 13. SAN-2024-01 : décision de la Commission des sanctions du 9 janvier 2024 à l'égard de la société SPI et de M. Vincent RHODES
  • 14. Il a été question du document d'entrée en relation régit par l'article 325-5 du règlement général de l'AMF ; du non-établissement des lettres de mission au sens de l'article 325-6 du règlement général de l'AMF ; du non-établissement de questionnaire de connaissance client (article L. 541-8-1, 4 du Code monétaire et financier) ou de l'absence d'établissement de déclaration d'adéquation conformément à l'article L. 541-8-1, 9° du Code monétaire et financier.
  • 15. Voir, en autre, SAN-2002-11 - Décision de la Commission des sanctions du 24 octobre 2022 à l'égard de la société Salzillo Finance et de M. Jean SALZILLO et SAN-2024-05 : décision de la Commission des sanctions du 12 juin 2024 à l'égard de la société Activ Finance Conseils et de Mme Céline GÉHIN
  • 16. SAN-2024-01 : décision de la Commission des sanctions du 9 janvier 2024 à l'égard de la société SPI et de M. Vincent RHODES, p. 18, N°112 et svts.
  • 17. AMF, 19 octobre 2018, Que savoir sur les conseillers en investissements financiers ?
  • 18. Article L. 541-1 du Code monétaire et financier, […] « Les conseillers en investissements financiers peuvent également recevoir aux fins de transmission des ordres pour le compte d'un client auquel il a fourni une prestation de conseil, dans les conditions et limites fixées par le règlement général de l'Autorité des marchés financiers et exercer d'autres activités de conseil en gestion de patrimoine. »
  • 19. Réglementation MIF et MIF II, à savoir document d'entrée en relation, lettre de mission, questionnaire de connaissance client, établissement de la déclaration d'adéquation, dispositifs de gestion des conflits d'intérêts, mis en place d'une procédure de lutte contre le blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme) et, bien entendu, de les tenir à jour.
  • 20. Autorité des Marchés Financiers, le 23 avril 2024, règlement général de l'AMF en vigueur au 19-04-2024.
  • 21. L'article L.411-1 du Code monétaire et financier : « Il est interdit aux personnes ou entités n'y ayant pas été autorisées par la loi de procéder à une offre au public, au sens du règlement (UE) n° 2017/1129 du 14 juin 2017, de titres financiers ou de parts sociales, à peine de nullité des contrats conclus ou des titres ou parts sociales émis. ».
  • 22. La version en vigueur du 01 avril 2009 au 23 octobre 2019 de l'article L. 411-1 évoquait exclusivement la notion de « titres financiers ».
  • 23. La pratique désigne les offres n'ayant pas l'obligation de publier un prospectus en vertu de leur caractère privé comme des « placements privés ».
  • 24. Article 3. 2. b) du Règlement (UE) 2017/1129 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 et article D. 411-2-1 du Code monétaire et financier
  • 25. Article L. 411-2-1° du Code monétaire et financier et article 1. 4. a) du Règlement (UE) 2017/1129 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017.
  • 26. Article 1. 4. c) du Règlement (UE) 2017/1 129 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 « Une offre de valeurs mobilières dont la valeur nominale unitaire s'élève au moins à 100 000 EUR ».
  • 27. Article 1. 4. d) du Règlement (UE) 2017/1129 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 et article D. 411-2-1, 11. « L'offre au public mentionnée au 2° de l'article L. 411-2-1 du Code monétaire et financier est adressée à des investisseurs qui acquièrent les titres qui font l'objet de l'offre pour un montant total d'au moins 100 000 euros ou la contre-valeur de ce montant en devises par investisseur et par offre distincte. ».
  • 28. L'article 2, e) du Règlement (UE) 2017/1129 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 considère que « les personnes ou les entités qui sont énumérées à l'annexe II, section I, points 1) à 4), de la directive 2014/65/UE et les personnes ou entités qui sont traitées à leur propre demande comme des clients professionnels, conformément à la section II de ladite annexe... » sont des investisseurs qualifiés.
  • 29. Article L. 533-16 du Code monétaire et financier, version en vigueur depuis le 03 janvier 2018 jusqu'à son abrogation en 2019.
  • 30. Article 1. 4. b) du Règlement (UE) 2017/1129 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 et article L. 411-2-1° du code monétaire et financier « Un cercle restreint d'investisseurs est composé de personnes, autres que des investisseurs qualifiés, dont le nombre est inférieur à un seuil fixé par décret » et article D. 411-4 du Code monétaire et financier « Le seuil mentionné au 1° de l'article L. 417-2 est de 150 ».
  • 31. Article D. 411-4 du Code monétaire et financier.
  • 32. Directive 2011/61/UE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2011 sur les gestionnaires de fonds d'investissement alternatifs et modifiant les directives 2003/41/CE et 2009/65/CE ainsi que les règlements (CE) n ° 1060/2009 et (UE) n ° 1095/2010.
  • 33. Alternative Investment Fund Managers Directive
  • 34. Directive 2009/65/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant certains organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM), JOUE L 302 du 17 novembre 2009
  • 35. AMF, Position AMF n° 2013-16, Notions essentielles contenues dans la directive sur les gestionnaires de fonds d'investissement alternatifs, 13 octobre 2013, p.3.
  • 36. SAN-2024-01 : Décision de la Commission des sanctions du 9 janvier 2024 à l'égard de la société SPI et de M. Vincent Rhodes,
  • 37. AMF, Actualités, Obligations en matière de commercialisation des FIA par les CIF, 22 avril 2022

Auteurs


Frédéric Chassain

Pays : France

Biographie :

Président de la société Perspectives, spécialisée dans la transaction de domaines viticoles et le
financement de projets portés par des viticulteurs

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