Droit de la propriété intellectuelle vitivinicole

La subsistance des textes nationaux de protection des signes de la qualité et de l'origine

Résumé

Les praticiens de la défense des indications géographiques (IG) sont devenus coutumiers de l’invocation directe des règlements européens devant les tribunaux. Depuis le 13 mai 2024, date d’entrée en vigueur du nouveau et dernier Règlement européen No. 2024/1143, il ne subsiste même plus que cet unique instrument de protection des indications géographiques. Il abroge ou modifie les Règlements No. 1151/2012 protégeant les appellations d’origine protégées (AOP) et indications géographiques protégées (IGP) pour les produits agricoles, No. 1308/2013 sur les AOP et IGP vinicoles ou encore No. 2019/787 pour les IG de spiritueux. Cette rationalisation législative et des outils de protection des IG se manifeste également au niveau national par une volonté de toilettage.Le droit des indications géographiques en est-il devenu plus lisible ? Et n’y aurait-il pas eu matière à une réflexion plus générale sur la subsistance de règles nationales de protection des IG en marge des textes européens qui prévoient une protection exhaustive ?


 

La subsistance des textes nationaux de protection des signes de la qualité et de l’origine

Emmanuel Baud, Philippe Marchiset, Jones Day

Les praticiens de la défense des indications géographiques (IG) sont devenus coutumiers de l’invocation directe des règlements européens devant les tribunaux. Depuis le 13 mai 2024, date d’entrée en vigueur du nouveau et dernier Règlement européen No. 2024/1143, il ne subsiste même plus que cet unique instrument de protection des indications géographiques. Il abroge ou modifie les Règlements No. 1151/2012 protégeant les appellations d’origine protégées (AOP) et indications géographiques protégées (IGP) pour les produits agricoles, No. 1308/2013 sur les AOP et IGP vinicoles ou encore No. 2019/787 pour les IG de spiritueux1.

Cette rationalisation législative et des outils de protection des IG se manifeste également au niveau national par une volonté de toilettage. Une loi n°2019-1332 du 11 décembre 2019 est ainsi venue abroger une antique loi du 4 juillet 1934 tendant à assurer la protection des appellations d’origine Cognac et Armagnac. Pour ses instigateurs, cette loi tendait à améliorer la lisibilité du droit par l'abrogation de lois obsolètes. Leur dévolu s’est, pour partie, jeté sur cette malheureuse loi de 1934 qui demeurait pourtant partiellement appliquée, notamment dans ses modalités d’étiquetage et d’interdiction du recours à des références géographiques des aires d’appellation sur des eaux-de-vie ordinaires.

Le droit des indications géographiques en est-il devenu plus lisible ? Et n’y aurait-il pas eu matière à une réflexion plus générale sur la subsistance de règles nationales de protection des IG en marge des textes européens qui prévoient une protection exhaustive ?

En effet, il demeure des règles de protection des IG au sein du Code de la propriété intellectuelle (CPI), ainsi que dans le Code rural et de la pêche maritime (CRPM), ou encore dans divers autres textes non codifiés. Ces derniers sont parfois des survivances propres à certaines appellations (par exemple, la loi de 1934 pour le Cognac et l’Armagnac) ou des textes transversaux applicables aux boissons alcoolisées, aux vins ou aux spiritueux. Ces textes, souvent plus protecteurs des IG, demeurent tout à fait pertinents au regard de l’ambition de lutter contre la concurrence déloyale de certains opérateurs économiques ou d’assurer un niveau élevé de protection des IG. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a, elle, pu affirmer à différentes reprises la nature exhaustive de l’harmonisation voulue en matière de protection des IG, faisant ainsi naître une incertitude sur la portée, voire même la survivance, de certaines dispositions nationales.

Le présent article propose donc un état des lieux de certains textes de protection des IG subsistants aux côtés du Règlement européen No. 2024/1143 en exposant leur raison d’être (), et en analysant leur possible survivance au regard des impératifs européens (II°).

I. État des lieux de certains textes nationaux subsistants sur la protection des IG

A. Étendue de l’harmonisation européenne sur la protection des IG et rôle reconnu des règles de protection nationales des IG

Harmonisation oblige, les règles européennes de protection des IG constituent un régime de protection uniforme et exclusif. Tel est le sens de plusieurs décisions de la CJUE rendues dans ses arrêts Budvar (affaire C‑478/07, 8 septembre 2009), Port Charlotte concernant l’application de règles nationales (affaire C‑56/16 P, 14 septembre 2017)2 ou encore Champanillo (Affaire C‑783/19, 9 septembre 2021) concernant l’application de conventions bilatérales entre États membres3. Ces solutions avaient été pressenties par la doctrine4 et esquissées notamment par l’arrêt Chiciak du 9 juin 19985 soulignant la « protection uniforme » des dénominations enregistrées devant prévaloir dans l’Union européenne.

L’exhaustivité ou l’exclusivité annoncée des outils européens de protection des IG n’est toutefois pas absolue ou totale. Ainsi, la Cour précise que « cette exclusivité ne s’oppose pas à ce qu’il soit fait application d’un régime de protection des dénominations géographiques qui se situe en dehors de son champ d’application » (v. notamment CJUE, c, par. 49). C’est plus généralement le sens de l’article 5.2 du Règlement 2024/1143 qui prévoit que « L’enregistrement et la protection des indications géographiques sont sans préjudice de l’obligation des producteurs de respecter les autres règles de l’Union, en particulier celles relatives à la mise des produits sur le marché, les règles sanitaires et phytosanitaires, l’organisation commune des marchés, les règles de concurrence et à l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires ».

La Cour avance dans ses décisions (notamment l’affaire C-35/21) que le champ d’application de la réglementation sur les IG englobe tout système de protection de dénominations géographiques qualifiées. La Cour oppose un tel système à de simples indications de provenance, lesquelles ne peuvent subsister qu’en respectant les principes du droit de l’Union.

La position de la Cour est claire et devrait, dans une large mesure, exclure la survivance de textes nationaux de protection de dénominations géographiques qualifiées, assurément lorsqu’il s’agit de leur unique objet.

Les dispositions de droit national comprennent pourtant de nombreux textes relatifs aux appellations d’origine contrôlées ou appellations d’origine simple. Dans la plupart des cas, ces textes sont directement hérités de la loi du 6 mai 1919 relative à la protection des appellations d'origine. En particulier, le CRPM comprend des dispositions de reconnaissance et de protection des IG et continue de faire état d’appellations d’origine contrôlées (AOC), alors que le droit européen ne connaît plus que les appellations d’origine protégées (AOP), indications géographiques protégées (IGP) et indications géographiques (IG).

Plusieurs raisons expliquent ce maintien :

  • D’une part, le système des AOC, codifié au sein du CRPM, subsiste au niveau national à titre transitoire pour les appellations et indications en cours d’obtention ou de demande d’une AOP / IGP européenne ou encore pour des produits hors du champ d’application des AOP / IGP. Cette dernière hypothèse couvrait de façon résiduelle les produits forestiers, exclus du champ d’application du Règlement 1151/20126.

  • D’autre part, les dispositions du Code de la consommation (L 431-1 à L 431-7), essentiellement issues de la loi de 1919, visent notamment les hypothèses résiduelles, à défaut de décret, de demande en justice visant à obtenir la reconnaissance d’une appellation d’origine simple, c’est-à-dire délimitée et définie par le juge. Le tribunal compétent s’en trouvait strictement défini, par dérogation aux règles ordinaires de procédure (domicile du défendeur / lieu du délit) et l’assignation devait se trouver publiée à peine d’irrecevabilité de l’action. Ces règles sont toutefois inapplicables à la protection ou la défense, au niveau civil, des appellations ou IG protégés par la réglementation européenne (AOP / IGP).

L’articulation de ces dispositions a été clairement jugée dans le cadre d’une ordonnance rendue par le Juge de la mise en état près le tribunal judiciaire de Nanterre dans une décision inédite et définitive du 12 mai 2022. Le défendeur au fond et demandeur à l’incident avait imaginé soulever l’incompétence territoriale du tribunal et l’irrecevabilité de la demande de l’Organisme de Défense et de Gestion d’une AOP au motif que l’assignation du demandeur en atteinte à l’AOP ne respectait pas les dispositions de procédure précitées du Code de la consommation. Le Juge de la mise en état l’a débouté : « les dispositions des articles L 431-1 à L 431-7 du code de la consommation ne régissent que la catégorie effectivement résiduelle des appellations d’origine simples qui supposent, hors procédure administrative dont la mise en œuvre exclut pour l’avenir toute action en justice aux termes de l’article L 431-4 alinéa 2 du code (…), une reconnaissance judiciaire, le juge délimitant a posteriori lors d’un litige l’aire d’appellation et déterminant les qualités ou caractères du produit conformément à l’article L 431-6 du même code, sa décision étant opposable erga omnes, effet dérogatoire qui explique la nécessité d’une publication de l’assignation en vertu de l’article R 431-2 du code de la consommation »7.

Ces dernières règles n’ont guère plus d’utilité pratique, et ne visaient plus que les produits forestiers ou le Monoï de Tahiti. Leur désuétude sera croissante, notamment avec l’élargissement du champ d’application du Règlement européen No. 2024/1143.

B. Dispositions périphériques susceptibles de rentrer dans le champ d’application du Règlement européen

En marge des dispositions générales sur les appellations d’origine figurant dans divers codes, il subsiste par ailleurs plusieurs textes spéciaux. Ils peuvent être propres à une catégorie de produits ou spécifiques à une appellation.

1. Textes propres à une catégorie de produits

Les vins et les spiritueux sont l’objet de nombreuses dispositions. L’exemple le plus topique est le décret du 19 août 1921 et son prolongement qu’est le décret n°2012-655 du 4 mai 2012. Ces dispositions, sous couvert de réglementer l’étiquetage des vins ou des spiritueux, comprennent plusieurs dispositions qui intéressent le droit des IG. L’article 1 de ce dernier texte comprend ainsi des règles sur la dimension de la référence à la dénomination sociale de l’embouteilleur d’un vin sur une étiquette si ce nom comprend ou consiste en une appellation d’origine (ex. Société Civile du Domaine de la Romanée Conti que l’on retrouve sur les étiquettes du vin d’AOP « La Tâche »). Cette règle figurait d’ailleurs à l’article 56.6 du Règlement 607/2009 et se trouve depuis reprise à l’article 46.6 du Règlement 2019/33. Son introduction en droit national permet de lui donner une portée contraventionnelle.

Le décret n°68-807 du 13 septembre 1968, dont l’article 2 subsiste encore, propose, quant à lui, un encadrement encore plus strict de l’usage de noms géographiques sur différents documents commerciaux accompagnant la commercialisation de vin, dont l’étiquetage. Seuls les noms de l’appellation ou du cru peuvent être utilisés pour les vins AOC : « pour les vins à appellation d'origine contrôlée, il ne peut être employé sur les factures, étiquettes, estampes et autres marques extérieures d'autre désignation géographique en dehors du nom du cru que celle de l'appellation contrôlée ». Ce texte interdit donc à un vin d’appellation Luberon d’être accompagné d’une autre mention géographique telle que « Provence » sur un document commercial.

2. Exemples de textes français spécifiques à une appellation

Plusieurs textes spécifiques à des appellations continuent également d’être en vigueur, et leur inventaire exhaustif s’avère complexe. La prestigieuse appellation Champagne continue d’appliquer plusieurs textes anciens, et notamment une loi du 20 mars 1934 tendant à interdire la fabrication de vins mousseux ordinaires à l’intérieur des territoires compris dans la Champagne viticole. Son 1er article dispose ainsi : « À l'intérieur de la Champagne viticole délimitée, toute fabrication de vins mousseux autres que ceux pouvant prétendre à l'appellation "Champagne" est interdite. Est également interdite la vente de vins mousseux accompagnés d'un nom de commune comprise dans la Champagne viticole délimitée. »

Cette disposition trouve un écho dans une réglementation concernant l’appellation Roquefort prévue dans une loi de 1925 dont les articles 4 et 5 érigent une interdiction de pénétration ou présence « d'un autre lait que le lait de brebis, dans les fromageries, les laiteries et locaux d'affinage où est préparé, fabriqué et affiné le fromage de Roquefort » ou encore « la pénétration, la transformation, l'affinage, la vente de tout produit lactogène ou fromage de lait autre que celui de brebis », sauf en ce qui concerne les besoins de la consommation locale, et ce, sur tout le territoire de la commune du lieu d'affinage.

Ces dispositions visent à prévenir ou éviter des falsifications et fraudes ; elles sont d’ailleurs pénalement sanctionnées. Elles rappellent par leur objet l’obligation faite aux producteurs, aux termes de cahiers des charges contraignants de certains produits bénéficiant d’une IG, de procéder par exemple à un embouteillage dans l’aire de production8. Leur champ d’application principal n’inclut d’ailleurs pas la dénomination des produits bénéficiant d’IG. Lorsque ces textes s’appliquent aux dénominations, ils ne font que mettre en œuvre un principe posé par le droit européen, proscrivant l’utilisation du nom de l’IG ou un nom l’évoquant (i.e. une commune champenoise) pour un produit comparable (i.e. du mousseux) ; un tel usage étant susceptible de tomber sous le coup des dispositions de l’article 26 du Règlement 2024/1143.

En définitive, ces dispositions, toujours appliquées et qui n’ont pas pour effet de générer un système parallèle d’appellations d’origine, semblent moins concerner la protection et la défense des IG et plus traduire une volonté de traçabilité et de limitation localisée de fraudes, sanctionnée pénalement, ou encore un encadrement strict des modalités d’étiquetage des produits de la vigne.

D’autres textes semblent, eux, avoir subi les affres du temps et ne plus devoir être appliqués. Citons d’anciens textes sur le rhum9 qui allaient jusqu’à en protéger l’apparence ou leurs caractéristiques organoleptiques, indépendamment du nom ou de la provenance du produit. Un tel système semble, lui, directement contraire à la législation européenne. Ces dispositions, a priori non abrogées, semblent frappées de désuétude et s’écartent à l’excès de la réglementation européenne en instaurant d’ailleurs une entrave peu justifiée à la liberté de circulation et du commerce et de l’industrie.

II. Une survivance variable au regard des impératifs européens

A. Une utilité résiduelle des textes nationaux de protection et une relégation de l’AOC au rang de mention traditionnelle

L’harmonisation exclusive et uniforme voulue par le droit européen des IG a des implications qu’il convient de préciser. Ainsi, la coexistence d’un système parallèle d’appellation d’origine se trouve proscrite, sauf dans l’hypothèse d’une protection transitoire qui s’intègre à la procédure européenne (cf. arrêt Port Charlotte, pt. 90).

Plus encore, des règles nationales, fussent-elles plus strictes que le droit européen, n’ont, selon la Cour, plus vocation à s’appliquer à la protection des dénominations. Les textes européens sont exhaustifs en la matière (cf. arrêt Port Charlotte, pt. 102). Dans l’arrêt Port Charlotte, il avait été reproché au Tribunal de l’UE et avant à l’EUIPO de ne pas avoir appliqué les dispositions de droit portugais protégeant l’AOP Porto. La Cour de justice a donc jugé que ce reproche était infondé compte tenu du caractère exhaustif de la protection. L’avocat général avait de son côté soulevé le caractère artificiel du grief, dès lors que le droit portugais comprenait le même niveau de protection que le droit de l’Union.

Le caractère exhaustif du droit de l’UE se trouve depuis renforcé par le nouveau Règlement européen No. 2024/1143 dont le considérant 18 énonce qu’ « assurer la reconnaissance et la protection uniformes dans l’ensemble de l’Union des droits de propriété intellectuelle liés aux dénominations protégées dans l’Union constitue un objectif prioritaire qui ne peut être réalisé efficacement qu’au niveau de l’Union. Par conséquent, il faut prévoir dans le droit de l’Union un système unitaire et exhaustif d’indications géographiques. »

La mobilisation des dispositions nationales subsistantes n’est toutefois pas toujours inutile ou vouée à l’échec, en particulier si elles assurent un niveau de protection identique. Ainsi, dans plusieurs affaires, les tribunaux ont eu à apprécier la pertinence de telles dispositions. Dans l’affaire Newrhône, la Cour d’appel de Paris a estimé, après avoir reconnu l’atteinte à l’AOP Côtes du Rhône caractérisée sur le fondement du droit de l’Union, que le décret précité de 1968 ne constituait « qu’une déclinaison particulière du régime uniforme et exhaustif de protection des appellations d’origine »10. Dans l’affaire Luberon Cœur de Provence11, le tribunal judiciaire de Nanterre avait lui aussi estimé que le même décret de 1968 n’avait pas vocation à s’appliquer ; « les interdictions qu’il pose ne constituant qu’une déclinaison particulière des interdictions prévues à l’article 103 du règlement (UE) n°1308/2013 ».

Il paraît donc à présent proscrit, sauf dans les hypothèses de protection transitoire, d’invoquer à titre principal l’article L. 643-1 du CRPM ou d’autres textes français qui ont longtemps assuré la protection des IG en droit français. Le recours à ces textes sert éventuellement à illustrer l’interprétation possible des textes européens.

Le système de l’appellation d’origine contrôlée n’a pas totalement disparu pour autant. Il perdure pour la protection transitoire des IG, et la terminologie d’appellation d’origine contrôlée, et son sigle AOC, conservent une existence en tant que mention traditionnelle susceptible de remplacer la mention de l’appellation d’origine protégée ou indication géographique protégée sur l’étiquetage des vins. L’article 119.3 du Règlement 1308/2013, non abrogé par le Règlement 2024/1143, prévoit : « les termes "appellation d'origine protégée" et "indication géographique protégée" peuvent être omis dans les cas suivants: a) lorsqu'une mention traditionnelle au sens de l'article 112, point a), figure sur l'étiquette conformément au cahier des charges du produit visé à l'article 94, paragraphe 2 ». Enfin, le sigle et la mention d’appellation d’origine contrôlée restent encore présents dans l’esprit du grand public, peu au fait des efforts d’harmonisation européenne.

B. Facultés de maintien des textes identifiés et relativité de l’harmonisation

  • 1. En dehors du champ de l’harmonisation

La portion congrue à présent dévolue au droit national pour la protection et la défense des AOP devrait conduire à largement ignorer plusieurs des dispositions subsistantes étudiées ci-avant.

Toutefois, certaines dispositions devraient pouvoir conserver une certaine pertinence car leur vocation première n’est pas la protection des IG et des intérêts particuliers des producteurs. En effet, le caractère exclusif et exhaustif de la protection ne vaut qu’au regard de l’objet de l’harmonisation. Par ailleurs, l’article 5.2 du Règlement 2024/1143 rappelle que l’ensemble des autres règles de l’Union demeure applicable ; qu’il s’agisse des règles de mise sur le marché ou d’information du consommateur. Le considérant 52 du Règlement délégué 2019/33, lequel couvre divers sujets liés aux vins, ouvre d’ailleurs une faculté pour les États membres « aux fins de la mise en œuvre de leur politique de la qualité, (d’) arrêter des règles supplémentaires en ce qui concerne l'étiquetage des produits de la vigne élaborés sur leur territoire, pour autant que ces règles soient compatibles avec le droit de l'Union ».

Ainsi, la réglementation sur les tromperies pour pratiques commerciales trompeuses, relevant notamment d’une autre directive et visant à protéger le consommateur12, continue de trouver à s’appliquer.

Les règles de procédure ou probatoires sont également en dehors du champ de l’harmonisation ; le considérant 54 du Règlement 2024/1143 se bornant à énoncer des généralités sur ces points13. Ainsi, les règles relatives à la saisie-contrefaçon, aux modalités de réparation relèvent, elles, de la directive 2004/48 du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle (auxquels appartiennent les IG14).

Par ailleurs, la protection pénale des IG, incluant également la tromperie ou bien des règles d’étiquetage, ne saurait faire l’objet de l’harmonisation exclusive puisque le droit pénal demeure encore largement une compétence des États membres15.

Aux dispositions sur l’étiquetage envisagées ci-avant, et dont l’objet est différent du système de protection des IG et que le Règlement délégué 2019/33 permet aux États membres d’étoffer, il faut ajouter l’ensemble des règles susceptibles d’être contenues dans les cahiers des charges. Ainsi, les cahiers des charges des vins d’AOP/IGP peuvent, eux aussi, prévoir des dispositions en matière d’étiquetage ou encadrer les conditions d’utilisation des AOP ou IGP concernées :

  • Le droit européen renvoie ainsi à ces cahiers des charges la possibilité d’utiliser des mentions ou dénominations géographiques plus grandes ou plus petites que l’AOP / IGP.
  • Certains cahiers des charges peuvent prévoir d’autres types de règles d’étiquetage16, telles que des modalités de marquage ou d’identification des opérateurs.

Ces règles propres aux cahiers des charges sur l’étiquetage ne peuvent toutefois être fixées librement. À titre d’exemple la Commission européenne s’est opposée au cahier des charges de l’appellation Cava qui proscrivait l’usage de marques de Cava pour d’autres vins ou dérivés du vin dans des bouteilles caractéristiques des vins mousseux. Ces règles d’étiquetage ou des cahiers des charges n’impactent donc qu’à la marge l’étendue de protection des IG.

  • 2. Dans le cadre de l’harmonisation

Il est à l’évidence heureux que les textes nationaux reconnaissant une portée de protection inférieure aux AOP/IGP soient écartés au profit du droit européen. Les textes prévoyant une protection similaire (par exemple sur l’évocation), ce qui est le cas des articles L. 643-1 ou L. 643-2 du CRPM, peuvent subsister sans grande gêne. Ainsi que l’indiquait l’avocat général dans l’affaire Port Charlotte, aucune partie ne saurait se plaindre de la circonstance qu’une juridiction applique un texte national en lieu et place d’un texte européen, dès lors que leur portée est équivalente.

La réelle difficulté posée par l’harmonisation voulue par la CJUE tient aux textes instaurant une protection plus forte aux défenseurs des AOP/IGP que celle prévue par les textes européens. Leur condamnation n’allait et ne va aucunement de soi. À titre d’exemple, la directive 2004/48 sur le respect des droits de propriété intellectuelle réserve l’hypothèse de législations nationales mettant en œuvre des moyens « plus favorables aux titulaires de droits »17. Cette hypothèse pouvait et devrait se concevoir en matière d’IG.

L’articulation de la directive 2004/48 -qui laisse une grande latitude aux États membres pour améliorer la protection des titulaires de droits- avec la réglementation sur les IG sera intéressante à suivre. La directive 2004/48 couvre ainsi les mesures, procédures et réparations relatives à la propriété intellectuelle, sans affecter le « droit matériel » de la propriété intellectuelle. En particulier, la loi abrogée de 1934 qui impliquait automatiquement que le nom d’une commune de l’aire d’appellation Cognac ou Armagnac ne pouvait être utilisé pour une autre eau-de-vie se limitait à poser une présomption irréfragable d’évocation. Interprétée de la sorte, ou appliquée comme une simple règle d’étiquetage permise par le Règlement délégué 2019/33, cette loi pourrait demeurer compatible avec le cadre européen proscrivant l’évocation de l’IG. Une conclusion semblable pourrait s’appliquer pour des textes similaires.

La solution retenue dans l’arrêt Port Charlotte peut d’ailleurs être relativisée par la circonstance qu’était en cause l’enregistrement d’une marque de l’UE ; cadre dans lequel la protection de l’IG antérieure Porto ne pouvait s’apprécier qu’au regard d’un instrument européen. Dans l’affaire Champanilo, le jeu des conventions particulières entre États membres s’est trouvé neutralisé, car l’existence d’une disposition européenne implique usuellement la mise à l’écart des traités antérieurs entre États membres. Enfin, dans l’affaire Budvar était avant tout en cause la reconnaissance d’une IG en marge de la réglementation européenne.

À n’en pas douter les discussions sur le périmètre et la portée de l’harmonisation voulue par la CJUE devraient continuer à susciter de la jurisprudence et des débats doctrinaux dans les années à venir.

Notes

  • 1. La réglementation sur les indications géographiques pour les produits artisanaux et industriels continue, elle, de faire bande à part (Règlement UE No. 2023/2411 du 18 octobre 2023).
  • 2. V. not. par. 96 : « Aussi, c’est à bon droit que, aux points 38 et 41 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que, s’agissant des appellations d’origine « Porto » ou « Port », protégées en vertu du règlement n° 1234/2007, ce règlement comporte un régime de protection uniforme et exclusif, de telle sorte qu’il n’y avait pas lieu pour la chambre de recours d’appliquer les règles pertinentes du droit portugais qui étaient à l’origine de l’inscription desdites appellations d’origine dans la base de données E-Bacchus ».
  • 3. C‑783/19, Champanillo, par. 28 : « dans un litige tel que celui en cause au principal, dans lequel est en cause la protection d’une AOP, la juridiction de renvoi est tenue d’appliquer exclusivement la législation de l’Union applicable en la matière »
  • 4. N. Olszak, Droit des appellations d’origine et indications de provenance, 2001, Tec&Doc, p. 146.
  • 5. Affaire C-129/97, point 25.
  • 6. Le Règlement 1151/2012 s’appliquait aux « produits agricoles destinés à la consommation humaine » ; étant précisé que le nouveau Règlement 2024/1143 s’applique, lui, plus largement aux « produits agricoles ». Les produits forestiers devraient incorporer le régime des produits artisanaux et industriels fixé par le Règlement UE No. 2023/2411 du 18 octobre 2023.
  • 7. 1ère chambre civile, RG 21/07842.
  • 8. Cf. légitimation du cahier des charges de l’IG Rioja prévoyant un embouteillage dans l’aire de production ; CJUE, 16 mai 2000, C-388/95.
  • 9. Loi du 16 avril 1930 portant fixation du budget général de l'exercice 1930-1931, Journal Officiel du 17 avril 1930, Article 44(1) :
    « Il est interdit de détenir en vue de la vente, de mettre en vente ou de vendre, sous un nom quelconque, tous spiritueux mélangés, aromatisés, colorés ou non, même contenant un pourcentage de rhum ou tafia, présentant les caractères organoleptiques du rhum ou tafia, produit défini par la loi et dont il ne pourra être justifié qu'ils sont composés uniquement de rhums ou tafias d'origine réduits ou non sans addition d'aucun autre spiritueux ».
  • 10. CA Paris, 26 mai 2023, Pôle 5, Chambre 2, RG 21/09232, PIBD 1210-III-5, arrêt définitif.
  • 11. TJ Nanterre, 23 janvier 2023, PIBD 1211-III-7. Confirmation en appel, CA Versailles, 11 mars 2025.
  • 12. Directive 2005/29 du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales.
  • 13. Le considérant 54 se limite à fixer un objectif d’efficacité : « Des mesures administratives et judiciaires appropriées, efficaces et proportionnées devraient être prises pour empêcher ou faire cesser l’utilisation de dénominations de produits ou de services qui ne respectent pas les indications géographiques protégées ou les enfreignent. »
  • 14. Cf. considérant 21 du Règlement No. 2024/1143 « les indications géographiques, qui constituent un type de droit de propriété intellectuelle ».
  • 15. Exclusion que confirme l’article 2 de la Directive 2004/48 sur le respect des droits de propriété intellectuelle.
  • 16. Cf. article 49.2.b du Règlement 2024/1143.
  • 17. Article 2.1 : « 1. Sans préjudice des moyens prévus ou pouvant être prévus dans la législation communautaire ou nationale, pour autant que ces moyens soient plus favorables aux titulaires de droits, les mesures, procédures et réparations prévues par la présente directive s'appliquent, conformément à l'article 3, à toute atteinte aux droits de propriété intellectuelle prévue par la législation communautaire et/ou la législation nationale de l'État membre concerné. »

Auteurs


Emmanuel Baud

Pays : France


Philippe Marchiset

Pays : France

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